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Des espaces sociaux communs redynamisent le service à l'usager

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A Rennes, des espaces communs regroupant les services sociaux de la ville, du département, la caisse d'allocations familiales et les centres sociaux accueillent les personnes en difficulté dans un lieu unique. Objectif : améliorer l'accès aux droits sociaux et aux prestations, favoriser le travail en commun des professionnels et promouvoir une autre conception de l'action sociale.

Il est installé au coeur du quartier. L'espace social commun (ESC) du Blosne, à Rennes (Ille-et-Vilaine), voit défiler 250 personnes par jour. Ce bâtiment tout en longueur, qui a ouvert ses portes en février 2006, rassemble une large palette de partenaires : centre départemental d'action sociale (CDAS), centre social, centre communal d'action sociale (CCAS), direction et mairie de quartier, mission locale, services de la caisse d'allocations familiales (CAF). Des permanences associatives sont également assurées (ateliers d'alphabétisation, association de consommateurs, Alcool assistance, Déclic femmes, etc.). Cet espace offre aux habitants de ce quartier populaire - confronté à un fort taux de chômage et de familles monoparentales - la possibilité de trouver en un même lieu une série d'acteurs habituellement dispersés. « Cela permet d'éviter que les personnes fassent des allers-retours d'un service à l'autre et, surtout, de les accompagner dans la globalité et non plus de manière cloisonnée », explique Philippe Caffin, directeur de l'Association pour la promotion de l'action sociale (APRAS), qui a accompagné la mise en place des cinq ESC de Rennes (1). Un sixième espace est en construction dans le quartier des Champs-Manceaux, de manière à couvrir l'ensemble du territoire (2).

Ces espaces sociaux sont le fruit d'un travail en commun engagé dès la fin des années 80 par la ville, le conseil général et la CAF d'Ille-et-Vilaine au sein de l'Instance de concertation de l'action sociale et médico-sociale à Rennes (Icasor). Pour la création du premier ESC dans le quartier Maurepas, en 1997, les trois partenaires ont profité d'une occasion immobilière. Chacun d'entre eux était à la recherche de nouveaux locaux au moment où un vaste espace se libérait dans le quartier. Ils ont donc choisi de se regrouper dans un même lieu, et d'expérimenter autre chose qu'un guichet unique ou une plate-forme de services. « La valeur ajoutée des ESC n'est pas dans le regroupement des services, mais dans l'esprit qu'on veut y insuffler », précise Maria Vadillo, ancienne présidente de l'APRAS. La création de ces structures poursuit ainsi quatre objectifs : simplifier l'accès aux droits sociaux et aux prestations, améliorer les interventions individuelles ou collectives par le travail en commun des acteurs présents sur le site et dans le quartier, soutenir l'expression des habitants et des usagers, et enfin favoriser leur implication dans une démarche de développement local. Ces principes ont été consignés dans une charte des espaces sociaux communs, réalisée en 2003.

Plus de dix ans après l'ouverture de l'espace initial, les deux premiers objectifs - simplification et amélioration des interventions - semblent avoir été atteints. « Les ESC permettent de respecter la personne dans son unité au lieu de la considérer seulement sous l'angle d'une série de problèmes à résoudre », indique Philippe Caffin. La pierre angulaire de ce dispositif repose sur l'accueil des usagers. Son organisation peut varier d'un espace à l'autre, mais il se fonde sur une même exigence : s'assurer que toute personne qui se présente obtient une réponse, une prise de rendez-vous, voire un accompagnement physique vers le service adéquat. « Ce n'est pas seulement de l'accueil directionnel, précise Philippe Caffin. L'agent doit pouvoir comprendre la demande de la personne, l'aider et l'orienter. » L'objectif est d'éviter la déperdition des personnes les plus en difficulté, parfois rebutées par la multiplication des démarches à engager. Cet accueil commun permet également d'offrir un point d'ancrage pour tous les habitants du quartier. « L'ESC devient un lieu phare où les habitants viennent poser toutes sortes de questions », constate Laurence Arenou, responsable des six antennes du CCAS de Rennes et membre du groupe technique de suivi des ESC. Autre avantage : éviter la stigmatisation des personnes en difficulté. « Il est parfois difficile de franchir la porte d'un service social, indique Robert Denieul, directeur du pôle action sociale du conseil général. En entrant dans un ESC, les personnes se sentent moins étiquetées. »

Au sein de l'ESC Kléber, en plein centre ville, l'accueil est commun au CCAS et au CDAS (3). Ces deux services cohabitaient déjà dans le même bâtiment, mais ils disposaient de guichets d'accueil séparés. Après plusieurs mois de travaux, l'ESC Kléber a ouvert en octobre 2005 et dispose désormais d'un hall d'entrée lumineux et accueillant. « Tout a été cassé et repensé, raconte Mary Hercelin, responsable locale du CDAS. On a choisi d'installer un accueil commun et un espace d'attente convivial, qui permet de diminuer l'agressivité des personnes. » Pour Brigitte Gouyer, qui assurait auparavant l'accueil du CDAS, cette transformation a été salutaire. « Désormais, j'ai la satisfaction de me dire que je rends service aux gens, confie-t-elle. Ceux qui viennent ici ne repartent jamais sans une plaquette ou une prise de rendez-vous. Parfois, on passe des coups de fil au tribunal ou au commissariat à leur place. » Une assistante sociale d'astreinte permet également de gérer les situations les plus difficiles.

A l'ESC du Blosne, qui rassemble beaucoup plus de partenaires et emploie une centaine de personnes, le choix a été différent. Un accueil commun au rez-de-chaussée du bâtiment, assuré à tour de rôle par deux personnes du CDAS, du CCAS ou du centre social, renvoie à des accueils propres à chaque partenaire aux étages supérieurs. « On a eu beaucoup de débats à ce sujet, se souvient Brigitte Faleur, responsable locale du CDAS. Etant donné que nous sommes très nombreux, nous avions peur que la population arrive tous azimuts et stagne dans un accueil commun. Avec ces deux niveaux d'accueil, nous constatons une moindre agressivité, car l'accueil assuré en bas a quelque chose d'apaisant. »

Au-delà de l'accueil commun, les partenaires sont davantage amenés à travailler ensemble, tout en conservant leurs compétences propres. « Les ESC ont permis une plus grande rapidité de communication et de connaissance des personnels entre eux », constate Laurence Arenou. Cette meilleure connaissance du rôle de chacun permet d'élargir la palette d'aides disponibles pour l'usager. « Par exemple, un animateur local d'insertion peut diriger un bénéficiaire du RMI vers l'animateur du centre social pour briser son isolement, illustre la responsable des CCAS. Pour les professionnels, il est parfois tellement complexe d'accompagner les publics en difficulté que plus on a de ficelles à tirer, mieux c'est. » Pour Jean-François Coeuret, responsable de secteur à la mission locale du bassin d'emploi de Rennes, qui travaille à l'ESC du Blosne, la demande de la personne se voit « mieux traitée à plusieurs et la réactivité est nécessairement plus forte ».

La présence au sein du même espace permet également de mener des projets communs à deux ou trois partenaires. Par exemple, les antennes du CCAS et de la mission locale du Blosne ont lancé ensemble une opération de « job dating » à destination des publics écartés de l'emploi. Ou encore une action collective sur le surendettement baptisée « Ciel mes factures » réalisée par le CDAS et le centre social.

« On n'est pas seulement un guichet »

L'espace social commun se veut aussi un lieu de vie ouvert sur l'extérieur, pouvant accueillir tous types de publics. « Beaucoup de services très différents cohabitent, explique Christian Mounier, directeur de quartier au sein de l'ESC du Blosne. On trouve une halte-garderie, un centre de loisirs, la protection maternelle et infantile... On n'est pas seulement un guichet pour les personnes en très grande difficulté. » Les centres sociaux, qui proposent des activités à tous les habitants, jouent d'ailleurs un rôle majeur dans l'animation des espaces sociaux communs (4). A l'ESC Kléber, qui ne réunit que le CDAS et le CCAS et ne possède pas de centre social, la volonté de s'ouvrir au quartier est tout de même bien présente. Une commission d'animation rassemble ainsi les deux partenaires et des habitants volontaires pour organiser des projets et les évaluer : lecture de contes, exposition sur la maladie mentale, échanges de savoir, etc. Des cafés-rencontres sont également organisés tous les mois. « On est un espace repérable dans le quartier et on ne reçoit pas uniquement des usagers du service social », se félicite Mary Hercelin.

L'ouverture des ESC à tous les habitants permet, en filigrane, de servir un objectif ambitieux : donner une autre image de l'action sociale, « qui ne soit pas seulement de la réparation », souligne Philippe Caffin. Si les publics en grande difficulté restent prioritaires, l'ESC est en effet conçu comme « un équipement social de proximité proposant des services individuels et collectifs qui tendent à promouvoir la citoyenneté de tous ». Et non comme un « supermarché du social », qui entraverait l'autonomie de la personne en lui offrant tout ce dont elle a besoin sans quitter son quartier. « Mais c'est un risque qu'il ne faut pas négliger », prévient Philippe Caffin.

Malgré ces avancées notables, les ESC sont confrontés à des limites dans leur fonctionnement quotidien. Ainsi, la charge de travail propre à chaque institution et le manque de créneaux communs empêchent les équipes de se mobiliser autour d'actions collectives de plus grande ampleur. « L'articulation entre le temps face au public et le temps consacré à l'interinstitutionnel est une question récurrente », reconnaît Philippe Caffin. « Ce n'est pas évident de partir sur des projets communs à tous les partenaires de l'ESC, ajoute Brigitte Faleur, responsable du CDAS au sein de l'ESC du Blosne. On a des modes de fonctionnement différents d'un service à l'autre et nous n'avons pas les mêmes réalités. Au CDAS, nous sommes une équipe de 50 personnes quand la mission locale ne comprend que quatre salariés. » Et même quand le nombre de partenaires est plus limité, comme à l'ESC Kléber, la culture propre à chaque institution demeure. « On a beau être dans le même espace, on appartient à des institutions qui ont leur logique propre, explique Sébastien Lafont, responsable de l'antenne du CCAS de l'ESC Kléber. On peut parfois être en décalage les uns par rapport aux autres. » Tous les responsables de l'action sociale sur Rennes s'accordent sur ce point : la seule juxtaposition des services ne suffit pas à faire vivre un ESC et les personnels doivent constamment maintenir la dynamique partenariale. « Il faut être très vigilant, car la tendance naturelle d'une institution est de revenir à ses fondamentaux », prévient Maria Vadillo. Même son de cloche à la CAF d'Ille-et-Vilaine : « La réussite des ESC tient au partage du temps, de l'information et des connaissances, affirme sa directrice adjointe, Béatrice Martellière. Or c'est difficile de communiquer quand chacun a le nez dans le guidon » (5). Pour Robert Denieul, « il faut en permanence faire vivre les ESC et les mettre au service d'un projet de territoire ».

Autre défi pour les années à venir, améliorer la place des usagers au sein des ESC. Pour l'heure, les dispositifs existants sont relativement peu nombreux. A Maurepas, une assemblée générale d'usagers est organisée tous les deux ou trois ans, et dans tous les ESC, les habitants sont associés aux animations du centre social, chargé de créer le lien avec le quartier. Reste donc à franchir une nouvelle étape pour que les ESC demeurent ce que Philippe Caffin appelle « un lieu d'expérimentation des formes de l'intervention sociale ».

Notes

(1) L'APRAS a été créée en 1977 par la ville de Rennes, la Caf d'Ille-et-Vilaine et les organismes rennais de logement social. Deux partenaires l'ont rejointe en 2002 : le conseil général d'Ille-et-Vilaine et Rennes métropole. Cette association locale d'appui aux institutions et aux travailleurs sociaux poursuit trois missions : observation des populations et de l'action sociale sur le territoire rennais, animation de projets partenariaux dans le champ du social (notamment les ESC) et animation sociale de proximité (gestion des locaux collectifs résidentiels, fonds d'animation HLM, etc.) - APRAS : 6, cours des Alliés - 35000 Rennes - Tél. 02 99 31 52 44 - contact@apras.asso.fr.

(2) Un travail facilité par l'organisation de l'intervention sociale sur Rennes : celle-ci est découpée en 12 quartiers regroupés par deux. Les services sociaux du département, de la ville, la gérontologie, les directions de quartier (et bientôt la psychiatrie) fonctionnent selon ce découpage.

(3) Il est assuré à tour de rôle par trois agents dépendants du CCAS et du CDAS.

(4) Depuis 2004, les centres sociaux sont gérés par l'Asso-ciation rennaise des centres sociaux, qui réunit la ville de Rennes et la Caf d'Ille-et-Vilaine. Auparavant, seule la Caf en était responsable.

(5) La Caf n'est pas présente dans tous les ESC, dans la mesure où elle dispose déjà d'antennes de proximité à Rennes.

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