Quel sort la commission Varinard, chargée de formuler des propositions pour la réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 (1), réserve-t-elle à ce texte fondateur de la justice pénale des mineurs ? Ce n'est plus une énième retouche - 31 en 60 ans - qu'a demandée la garde des Sceaux pour le 1er novembre, mais une réforme « en profondeur » qui doit viser trois objectifs. Il s'agit en effet, selon sa lettre de mission, d'« assurer une meilleure visibilité des dispositions » par une réorganisation du texte et de sa codification. Au-delà de cette réécriture, l'objectif est de « renforcer la responsabilisation des mineurs » en fixant un âge minimum de responsabilité pénale et en remettant à plat l'ensemble des mesures et des sanctions, tout en s'interrogeant sur « la place des mesures purement éducatives » dans la sphère pénale. La commission a également été chargée de revoir la procédure et le régime applicable aux mineurs pour assurer « la rapidité et l'efficacité de la réponse à chaque passage à l'acte ».
Les réponses pénales à la délinquance des mineurs ont déjà été considérablement durcies depuis 2002, sous l'effet de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et, enfin, de la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs du 26 juillet 2007. Comment aller plus loin sans, cette fois, rompre définitivement l'équilibre de l'ordonnance de 1945 ? Magistrats, associations habilitées et syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse craignent la mise à mal des principes qui servent de fil d'Ariane au texte : la primauté de la réponse éducative, la spécialisation de la juridiction des mineurs et l'excuse atténuante de minorité. Le fait que leur respect figure expressément dans la lettre de mission d'André Varinard, qui, pour sa part, a affiché l'ambition d'« imaginer un système répressif suffisamment dissuasif sans pour autant hypothéquer l'avenir du mineur », n'a pas suffi à les rassurer. Si tous partagent avec le gouvernement la volonté de réintroduire de la cohérence, de la lisibilité dans la prise en charge des jeunes délinquants, voire de dépoussiérer certaines mesures, ils ne posent pas forcément le même diagnostic, ni ne formulent les mêmes réponses. La délinquance des mineurs s'est aggravée ? Le taux de réponse pénale à leur égard aussi : il dépasse 85 % en 2007, contre 78 % pour les majeurs. Selon les statistiques du ministère de la Justice, plus de 75 % des mineurs condamnés en 2005 n'ont pas récidivé. De quoi nuancer l'affirmation de la garde des Sceaux selon laquelle l'ordonnance de 1945 « a perdu de sa pertinence et de son efficacité ».
A défaut d'avoir pu en faire partie, la plupart des organisations représentant les acteurs du terrain ont déjà été auditionnées par la commission Varinard et ont fait valoir leurs positions. Et, à rebours de l'attitude « passéiste » qui leur est souvent reprochée, elles ont formulé de nombreuses propositions. Plutôt que remettre en cause les principes, les professionnels veulent améliorer les dispositifs et les modalités de mise en oeuvre. Tout en insistant sur une dimension évidente, bien que peu évoquée dans les discours ministériels : la prévention des situations d'exclusion et de relégation qui favorisent les phénomènes de violence, dans le cadre d'une politique globale de la jeunesse et de la famille.
Premier constat : la justice pénale des mineurs manque cruellement, et avant tout, de moyens. Faute de personnel ou de places suffisantes, les mesures éducatives prononcées par les juges des enfants sont mises en attente pendant plusieurs mois, les placements éducatifs sont différés. La mission de Jean-Luc Warsmann sur l'exécution des décisions de justice pénale (2), dont devra également s'inspirer la commission Varinard, partage d'ailleurs ces constats. « Tous les praticiens de la justice des mineurs savent que ce n'est pas l'absence de sanction qui est génératrice du sentiment d'impunité, mais l'absence de prise en charge éducative », martèle également le Syndicat de la magistrature.
Autre évidence sur laquelle tout le monde s'accorde : le manque de lisibilité de l'ordonnance. « Les réformes se sont succédé sans évaluation des résultats des dispositions en vigueur, ni des besoins, et aboutissent à un empilement des procédures », déplore l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF). Une même mesure peut être au final prononcée à différents stades, sous des appellations diverses. Quelle est par ailleurs la pertinence des sanctions éducatives pour les 10-13 ans (interdiction de paraître dans certains lieux ou d'être en contact avec certaines personnes, exécution de travaux scolaires, placement en internat scolaire, réparation, stage de formation civique) ? Selon l'AFMJF, « l'expérience de terrain montre que le prononcé de sanctions éducatives, à mi-chemin entre la mesure éducative et la peine, n'est pas adapté pour des enfants de 10 ans qui n'en mesurent pas le sens ». Dans sa contribution, Citoyens et justice plaide également en faveur de l'amélioration de la cohérence des réponses. Elle épingle tout particulièrement le brouillage des dispositifs : « La réparation pénale des mineurs, mesure éducative instituée en 1993, est devenue subitement une sanction éducative en 2004. Cette situation contribue à entretenir une confusion juridique et pratique très préjudiciable à la lisibilité de la justice des mineurs. » D'une façon générale, « il importe de veiller à ce que les réponses illustrent les niveaux successifs de la mesure éducative, puis de la sanction et enfin de la peine », argumente-t-elle.
Beaucoup de préconisations vont dans le sens de cette progressivité dès la première réponse. L'AFMJF, notamment, plaide en faveur d'une nouvelle procédure uniformisée, clarifiée et spécifique pour les mineurs. Dans le prolongement de la loi Toubon du 1er juillet 1996 instaurant la césure pénale, qui permet au tribunal pour enfants de déclarer le mineur coupable, mais de renvoyer à une audience ultérieure le prononcé de la sanction, elle suggère plusieurs étapes dans la réponse judiciaire. « L'objectif est de garder du temps pour la décision, mais de réaménager la procédure pour supprimer les temps morts et rechercher simultanément la manifestation de la vérité, la connaissance de la personnalité de l'auteur et de ses capacités de progrès et de prise de conscience de la gravité des faits et le [dédommagement] de la victime », explique Catherine Sultan, présidente de l'AFMJF. Mais, prévient-elle, « cette proposition n'a de sens que si elle s'inscrit dans les grands principes de la réforme de l'ordonnance de 1945 ». Concrètement, une audience initiale aurait lieu et déboucherait sur plusieurs types de décision : la relaxe, une condamnation (avertissement judiciaire, maintien sous l'autorité des parents, assorti le cas échéant d'une assistance éducative, fixation de l'indemnisation de la partie civile) ou bien un jugement comportant une déclaration de culpabilité et instaurant un « délai d'épreuve » de six mois. Celui-ci permettrait de mettre en oeuvre des mesures d'investigation, d'action éducative, de réparation ou les obligations d'un contrôle judiciaire. Au terme de ce « délai d'épreuve », le juge pourrait, après l'examen des résultats des mesures engagées, faire de nouveau comparaître le mineur. La juridiction apprécierait alors la nécessité de prononcer une peine. Une telle organisation, argumente l'AFMJF, « permettrait de limiter les conséquences de la fragmentation des poursuites, de régler sans délai la question de l'indemnisation de la victime, de réduire considérablement les délais et les coûts de procédure, d'alléger les charges du greffe dans la mise en forme, de désengorger les audiences ».
Cette conception rejoint l'une des « 12 propositions » soutenues par l'Unasea (Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes), qui préconise également une « audience préliminaire », à l'image de la procédure anglo-saxonne. Pour « opposer une réponse immédiate, claire et incontournable à tout acte de primo-délinquance », l'Unasea suggère en outre, à condition de respecter certaines garanties, de déjudiciariser les affaires les moins graves via une « justice de proximité » spécialisée qui pourraient prendre la forme de « commissions de conciliation placées auprès du maire ». L'AFMJF porte également cette idée : « Il s'agit de rappeler que tout ne relève pas forcément de la justice et que la prévention est l'affaire de tous, précise Catherine Sultan, mais pas du tout dans la même logique que la loi sur la prévention de la délinquance, qui donne des pouvoirs judiciaires aux autorités locales. »
Si elle ne devrait finaliser ses propositions que lors de son conseil d'administration du 10 septembre, l'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux), qui réfléchit depuis un an, au sein d'un groupe de travail (3), aux évolutions souhaitables de la justice des mineurs, propose pour l'heure un cahier des charges bâti à partir de « l'expertise associative ». En préalable à un ensemble d'orientations-phare, elle appelle à « une loi-cadre sur la justice des mineurs civile et pénale avec la tenue d'une conférence de consensus », au-delà du strict cadre de la réforme de l'ordonnance de 1945. Reprenant une recommandation du Conseil de l'Europe de 2003 et l'avis du Conseil économique et social européen du 15 mars 2006, elle demande en outre que la France saisisse l'occasion de sa présidence européenne pour lancer « un processus commun d'élaboration d'un cadre permettant de traiter la question de la délinquance des mineurs en Europe » (4).
Au-delà de leurs propres desiderata, les professionnels prennent position sur les différentes réflexions laissées entre les mains de la commission Varinard. En réponse aux interrogations de la ministre, ils plaident unanimement en faveur du maintien des réponses purement éducatives (admonestation, remise aux parents, placement éducatif, réparation...) dans le champ pénal. Le SNPES (Syndicat national des personnels de l'éducation et du social)-PJJ-FSU refuse ainsi de « réduire le jeune à son acte délinquant » et l'idée selon laquelle « la punition serait seule susceptible de prévenir les passages à l'acte ». Le syndicat estime que la spirale répressive « ne peut susciter chez les jeunes que révolte ou soumission » et soutient « l'efficacité du travail éducatif dans un cadre judiciaire, fondé sur le temps nécessaire à la maturation du jeune et sur la dimension contenante de la relation éducative ». Et quel que soit son degré - même s'il s'agit d'une peine -, la réponse ne doit jamais se départir de sa dimension éducative, insistent les acteurs. Citoyens et justice réclame tout particulièrement le développement de la réparation pénale, « très inégalement utilisée sur l'ensemble du territoire », et de la médiation pénale. L'UNSA-SPJJ (Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse) propose, de son côté, une adaptation du contrôle judiciaire : il faudrait, explique le syndicat, lui adjoindre une dimension éducative, ce qui éviterait les doubles mesures - contrôles « pointage » assortis de mesure éducatives. L'éducatif gagnerait également à être promu dans le cadre des aménagements de peine, suggère encore Citoyens et justice : la mesure de placement à l'extérieur, qui permet le maintien sous écrou, pourrait être développée pour les mineurs (de 16-18 ans), soit « ab initio », ou pour préparer la sortie d'un établissement pénitentiaire pour mineurs, afin d'éviter une « sortie sèche », ou après un placement en centre éducatif fermé.
Face à la course à la réactivité évoquée maintes fois par le gouvernement, et mentionnée dans la lettre de mission de la commission Varinard, les organisations de professionnels alertent sur un autre danger : la confusion entre la rapidité de la prise en charge et celle du jugement ou de la sanction. « Ce n'est pas l'immédiateté de la sanction qui est importante pour la construction du mineur, mais la célérité de la réponse judiciaire », affirme le Syndicat de la magistrature. Alors que le temps est indispensable à la connaissance de la personnalité et de l'environnement des mineurs, « il est regrettable de développer de façon incessante les possibilités de juger des mineurs qui ont commis des faits graves en quasi-comparution immédiate », déplore l'Uniopss. A l'inverse, les alternatives aux poursuites (médiation pénale, réparation pénale, composition pénale...) constituent aujourd'hui une réponse judiciaire sur deux. Si elles ont montré leur pertinence en matière de prévention de la récidive, ajoute l'Uniopss, elles posent tout de même une question de fond : celle d'un risque de « déspécialisation » de la justice des mineurs. De même, soulignent les associations, elles nécessitent un renforcement de la formation et des compétences de personnes chargées de les mettre en oeuvre, notamment les délégués des procureurs.
Il faut développer ces alternatives, renchérit de son côté l'Unasea, sans pour autant s'interdire de les réviser : tandis que la mesure de réparation pénale est une mesure pédagogique qui revêt une dimension de sanction, la composition pénale devrait, à son avis, disparaître, notamment parce qu'elle ne peut être considérée comme une alternative à la poursuite puisqu'elle est inscrite au casier judiciaire.
Sera-t-il envisagé de mettre fin à la double compétence, civile et pénale, du juge des enfants ? Sur ce point, les commentaires sont unanimes : la justice des mineurs tire sa légitimité de son approche globale, le juge des enfants incarnant son double objectif de protéger et de sanctionner. « Cette double compétence permet aussi de garantir la cohérence dans les différentes dispositions prises pour un même jeune », argumente l'AFMJF.
Autre objectif de la réforme : se conformer aux dispositions de la Convention internationale des droits de l'enfant en fixant un seuil de responsabilité pénale. Alors que cet âge varie de 10 ans en Angleterre à 18 ans en Belgique, il est possible en France de prononcer des sanctions éducatives dès 10 ans et des sanctions pénales dès 13 ans. L'AFMJF préconise que ce seuil ne soit pas fixé en dessous de 13 ans, « dès lors qu'il s'accompagne d'une obligation pour le juge de vérifier que le mineur est bien capable de discernement ». Avant cet âge de responsabilité pénale, la réponse devrait être en premier lieu parentale ou consister en une mesure d'assistance éducative. Si l'âge de responsabilité pénale était finalement inférieur à 13 ans, les professionnels demandent que les sanctions pénales ne puissent être prononcées avant cet âge. S'il n'en est pas question dans la lettre de mission d'André Varinard, ils veulent en outre que l'âge de la majorité pénale qui, conformément à la définition de la Convention internationale des droits de l'enfant, doit correspondre à la majorité civile, ne soit pas abaissé. Pour tenir compte de l'allongement de la période de transition vers l'âge adulte, plusieurs pays, comme l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas, l'Espagne ou encore le Portugal, ont même prévu que les jeunes de moins de 21 ans puissent faire l'objet des mêmes sanctions que les mineurs... Un exemple à suivre dans la perspective d'un futur cadre européen pour la justice des mineurs ?
Auditionnée le 26 juin, la défenseure des enfants « n'est pas opposée au principe d'une révision [du] texte, à condition qu'elle soit globale et qu'elle se situe dans le respect des principes fondamentaux de la justice des mineurs ». Elle recommande de réaliser un « code des mineurs » (rassemblant l'ensemble des dispositions civiles et pénales les concernant), qui constituerait un « véritable engagement d'une politique publique de prévention, de protection et d'accompagnement du mineur dans toutes les circonstances de la vie ».
Afin que les réponses judiciaires s'inscrivent dans un champ plus large de prévention et d'insertion, Dominique Versini suggère, entre autres, de rénover les interventions éducatives en milieu ouvert, en redéfinissant les missions des éducateurs de rue, notamment auprès des moins de 10 ans. Elle propose de déjudiciariser certaines réponses en renvoyant certaines incivilités et petites infractions à l'Education nationale et les contraventions des « quatre premières classes » « à la compétence du maire (au moyen du conseil pour les droits et devoirs des familles) ». Elle préconise par ailleurs de développer les travaux d'intérêt général par une campagne de sensibilisation auprès des collectivités.
Selon la défenseure des enfants, dont les préconisations rejoignent pour la plupart celles des magistrats ou des associations, l'âge du seuil de responsabilité pénale ne devrait pas être inférieur à 13 ans et « pourrait être assorti d'un critère complémentaire de discernement ». L'âge de la majorité pénale devrait rester à 18 ans et la double compétence du juge des enfants maintenue. Les jeunes majeurs de 18 à 21 ans impliqués dans des procédures pénales conjointement avec des mineurs « pourraient être jugés simultanément soit par le tribunal pour enfants, soit par la cour d'assises pour mineurs ». La défenseure demande en outre de dégager des moyens financiers et en personnels pour « exécuter à bref délai » les décisions de justice. Elle souhaite une évaluation des mesures alternatives aux poursuites pour apporter « la démonstration de leur efficacité ». Pour renforcer leur impact, elle préconise que les mesures éducatives puissent être décidées aussi bien par le tribunal pour enfants que par le juge des enfants. Les sanctions éducatives devraient, à son avis, être supprimées, et le stage de formation civique intégré dans le champ de la réparation pénale.
Dominique Versini suggère encore la mise en place dans chaque département d'un « dispositif d'accueil d'urgence et d'évaluation pour mineurs délinquants » et des moyens pour que la protection judiciaire de la jeunesse puisse « faire un plan départemental de lieux alternatifs » à l'incarcération. Toute mesure d'éloignement sous contrôle judiciaire ou de placement dans une structure éducative ou un lieu de privation de liberté devrait « être suivie d'un accompagnement éducatif spécifique pendant trois mois pour encadrer le retour au domicile et dans l'environnement habituel du mineur ». La défenseure préconise également de créer « au sein de chaque tribunal de grande instance un pôle enfance-famille rassemblant et coordonnant les magistrats et les contentieux ayant trait à l'enfant et à la famille ».
Le groupe de travail créé en mai 2007 par l'Uniopss a également sondé le terrain. Il vient d'achever une enquête qui livre un regard pratique, et parfois contrasté, sur la réalité de l'application de l'ordonnance de 1945 (le secteur associatif habilité représente 72 % du dispositif de la justice pénale des mineurs) (5).
Première question : les principes de l'ordonnance de 1945 sont-ils toujours d'actualité ? 72 % des enquêtés répondent par l'affirmative. Pour 46,4 %, ces principes doivent cependant évoluer, même si 82 % estiment que l'évaluation des dispositifs est un préalable nécessaire. Parmi les évolutions souhaitées, 59,3 % jugent qu'il faudrait améliorer les réponses (plus éducatives, importance de la première réponse pénale, revalorisation des mesures permettant l'insertion professionnelle, meilleure personnalisation...), 18,6 % qu'il faut adapter le temps judiciaire (remédier à l'engorgement des tribunaux). Ce qui confirme que, pour les acteurs associatifs, « ce sont bien plus les modalités et les dispositifs qu'il faudrait faire évoluer que les principes fondamentaux, qui eux restent toujours criants d'actualité ».
L'enquête aborde ensuite les relations entre les associations et la justice. 62 % des professionnels rencontrent le juge des enfants plus de quatre fois par an et 22 % entre une et quatre fois. Pour 43 % des sondés, le juge des enfants a une influence sur la politique pénale menée sur le territoire de sa juridiction. L'articulation entre les magistrats - juge des enfants, parquet, juge d'instruction et juge aux affaires familiales -, par ailleurs, est jugée non satisfaisante pour 38,4 % des répondants. Elle l'est seulement pour 25 % d'entre eux. La césure entre les compétences, analyse l'Uniopss, entraîne un manque de cohérence dans la prise en charge, des tensions entre les acteurs, une lenteur dans la transmission des informations... Afin d'y remédier, les professionnels suggèrent de désigner un magistrat coordinateur des magistrats de la jeunesse et de la famille.
La double compétence du juge des enfants est quant à elle largement soutenue (76 %). 10,7 % considèrent néanmoins qu'elle n'est pas pertinente, invoquant son manque de lisibilité et le « mélange des genres ». Les enquêtés sont, en outre, 54,5 % à désapprouver l'expérimentation de la distinction des fonctions pénales et civiles du juge des enfants (6). Très peu de juridictions pour mineurs se sont saisies de cette possibilité, puisque seuls « deux magistrats au tribunal pour enfants de Paris auraient accepté pour démontrer la pertinence de la double compétence », commente l'Uniopss.
Autre volet de l'enquête : la double habilitation. Pour 74,4 % des répondants, très peu d'enfants pris en charge (moins de 10 %) bénéficient d'un double suivi, en assistance éducative et au titre de l'ordonnance de 1945. « Il y a encore peu de territoires qui acceptent le financement de deux mesures », alors que « ce mode d'accompagnement permettrait de mieux travailler sur la «rééducation» du mineur, mais aussi d'agir sur la récidive ». La double habilitation n'a cependant pas que des avantages, une part non négligeable d'enquêtés évoquant les difficultés de communication entre les intervenants et les problèmes de cohabitation entre des publics différents.
L'enquête passe également au crible les différentes catégories de réponse pénale. Les investigations et orientations éducatives (IOE) arrivent en tête des mesures jugées les plus pertinentes pour évaluer la situation d'un mineur (59,7 %), suivies des enquêtes sociales (22,3 %) et du recueil de renseignements socio-éducatifs (11 %). Autre enseignement : les mesures éducatives (admonestation, remise aux parents, liberté surveillée, placement éducatif, réparation, stage de formation civique, mesure d'activité de jour) sont largement plébiscitées : il faut soit les maintenir (42,7 %), soit les développer (57,3 %). Si une grande majorité adhère à l'idée des sanctions éducatives, dans les faits, ces dernières sont finalement peu appliquées, explique l'Uniopss. En 2006, elles représentent en effet 2,2 % des réponses pénales. La très grande majorité des professionnels se prononce en faveur des sanctions pénales, 18,8 % estiment même qu'il faut les développer. Ils sont 89,5 % à vouloir maintenir (63,2 %) ou développer (26,3 %) les centres éducatifs renforcés, 26,3 % à souhaiter supprimer ou réduire les centres éducatifs fermés. Beaucoup ne se sont pas prononcés sur les établissements pénitentiaires pour mineurs. Mais une majorité de ceux qui ont répondu (57 %) juge nécessaire de les maintenir ou les développer. L'Uniopss ne manque pas de relever en la matière une certaine ambivalence des acteurs associatifs : « S'il est plus que nécessaire de bénéficier de structures adaptées aux mineurs dans le cadre des mesures d'enfermement, l'évolution prise depuis ces dernières années par le ministère de la Justice inquiète le secteur associatif, ce qui n'est pas sans contradiction avec le développement par ces mêmes associations de CEF. »
A la question : « Parmi les mesures précitées, lesquelles font apparaître le plus fortement la dimension éducative ? », la réparation pénale est citée en premier (26,2 %). Parmi les répondants, 76,7 % se prononcent d'ailleurs en faveur de son développement. Sont ensuite citées les mesures éducatives (25,6 %), qui devancent les sanctions éducatives (15,7 %) et les sanctions pénales (6,1 %). Les centres éducatifs fermés (6,1 %) et les établissements pénitentiaires pour mineurs (1,6 %) arrivent en dernier.
Quelle cohérence du dispositif actuel de prise en charge ? Pour 45,5 % l'articulation des mesures fonctionne. 54,5 % jugent que la cohérence existe au regard de la progressivité des réponses et 64,3 % qu'elle est aussi respectée sur le plan de la diversification des mesures. Le dispositif est-il pertinent ? Pour une faible majorité (42 %), il n'est plus adapté aux problèmes rencontrés par les mineurs, à cause du caractère tardif de la prise en charge, de la difficulté de coordination entre les acteurs et de la confusion entre les mesures. Pour 40,2 % des répondants, le système mérite d'être simplifié.
La procédure pénale est également critiquée : 37 % des enquêtés indiquent que le délai entre l'acte commis et la prise en charge éducative du mineur se situe entre six mois et un an. La surcharge de travail des magistrats est citée comme la première cause de ce retard (34,5 %). Une large majorité estime par ailleurs que la procédure de présentation immédiate ne permet pas une évaluation suffisante de la situation du mineur. Pour 51 % des répondants, les mesures d'alternative aux poursuites (réparation, médiation pénale, composition pénale) sont pertinentes. La minorité qui estime le contraire (14 %) reproche à ces mesures leur délai de mise en oeuvre, leur dimension parfois trop symbolique ou leur insuffisance pour les mineurs récidivistes. Enfin, 78,6 % sont favorables à l'établissement d'un seuil de minorité pénale (13 ans en général).
M. LB.
(3) Le groupe de travail, créé en mai 2007 et piloté par le pôle « enfance, jeunesse, famille » de l'Uniopss, est composé de Citoyens et justice, la fondation Méquignon, l'Unasea, les Uriopss Bourgogne, Centre et PACA-Corse et d'un représentant de la défenseure des enfants.
(5) 112 questionnaires ont été exploités (30 % de non-réponses), renseignés par des associations de 23 régions, bénéficiant d'une habilitation civile (74 %) ou pénale (65 %). Les réponses proviennent essentiellement de directeurs généraux (70 sur 112).