« En France, 2007-2008 semble marquer un tournant important » pour l'asile, souligne Forum réfugiés dans son VIIIe rapport annuel (1), rendu public à l'occasion de la journée mondiale du réfugié, le 20 juin : « Les résultats sont bons, avec un taux de reconnaissance à 30 %, très largement supérieur à ceux que l'on observait ces dernières années et qui impacte massivement le nombre de décisions au titre de la convention de Genève prises en Europe. » L'année dernière a cependant connu une nouvelle diminution du nombre de premières demandes d'asile, 23 804 nouveaux dossiers ayant été déposés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), contre 26 269 l'année précédente. Cette baisse de 9,4 % est à relativiser, puisqu'elle atteignait 38 % entre 2005 et 2006. « Toutefois, si le taux de reconnaissance dès l'OFPRA [11,6 %] a légèrement augmenté, c'est encore à la Cour nationale du droit d'asile [CNDA] que le plus grand nombre de cartes a été délivré. » L'achèvement d'un dispositif national d'accueil (DNA), passé de 7 000 places en 2001 à 21 000 en 2008, emporte également « largement l'adhésion des observateurs », selon Forum réfugiés.
Parallèlement à cette augmentation du nombre de places d'hébergement, le DNA a été réformé autour d'une offre de prise en charge systématique dont la compétence a été confiée aux préfets. Deux changements caractérisent en outre cette transformation du dispositif, explique l'association : d'une part la modification du statut des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), adoptée par la loi du 24 juillet 2006, d'autre part la réforme de l'allocation temporaire d'attente (ATA) en 2007. Mais, « malgré la poursuite d'un double mouvement connu depuis plusieurs années, à savoir la baisse des flux d'arrivées des demandeurs d'asile sur le territoire et l'augmentation du nombre de places d'hébergement qui leur sont dédiées, le dispositif national d'accueil ne remplit toujours pas sa mission d'accueil auprès de tous les demandeurs d'asile », juge Forum réfugiés.
Cette conclusion rejoint celle de la Cimade, qui dresse dans un rapport (2) un premier bilan de la réforme du DNA. Depuis un décret du 23 mars 2007, précise-t-elle, l'« offre de prise en charge » par le préfet (dont sont exclues les personnes relevant d'une procédure dite « Dublin II » ou « prioritaire ») conditionne l'accès du demandeur d'asile aux prestations du dispositif d'accueil : si le demandeur l'accepte, le préfet lui indique les CADA susceptibles de l'accueillir, s'il la refuse, il ne peut bénéficier ni de l'ATA, ni de l'entrée en CADA. Alors que cette décision est cruciale, l'offre lui est présentée de manière « courtelinesque », pointe la Cimade, qui déplore un déficit d'information claire et fiable délivrée par les préfectures. En 2007, 13 % des demandeurs ont refusé l'offre, avec toutefois des disparités entre les départements. En Ile-de-France, qui regroupe 43 % des demandeurs d'asile et où le nombre de places en CADA est insuffisant, beaucoup « préfèrent refuser l'offre plutôt que de quitter la région et rompre les liens qu'ils ont pu y créer ». L'enregistre-ment des demandes est en outre devenu une formalité purement administrative accomplie par l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) ou par les plateformes d'accueil, qui ont vu leur rôle d'orientation sociale se réduire. Leur existence même est compromise : « Selon le ministère de l'Immigration, 25 d'entre elles vont être supprimées en 2008 au nom de la rationalisation, de la régionalisation et de la reprise de la mission par l'ANAEM. »
Au total, résume la Cimade, la procédure d'offre de prise en charge « a orienté les faibles moyens consacrés au premier accueil vers l'enregistrement des demandes de CADA mais n'a pas rempli les objectifs fixés par le gouvernement. Le dispositif CADA accueille seulement un tiers des demandeurs d'asile, ce qui est très supérieur aux années précédentes mais loin de l'objectif d'une prise en charge de l'ensemble des demandeurs. » Un autre tiers des demandeurs ne bénéficie que d'une allocation, insuffisante pour survivre et remise en cause par de nouvelles tracasseries juridiques. De fait, l'ATA « est d'un accès compliqué pour les non-initiés et fait l'objet de nouvelles conditions restrictives qui renforcent encore les contrôles et les vérifications », déplore le rapport. Les Assedic, qui versent l'allocation, doivent régulièrement vérifier que le demandeur est toujours titulaire d'une autorisation de séjour, si sa demande n'a pas fait l'objet d'une décision définitive, s'il n'a pas été admis en CADA ou au contraire s'il a refusé une place. Dans la pratique, les Assedic exercent ce contrôle tous les mois et n'hésitent pas à interrompre les versements quand les intéressés ne sont pas en mesure de présenter les justificatifs demandés, lesquels, qui plus est, varient d'une antenne à l'autre...
La Cimade évoque encore les contraintes pesant sur les CADA, qui ont perdu leur statut de centre d'hébergement et de réinsertion sociale et subissent des injonctions « afin de réduire leur mission à l'hébergement et à l'accompagnement social et juridique minimal des demandeurs d'asile ». Autre pression auxquelles doivent résister leurs équipes : le logiciel de gestion du dispositif national d'accueil géré par l'ANAEM devient, d'outil de gestion des places vacantes, « un outil de contrôle des CADA et des personnes qui y sont accueillies ». Ces lieux, observe la Cimade, arrivent néanmoins à rester, malgré la faiblesse de leurs moyens, « des lieux d'accueil et d'insertion des demandeurs d'asile, en dépit des consignes officielles. Mais l'accélération des procédures d'asile souhaitée par le gouvernement et les nouvelles obligations de «fluidité» pourraient remettre en cause ce travail. » Pour « sortir par le haut » les déboutés, la plupart des CADA ont notamment noué des relations avec les services préfectoraux pour obtenir leur régularisation. Mais les démarches se compliquent, le nouveau délai dont les déboutés disposent pour rester en CADA (un mois) n'étant pas compatible avec la durée d'examen des titres de séjour.
Le dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile est donc à la croisée des chemins, conclut la Cimade : « soit il reste un instrument d'insertion des demandeurs d'asile, soit il devient, et ce, malgré la volonté des acteurs, un dispositif de quarantaine, de surveillance, voire d'assignation à résidence, comme c'est le cas en Allemagne ». Aussi l'organisation rappelle-t-elle ses préconisations formulées en 2007, parmi lesquelles l'accompagnement social et juridique pour l'ensemble des demandeurs, le droit au travail effectif, le maintien de la possibilité laissée au demandeur de choisir son hébergement et le renforcement du dispositif d'hébergement des réfugiés.
(1) L'asile en France et en Europe - Etat des lieux 2008 - Bientôt disponible sur
(2) Un accueil sous surveillance - Enquête sur la réforme du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile - Juin 2008 - Disponible sur