La « grande loi pénitentiaire » n'aura définitivement pas lieu, se désolent les professionnels et les associations qui interviennent au sein des prisons. En effet, estime Emmaüs France, l'avant-projet de loi présenté le 12 juin au Comité d'orientation restreint (COR) chargé de préparer la réforme (1) est « très loin des nombreuses recommandations faites par des rapports publics ou par les états généraux de la condition pénitentiaire tenus en 2006 ». Et malgré des avancées sur la détention provisoire, les aménagements de peine et l'exercice de certains droits, il « ne permettra aucunement de résoudre les graves problèmes que connaissent depuis de nombreuses années les prisonniers ». Le texte est notamment « silencieux sur la formation en prison, sauf à en transférer la charge éventuelle aux collectivités locales », ou encore « indigent sur la question de la santé ». Sans compter les impasses sur les préconisations du COR : l'obligation pour les communes et collectivités d'offrir des places de travail d'intérêt général ou de placement extérieur, l'amélioration des droits des étrangers, le droit à une expression collective pour les détenus. L'octroi du RMI aux personnes incarcérées, pourtant souhaité par la garde des Sceaux et le Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, a visiblement fait les frais des arbitrages de Bercy et de Matignon : « Comment dans ce cas espérer diminuer le taux de 35 % de détenus «indigents» ? », s'irrite Patrick Marest, délégué national de l'Observatoire international des prisons (OIP). Ce dernier dénonce plus globalement un « détournement de l'objet social » de la loi et une « réforme à droit constant ». Celle-ci, estime-t-il, comporte même des régressions, puisqu'« elle consacre des pratiques illégales, comme les fouilles corporelles, en renvoyant à des décrets la définition des atteintes aux droits des personnes ».
Autre sujet d'indignation : l'avant-projet de loi prévoit un nouveau report de la mise en oeuvre de l'encellulement individuel des prévenus. Associations et syndicats crient encore plus à « l'entourloupe » au vu du décret du 10 juin (voir ce numéro, page 15), qui risque de compromettre à leurs yeux l'application de ce principe consacré par la loi depuis 1875 et promis par la garde des Sceaux quelques jours avant la parution du texte. Selon la procédure de demande d'encellulement individuel des prévenus fixée par le décret, le délai dans lequel le chef d'établissement devra informer l'intéressé de ses propositions est de deux mois, auxquels il faut ajouter le temps nécessaire aux autres étapes du cheminement du dossier. « Sachant que la durée moyenne de détention d'un prévenu est de quatre mois et que les deux tiers font moins, seul un tiers auront une chance de voir aboutir leur demande avant leur sortie, décrypte Patrick Marest. Ceux-là auront le choix entre le respect de leur intimité, de leur dignité, et le maintien de leurs liens familiaux », puisqu'il leur sera proposé un transfèrement là où il sera possible d'accéder à leur requête. Avec le risque de voir finalement les prévenus découragés de formuler une demande, et le principe de l'encellulement individuel disparaître des priorités pendant l'examen au Parlement du projet de loi pénitentiaire...
A ces questions s'ajoutent des obstacles arithmétiques. Les maisons d'arrêt, qui concentrent les problèmes de surpopulation carcérale, comptent aujourd'hui 43 500 détenus, dont 17 500 prévenus, seuls concernés par le décret. Or elles ne contiennent que 22 300 cellules dont, selon l'OIP, 20 000 individuelles. Quid du sort des condamnés ? L'article 717-2 du code de procédure pénale prévoit que ces derniers sont également « soumis, dans les maisons d'arrêt, à l'emprisonnement individuel de jour et de nuit ». Une équation que le gouvernement espère résoudre en désengorgeant les prisons grâce à l'instauration de l'assignation à résidence sous surveillance électronique pour les prévenus.