Des avancées qui répondent à l'objectif de mise en conformité avec les règles pénitentiaires européennes, mais trop peu pour limiter l'incarcération et faciliter la réinsertion, donc prévenir la récidive. C'est le sentiment que suscite, chez les deux principaux syndicats pénitentiaires - l'UGSP (Union générale des syndicats pénitentiaires)-CGT et le Snepap (Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire)-FSU - et le Syndicat de la magistrature, l'avant-projet de loi pénitentiaire, pourtant très attendu. Après avoir été soumis au Conseil d'Etat, le texte, qui devrait être examiné au Parlement avant la fin de l'année, devait être présenté aux membres du Conseil d'orientation restreint (COR) le 12 juin. Ce qui a sans doute précipité son dévoilement.
La déception est à l'image de l'accueil qu'avaient déjà réservé les professionnels aux travaux du COR, remis en novembre 2007 (1). Plusieurs dispositions permettent néanmoins des progrès pour les droits des prisonniers et leurs conditions d'incarcération. Ainsi, pour toucher leurs prestations sociales en cas d'absence de domicile et exercer leurs droits civiques, les détenus pourraient être domiciliés auprès de l'établissement pénitentiaire. Le texte prévoit que les relations de travail des personnes incarcérées avec l'administration pénitentiaire « ne font pas l'objet d'un contrat de travail » mais d'un « acte d'engagement professionnel » qui fixerait les obligations, les conditions de travail et de rémunération des détenus. Les condamnés à plus de deux ans d'emprisonnement, et non plus seulement à de longues peines, auraient accès aux unités de visites familiales. Mais globalement, « le texte se contente de reproduire les règles européennes », déplore le Syndicat de la magistrature, qui dénonce des droits encore limités et trop de dérogations à leur application.
Selon le texte, le détenu pourrait être placé en cellule disciplinaire ou à l'isolement « pour une durée n'excédant pas 21 jours » contre 45 aujourd'hui, avec toutefois une durée maximale de 40 jours dans certains cas. Mais s'agissant de l'encellulement individuel, le texte précise seulement que les détenus seront placés « soit en cellule individuelle, soit en cellule collective, sous réserve que celle-ci soit adaptée au nombre de détenus qui y sont hébergés et que les détenus soient reconnus aptes à cohabiter », avec une possibilité de déroger à ces dispositions pendant cinq ans à compter de la promulgation de la loi « si la distribution intérieure des maisons d'arrêt ou le nombre de détenus présents ne permettent pas leur application ». Une manière de botter en touche quant à l'obligation d'incarcérer une personne par cellule, prévue par loi sur la présomption d'innocence de juin 2000, et qui devait entrer en vigueur le 12 juin ? La garde des Sceaux a pourtant récemment annoncé un décret sur la question... Une promesse que le collectif « Trop c'est trop », qui fait campagne pour le « respect du numerus clausus en prison », entendait rappeler en manifestant le 12 juin devant le ministère de la Justice.
S'agissant des recours aux alternatives à la détention provisoire, l'avant-projet de loi rappelle que l'incarcération des prévenus ne doit intervenir qu'« à titre exceptionnel » mais que ces derniers peuvent être, par « mesure de sûreté » ou pour les nécessités de l'instruction, assignés à résidence avec surveillance électronique. Le placement sous bracelet électronique devrait par ailleurs être développé selon une « procédure simplifiée » d'aménagement de peine pour les détenus condamnés à des peines inférieures ou égales à deux ans ou pour ceux condamnés à cinq ans maximum, dont le reliquat de peine ne dépasse pas deux ans. Pour les peines inférieures ou égales à six mois et lorsqu'« il reste quatre mois à exécuter », ce type de surveillance devrait être ordonné, sauf en cas de risque de récidive ou de refus du condamné.
Les syndicats auraient, eux, souhaité que ces conditions de sortie des détenus soient davantage envisagées dans la perspective d'un projet de réinsertion. « L'accent est mis sur la mise en place plus automatique de l'aménagement de peine, dans une perspective de gestion des flux pour désengorger les prisons, déplore Céline Verzeletti, secrétaire générale de l'UGSP-CGT. Mais il aurait fallu insister aussi sur le contenu de l'exécution des peines et les moyens accordés aux personnels d'insertion pour remplir leurs missions. » Le sujet est pourtant d'une actualité brûlante, des centaines de travailleurs sociaux pénitentiaires étant descendus le 5 juin dans la rue pour réclamer de meilleures conditions d'exercice.
« Le texte est clairement axé sur le milieu fermé, regrette également Olivier Boudier, secrétaire général du Snepap-FSU. Rien n'est par exemple prévu pour le développement de la libération conditionnelle, certes en augmentation mais dont le niveau est extrêmement bas par rapport à d'autres pays européens. » Tant que l'encellulement individuel ne sera pas réglé, abonde-t-il, le sujet des conditions de détention ne le sera pas entièrement. L'aménagement de peine ne peut en outre se résumer au bracelet électronique. « C'est une bonne mesure, mais le risque est de la concentrer sur la surveillance des entrées et sorties du condamné, avec une visée seulement sécuritaire », d'autant que la mise en place du suivi nécessaire risque de se heurter à un problème de moyens.
Comment faire face au développement des aménagements de peine envisagé avec des effectifs déjà en tension ?, s'interrogent l'ensemble des syndicats. Cette question soulève celle de l'effectivité de la future loi.