Recevoir la newsletter

Quelle reconnaissance pour le conjoint de l'assistante familiale ?

Article réservé aux abonnés

Les textes relatifs à la profession d'assistant familial ignorent les conjoints - des hommes dans leur immense majorité - qui contribuent pourtant de façon capitale à la qualité de l'accueil des enfants et des jeunes en difficulté. Sortir de l'ombre devient cependant un enjeu pour un nombre croissant d'entre eux, relève Gilles Allières, adjoint de direction à l'Institut pour le travail éducatif et social (ITES) de Brest, qui prépare une thèse de sociologie sur les familles d'accueil (1).

« «Faire» famille d'accueil, c'est exercer une pratique de travail social essentiellement familiale, par et dans la famille. C'est sans doute là ce qui fait l'originalité de la pratique.

Contrairement aux apparences, malgré le silence des textes législatifs et réglementaires, aux antipodes de la considération générale, l'expérience et les savoirs techniques accumulés concernant l'accueil familial nous portent à croire que le conjoint (2) est un maillon essentiel de cette «entreprise conjugale et familiale». D'où l'intérêt de montrer la part qu'il y prend alors que les nouveaux textes sur la profession d'assistante familiale (3), s'ils font référence (rarement) à la famille d'accueil, ignorent superbement, autant que les précédents, le conjoint.

L'accueil familial est une mission partagée entre singulier et pluriel : si une personne est agréée, c'est d'abord et spécialement toute la famille qui est recrutée. On peut la qualifier de «collectivité altruiste», où tout un chacun est censé participer à la cause commune de la fonction d'accueil, les adultes au premier chef. Il est étonnant d'observer, à la consultation des documents faisant référence à la famille d'accueil, combien sont concrètement absents les membres qui la constituent : on y parle d'«assistante familiale» ou de «famille d'accueil». Mais ces propos trop souvent globalisants ne sont pas satisfaisants car ils ne rendent jamais identifiables les personnes qui la composent et leurs rôles. Ils produisent même de l'invisibilité par amalgame, au risque - professionnel - de la confusion et de l'irréalisme.

Alors, famille d'accueil ou assistante familiale ? Le dilemme est omniprésent dans ce secteur d'activité et dans les écrits qui accompagnent ses évolutions. Aucune des deux pistes ne permet de prendre la mesure de ce «tout agissant». Pourtant, compte tenu de l'engagement implicite et explicite de chacun, parler de «famille d'accueil», à condition d'y impliquer les individualités qui la composent, paraît moins abusif que de limiter l'appellation de cette forme d'accueil à la seule assistante familiale.

La famille, « sujet collectif »

Insistons en effet sur l'extraordinaire réalité de cette famille d'accueil qui exerce pour la protection de l'enfance : la participation du collectif et des individualités qui le composent à la fonction, eux-mêmes entièrement fondus dans l'appellation «famille d'accueil». Et il semble bien que les individus qui constituent ces familles aient intégré cet amalgame où élément et ensemble sont certes tressés, mais aussi engloutis l'un par l'autre. Ainsi, très fréquemment, les assistantes familiales disent de leur expérience : «Je suis (ou je fais) famille d'accueil» ; et les enfants de familles d'accueil de se présenter à autrui en disant «Nous faisons famille d'accueil». C'est sans doute «l'esprit de famille», tel que l'entend Pierre Bourdieu (4), qui produit l'effet selon lequel «la famille agit comme une sorte de sujet collectif».

La famille d'accueil présente la particularité d'une fusion permanente des dimensions familiale et professionnelle. Dans ce contexte original, qu'en est-il pour le conjoint de l'assistante familiale de sa participation effective et sans doute de son invisibilité sociale ? Pourquoi cet homme doit-il contribuer autant à la fonction professionnelle de son épouse ?

La question renvoie bien sûr aux canons de la famille «idéale» qui dominent dans notre société et au rapport qu'entretient la famille d'accueil avec celle-ci. Pour être de «bons parents», il est explicitement commandé au couple parental - forcément hétérosexuel - d'être présent, dans ses deux composantes, auprès de son enfant. L'accueil familial rejoue (en partie) la scène familiale traditionnelle dont la distribution métaphorique se limite à un couple parental et ses enfants.

Renforcés dans cette famille professionnalisée, ces critères caractérisant la qualité parentale, trop souvent nébuleux et polysémiques, seront néanmoins contrôlés, critiqués, encouragés, évalués publiquement (5). D'où l'impérative nécessité d'être bon là où on s'est engagé socialement et professionnellement ! Et pour satisfaire à la commande, être à la hauteur de la mission confiée, c'est à plusieurs qu'il convient de contribuer à la tâche imposante que représente l'accueil d'enfants et/ou d'adolescents relevant des services de la protection de l'enfance. Le conjoint de la personne salariée se retrouve donc également en première ligne de cette organisation.

De toutes les manières que l'on aborde le sujet, au contact des couples rencontrés, apparaît cette participation masculine fortement exprimée, affirmée, et qui, pour tous, constitue une évidence. Le conjoint est ouvertement partie prenante. D'ailleurs, pour que son épouse soit recrutée, il doit désormais être a priori motivé et solidaire de ce projet qui va conditionner la vie des acteurs.

Quand les assistantes familiales ont l'occasion de prendre la parole pour évoquer la part prise par leur conjoint dans l'aventure, elles témoignent généralement avec des termes qui traduisent beaucoup de respect et d'admiration pour la place qu'ils occupent dans la fonction d'accueil.

Cette part qu'ils prennent dans la division des tâches induites par le métier ne saurait dissimuler celles d'étayage et d'auxiliariat qui, moins visibles encore, répondent cependant au besoin, dans le sens où ils soulagent manifestement les intéressées par leur contribution.

Les témoignages qui illustrent l'omniprésence des conjoints auprès de leurs épouses dans cette situation d'accueil familial permanent sont légion. Ils disent tous les efforts, la permanence, la continuité du rôle tenu par ces hommes qui relève, semble-t-il, d'une forte affirmation identitaire conjointe : «nous sommes famille d'accueil !» ou encore «je suis le mari de...» Ces conjoints expriment également quelques relents protestataires et revendicatifs - à la marge mais quand même - relatifs à l'absence de reconnaissance dont ils s'estiment victimes.

L'immersion de l'homme dans le projet professionnel porté par l'épouse est totale. D'ailleurs, le discours sur l'action traduit l'appropriation et l'intégration de cet engagement comme allant de soi. La dépense d'énergie de ces hommes, considérable, n'en est pas moins bénévole. Ils la mettent à disposition de leur épouse, et contribuent concrètement à la qualité du fonctionnement quotidien de l'accueil d'enfants en difficulté. Finalement, le processus de professionnalisation «oublie» manifestement et consciencieusement les acteurs familiaux, dont les conjoints principalement. «La motivation ultime de cette nonreconnaissance est sans doute financière : ne pas les reconnaître, c'est ne pas avoir à les payer», relève le sociologue Gérard Neyrand (2).

Double activité

Les maris des assistantes familiales que nous avons rencontrés, mais c'est le cas dans l'extrême majorité des situations au plan national, occupent une place dans le monde du travail, doublée d'une activité intense de participation concrète à l'accueil familial dans le cadre de la protection de l'enfance. Ces hommes sont donc doublement actifs : à l'extérieur et à l'intérieur du domicile familial. Alors que pour le commun, à la journée professionnelle succède généralement la détente ou tout au moins un changement de rythme dans le cadre familial, le travail, pour le conjoint de l'assistante familiale, continue au-delà du temps salarié, ce qui laisse objectivement peu d'espace et de temps aux activités personnelles. Suit logiquement la question de la gestion de la vie privée, dans l'espace domestique cependant professionnalisé de la famille d'accueil. Mais cela est une autre histoire...

Il reste que sortir de l'ombre et de l'anonymat est devenu un enjeu aujourd'hui, que l'on peut notamment repérer via les demandes d'agrément que formulent les conjoints d'assistantes familiales. Des interrogations surgissent : les familles d'accueil avec double agrément ne vont-elles pas alors ressembler à des lieux de vie ? Un homme peut-il faire fonction d'assistant familial ? N'est-ce pas «contre nature» ? Et la reconnaissance est-elle en route ? »

Contact : ITES - 170, rue Jules-Janssen - ZAC Kergaradec - 29806 Brest cedex 9 - Tél. 02 98 34 60 60 - E-mail : g.allieres@ites-formation.com.

Notes

(1) Il travaille actuellement sur la masculinisation de l'accueil familial.

(2) L'auteur a identifié l'homme comme conjoint afin de correspondre à la réalité la plus répandue en France.

(3) Voir ASH n° 2481 du 1-12-06, p. 23.

(4) A propos de la famille comme catégorie réalisée, in Actes de la recherche en sciences sociales n° 100, décembre 1993.

(5) Parmi les nouveaux critères de recrutement, la loi du 27 juin 2005 prévoit notamment celui de l'évaluation des qualités éducatives des postulants.

(6) Dans la revue Dialogue n° 167/2005 - « Parentalité et famille d'accueil » - Ed. érès.

TRIBUNE LIBRE

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur