Le ministre du Travail a présenté en conseil des ministres, le 18 juin, le projet de loi transposant la « position commune » du 9 avril dernier sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme (1), signée par la CGT, la CFDT, le Medef et la CGPME. Ce texte comporte deux parties bien distinctes, l'une consacrée à la rénovation des règles de la démocratie sociale (voir ce numéro, page 8), l'autre s'attachant à offrir plus d'espace à la négociation d'entreprise ou de branche dans l'organisation et l'aménagement du temps de travail dans les entreprises. Si, sur la première partie, il reste fidèle à la « position commune », c'est loin d'être le cas sur la seconde, le projet gouvernemental allant beaucoup plus loin et provoquant l'ire des syndicats signataires de ce texte.
La volonté du gouvernement est de réformer largement les règles issues des 35 heures pour favoriser une organisation du temps de travail adaptée à chaque entreprise. Le projet de loi s'attache donc à offrir plus d'espace à la négociation d'entreprise ou de branche sur ce sujet. Et vise « à mettre en oeuvre une simplification et à donner une plus grande souplesse donnant toute sa place à la négociation collective, tout en maintenant dans la loi les principes fondamentaux du droit de la durée du travail », a expliqué Xavier Bertrand devant la commission nationale de négociation collective, le 11 juin. « Les règles en matière de repos (2) et de durées maximales (3) demeurent ainsi inchangées, de même que la durée légale de 35 heures (1 607 heures par an) qui constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et de leur taux de majoration. »
Actuellement, un salarié ne peut pas refuser d'accomplir les heures supplémentaires que son employeur décide de lui faire effectuer, dans la limite du contingent conventionnel ou, à défaut, réglementaire (220 heures par salarié et par an) dont ce dernier dispose, et après information de l'inspection du travail et des représentants du personnel. Au-delà de ce contingent, les heures supplémentaires ne peuvent en principe être effectuées que sur autorisation de l'inspecteur du travail, après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, sauf si l'entreprise est couverte par un accord ayant instauré un régime d'heures supplémentaires « choisies » (4). En tout état de cause, ces heures donnent lieu à une majoration de salaire dont le taux - qui ne peut pas être inférieur à 10 % - est fixé par accord collectif (de branche étendu, d'entreprise ou d'établissement). A défaut d'accord, la majoration à retenir est fixée à 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires (de la 36e à 43e heure incluse), et à 50 % à partir de la 44e heure. Elles ouvrent par ailleurs droit pour le salarié à un repos compensateur obligatoire. Ce dispositif est modifié sur plusieurs points par le projet de loi. D'abord, disparaîtrait du code du travail la notion de « repos compensateur obligatoire », le projet de loi évoquant seulement une « contrepartie obligatoire en repos » pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel, dont le niveau serait fixé par accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, de branche (ou par décret, à défaut d'accord collectif). Ensuite, l'autorisation administrative actuellement obligatoire pour dépasser le contingent serait supprimée, tout comme le dispositif des « heures choisies », devenu sans objet. En plus des majorations salariales, les « conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que [...] la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà de [ce] contingent » seraient fixées par accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, de branche. Cet accord serait valide s'il est signé par un ou des syndicats de salariés ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des représentants du personnel et en l'absence d'opposition d'un ou de plusieurs syndicats de salariés ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés (50 % au moins des voix, donc). A défaut d'accord collectif, le contingent annuel et la contrepartie obligatoire seraient déterminés par décret. Les accords relatifs au contingent annuel d'heures supplémentaires déjà signés resteraient en vigueur jusqu'au 31 décembre 2009, « dans l'attente de leur adaptation au nouveau cadre légal ». Pendant cette période transitoire, la contrepartie obligatoire en repos resterait de 50 % pour les entreprises de 20 salariés au plus et de 100 % pour celles de plus de 20 salariés.
Le projet de loi prévoit aussi de donner une place plus importante à la négociation d'entreprise pour aménager le temps de travail. Est ainsi prévue la création d'un nouveau mode unique d'aménagement négocié du temps de travail qui se substituerait aux modes actuels (modulation, temps partiel modulé, travail par cycle, etc.), avec des « règles beaucoup plus souples », précise l'exposé des motifs. Ainsi, un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, de branche pourrait définir les modalités d'aménagement du temps de travail et organiser la répartition de la durée du travail sur tout ou partie de l'année. Cet accord fixerait notamment - outre les limites pour le déclenchement des heures supplémentaires, dans le respect de la durée légale - un délai de prévenance en cas de changement de durée ou d'horaires qui, sauf stipulation contraire, serait de sept jours. A défaut d'un tel accord, les modalités et l'organisation de la répartition de la durée du travail sur plusieurs semaines seraient définies par décret.
Le projet de loi pérennise par ailleurs la possibilité pour le salarié, en accord avec son employeur, de convertir, en tout ou partie, son repos compensateur de remplacement en une majoration de salaire. Une possibilité ouverte, à titre expérimental, du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, par la loi pour le pouvoir d'achat du 8 février dernier (5).
Les règles sur les forfaits annuels en jours ou en heures seraient également retoquées. Les forfaits annuels en heures nécessiteraient toujours un accord collectif (d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, de branche), mais ne seraient plus réservés aux cadres intermédiaires (ou autonomes) et aux « itinérants » non cadres dont le temps de travail ne peut pas être prédéterminé ou qui disposent d'une réelle autonomie dans leur organisation. Le projet de loi dispose en effet que l'accord « prévoit les catégories de salariés susceptibles de bénéficier » du dispositif, qui sera ouvert à tous ceux « qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps ». Il précise que la rémunération des salariés sera au moins égale à celle qu'ils recevraient compte tenu du salaire minimum conventionnel applicable dans l'entreprise et des majorations pour heures supplémentaires. Les forfaits annuels en jours - dont les bénéficiaires sont inchangés - nécessiteraient comme aujourd'hui un accord collectif (d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, de branche) fixant le nombre annuel maximal de jours travaillés qui - et c'est là une nouveauté -, « dans le respect des dispositions relatives aux repos quotidien et hebdomadaire et aux congés payés », pourrait excéder 218 jours. A défaut d'accord, c'est l'employeur qui fixerait ce nombre annuel maximal, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel lorsqu'ils existent. En outre, le salarié volontaire pourrait travailler au-delà de la durée annuelle fixée par la convention individuelle de forfait ou renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de son salaire négociée avec l'employeur et qui ne pourrait être inférieure « à la valeur afférente à ce temps de travail supplémentaire majorée de 10 % » (6).
(2) Tout les salariés ont droit en à un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 24 heures consécutives, et en principe donné le dimanche. Aux 24 heures consécutives, s'ajoutent les 11 heures de repos quotidien, ce qui aboutit à un total de 35 heures consécutives de repos.
(3) 10 heures par jour ; 44 heures hebdomadaires calculées sur une période quelconque de 12 semaines (ou 46 heures hebdomadaires sur une période de 12 semaines consécutives dans le cadre d'un décret pris après conclusion d'un accord de branche) ; 48 heures par semaine. Des durées maximales spécifiques sont fixées pour les jeunes salariés de moins de 18 ans.
(4) Lorsqu'un accord collectif de branche, de groupe, d'entreprise ou d'établissement le prévoit, un salarié qui le souhaite peut actuellement, en accord avec son employeur, effectuer des heures supplémentaires, dites « choisies », au-delà du contingent d'heures supplémentaires applicables dans l'entreprise ou dans l'établissement.
(6) Il s'agirait là de pérenniser le dispositif prévu par la loi du 8 février 2008 pour le pouvoir d'achat, pour les jours de repos acquis jusqu'au 31 décembre 2009 - Voir ASH n° 2544 du 8-02-08, p. 13.