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L'hébergement, un droit inconditionnel

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L'évolution récente de la législation, qui a renforcé le droit à l'hébergement et les prérogatives des usagers des établissements sociaux et médico-sociaux, contraint le secteur de l'hébergement social à rompre avec le modèle paternaliste qui a longtemps prévalu. Pour autant, souligne Jean-Jacques Deluchey, directeur adjoint d'un CHRS dans la Seine-Saint-Denis, cette mutation reste incomplète et se heurte aux usages institués.

« Eminent philanthrope de la première moitié du XIXe siècle, le baron Jean-Marie de Gérando considérait que les pauvres n'étaient pas en pleine capacité d'adopter spontanément des comportements rationnels. Aussi préconisait-il que l'octroi d'aides matérielles soit subordonné à un effort de relèvement du bénéficiaire, patronné par un bienfaiteur éclairé (1). Cette théorie paternaliste a large-ment influencé l'action sociale et semble être encore très prégnante notamment en matière d'hébergement. En effet, dans de nombreux établissements, l'admission du demandeur est conditionnée à son adhésion à un accompagnement social.

Au début des années 50, l'instauration de l'aide sociale à l'hébergement a permis le développement d'un dispositif d'accueil destiné à ceux qui étaient qualifiés à l'époque d'«inadaptés sociaux». Dans ces établissements, les personnes accueillies se trouvaient dans l'obligation de participer aux frais de fonctionnement, soit en fournissant un travail, soit en versant une participation financière, et de s'inscrire dans une démarche de «réadaptation sociale» visant le retour à l'emploi.

Depuis, les modalités d'accueil ont évolué. Néan-moins, l'accès à un hébergement stable et convenable reste toujours soumis à conditions. Dans les structures dites «d'insertion», généralement agréées «centres d'hébergement et de réinsertion sociale» (CHRS), l'admission et le maintien de l'hébergement sont strictement subordonnés au bon déroulement de l'accompagnement social proposé par l'établissement. Dans les centres de stabilisation, les dispositions en vigueur sont encore extrêmement variables d'un établissement à un autre. Néanmoins, la majorité semble appliquer la fameuse clause d'adhésion. Quant aux centres d'hébergement d'urgence, le plus grand nombre propose de façon quasi inconditionnelle un gîte de piètre facture sans prestation de soutien social. Les mieux pourvus disposant d'une équipe de travailleurs sociaux ont eu tendance à s'inspirer de la pratique dominante dans les centres d'hébergement d'insertion. Cet usage a été étendu à certaines résidences sociales. Bien que la circulaire du 4 juillet 2006 qui les concerne (2) indique que l'accompagnement social ne doit en aucun cas être systématique et obligatoire, de nombreux établissements imposent cette prestation durant la totalité du séjour.

Promue par les organismes gestionnaires, bien acceptée par la puissance publique et peu remise en cause par les autres acteurs de l'action sociale (3) à l'exception des associations de personnes sans logis, la théorie du baron appliquée à l'hébergement social était promise à un bel avenir.

Cependant, l'évolution récente de la législation, qui renforce non seulement le droit à l'hébergement mais aussi les prérogatives des usagers des établissements et services sociaux et médico-sociaux, autorise à penser qu'une rupture a été opérée avec le modèle d'obédience paternaliste.

Un droit longtemps théorique

Avant l'adoption de la loi du 5 mars 2007, relative au droit au logement opposable, le droit à l'hébergement était fragile. En effet, l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles (CASF) avait vocation à garantir l'accès des personnes et des familles en grande difficulté aux places d'hébergement conventionnées à l'aide sociale et gérées par les CHRS. Nonobstant, faute d'une réelle volonté politique et d'une capacité d'accueil suffisante, cette disposition est restée théorique. Bien que préconisant une admission inconditionnelle et immédiate, les circulaires et autres opus technocratiques relatifs à l'hébergement d'urgence n'ont pas eu d'incidences effectives pour des raisons identiques.

La loi du 5 mars 2007 a notablement consolidé le droit au logement mais aussi à l'hébergement (4). Ses articles 7 et 9 stipulent que toute personne sans abri peut introduire un recours amiable et, si nécessaire, juridictionnel en vue de bénéficier d'un hébergement social ou d'un logement temporaire. Par ailleurs, la commission de médiation et le juge administratif ont la possibilité de requalifier un recours relatif au logement et de proposer une orientation dans une structure d'hébergement ou de logement temporaire. Selon les termes du décret du 28 novembre 2007 (5), les commissions de médiation disposent de six semaines pour traiter les recours relatifs aux demandes d'hébergement. Par ailleurs, les préfets de département sont tenus de proposer dans un délai identique un accueil adapté aux ménages bénéficiant d'une décision d'hébergement prioritaire. En l'absence de proposition, les intéressés pourront introduire un recours contentieux dès le 1er décembre 2008. Enfin, l'article 4 de la loi a instauré le principe de continuité. Ainsi, toute personne accueillie en hébergement d'urgence peut exiger de conserver sa place dans l'attente d'une proposition d'orientation durable et adaptée à sa situation.

En aucune manière la loi ne conditionne le droit à l'hébergement à l'établissement d'un contrat d'insertion ou à la mise en place d'un d'accompagnement social. La circulaire du 19 mars 2007 relative à la mise en oeuvre du principe de continuité dans la prise en charge des personnes sans abri (5) ainsi que les premières décisions d'hébergement prioritaire rendues par les commissions de médiation tendent à confirmer ce point.

La circulaire indique notamment les conditions dans lesquelles les établissements peuvent mettre un terme à une prise en charge. Selon ce document d'une portée somme toute limitée, une interruption de l'hébergement d'urgence pourrait être envisagée dès lors que la personne accueillie n'occuperait pas la place proposée, adopterait des comportements violents ou refuserait les entretiens d'évaluation/orientation. Le refus de l'accompagnement social n'est pas évoqué. Seuls les entretiens afférents à l'évaluation ou l'orientation présenteraient donc un caractère obligatoire.

Dans le cadre du recours amiable, le dossier relatif aux demandes d'hébergement ne fait pas mention de l'obligation d'adhésion à un quelconque soutien social. Par ailleurs, les commissions de médiation n'ont pas subordonné leurs décisions à une condition particulière relative à l'accompagnement social. Ainsi, les ménages bénéficiaires d'une décision d'hébergement prioritaire seraient en droit d'accéder à un hébergement sans pour autant adhérer à l'accompagnement social prévu conjointement.

Il est probable que les centres d'hébergement rechignent à admettre ces personnes. Anticipant les éventuelles résistances, certains préfets de département envisagent d'utiliser leur droit d'admission à l'aide sociale à l'hébergement. Rarement appliquée, cette disposition les autoriserait à imposer l'accueil d'un ménage dans un centre d'hébergement conventionné à l'aide sociale. Ce détail révèle un changement d'attitude de la puissance publique : jusqu'à présent, les représentants de l'Etat avaient toléré les critères d'admission posés par les établissements d'hébergement. Depuis l'entrée en vigueur du droit à l'hébergement opposable, cette tolérance est partiellement reconsidérée, tout au moins pour les ménages bénéficiant d'une décision favorable des commissions de médiation.

La réglementation spécifique à l'hébergement confirme l'absence de restriction opposable à ce droit créance. Les circulaires relatives à l'hébergement d'urgence ont maintes fois rappelé le caractère inconditionnel de cette prestation. Pour ce qui concerne les CHRS, le dernier alinéa de l'article R. 345-4 du CASF dispose que ces établissements se trouvent dans l'obligation de fournir sans délai un soutien aux personnes accueillies en vue de l'ouverture de leurs droits sociaux, en particulier en matière de ressources et de couverture médicale. Fournir un soutien social ne semble pas pour autant autoriser l'établissement à conditionner l'hébergement au bon déroulement de ce service.

Le droit à l'hébergement et les pratiques subséquentes contrarient l'usage hérité des théories de la philanthropie du XIXe siècle. Sans compter que la loi du 2 janvier 2002 a aussi rompu avec les références paternalistes. Placé au coeur du système de prise en charge, l'usager est avant tout considéré dans sa dimension d'acteur rationnel capable de définir sa situation, ses besoins et d'opérer des choix pertinents. Il découle logiquement de ces considérations le droit à une prise en charge adaptée respectant le consentement éclairé du bénéficiaire, y compris en matière de définition des prestations servies par la structure d'accueil durant le séjour.

Exigence abusive

Le principe du libre choix est renforcé par le droit à la renonciation énoncé dans la charte des droits et libertés de la personne accueillie. Cette disposition prévoit que l'usager peut à tout moment renoncer aux prestations dont il bénéficie ou en demander le changement dans le respect des décisions de justice ou mesures de protection judiciaires, des décisions d'orientation et des procédures de révision existant en ces domaines.

L'articulation de ces prérogatives impose aux établissements sociaux et médico-sociaux une vigilance toute particulière. En effet, la mise en oeuvre systématique ou imposée de services s'avère proscrite. A l'inverse, les institutions ont obligation de rechercher la participation et l'avis des personnes concernées pour toutes les questions relatives à leur séjour.

La législation récente a consolidé les droits créances et les libertés des personnes susceptibles de bénéficier d'un hébergement social. Actuel-lement, subordonner l'hébergement à un accompagnement social constitue probablement une exigence abusive, voire une atteinte aux prérogatives des usagers. Loin de faire l'unanimité dans le petit monde de l'action sociale, cette évolution se heurte aux conceptions et usages institués de longue date. Ainsi, le principe de subordination de l'aide matérielle au suivi social reste malgré tout en vigueur au sein du dispositif d'hébergement et de logement temporaire. Quid des droits et obligations effectifs des parties concernées par l'hébergement social ? Une certaine incertitude subsiste. En l'absence d'éclaircissements, les malentendus entre les usagers, les gestionnaires d'établissement et les représentants de la puissance publique risquent fort de perdurer au détriment du bon déroulement des prises en charge. Aussi conviendrait-il que le législateur précise par le détail sa conception du droit à l'hébergement social. »

Contact : jjdeluchey@wanadoo.fr.

Notes

(1) Le visiteur du pauvre , première édition parue en 1824.

(2) Voir ASH n° 2468 du 8-09-06, p. 11.

(3) Une fiche technique relative à l'habitat publiée en 2004 par la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) précise cependant, à propos du contrat d'hébergement, qu'il s'avère impossible de « lier un droit d'occupation à un engagement moral ou à des clauses d'insertion ».

(4) Voir ASH n° 2496 du 2-03-07, p. 21.

(5) Voir ASH n° 2534 du 7-12-07, p. 19.

(6) Voir ASH n° 2500-2501 du 30-03-07, p. 5.

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