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« Il faut accélérer et approfondir la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 »

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Trois ans après la promulgation de la loi sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, où en est-on de son application ? A la veille de la première conférence nationale du handicap, qui se tient le 10 juin, Patrick Gohet livre son bilan et répond aussi à quelques questions d'actualité comme le cinquième risque ou l'avenir de sa délégation.

Actualités sociales hebdomadaires : Comment la première conférence nationale du handicap a-t-elle été préparée ?

Patrick Gohet : Sept groupes d'appui techniques ont été adjoints au comité de suivi de la loi du 11 février 2005 et ils ont beaucoup et bien travaillé ! Ils ont traité respectivement de l'accessibilité et des nouvelles technologies, de la compensation, de la scolarisation, de l'emploi et des ressources, des MDPH [maisons départementales des personnes handicapées], des établissements et services, enfin du polyhandicap et des handicaps rares. Chacun de ces groupes devait produire un document de travail de quatre pages listant les constats, puis les demandes qui font accord, enfin les questions qui restent ouvertes. Ces documents seront distribués le 10 juin dans le dossier des participants. Ce jour-là, cinq « focus » seront mis sur la scolarisation, la compensation, les MDPH, l'accessibilité, l'emploi et les ressources. Avec un temps un peu plus long sur ce dernier thème, dont on sait qu'il fait le plus débat.

Doit-il en sortir des propositions ?

- Pas le jour même. La conférence est l'ultime étape de préparation du rapport prévu par la loi, qui devrait être soumis au CNCPH [Conseil national consultatif des personnes handicapées] le 16 septembre, avant d'être remis aux bureaux des deux assemblées.

Vous aviez déjà, l'an dernier, rédigé un premier bilan de l'application de la loi du 11 février 2005 (1). Les choses ont-elles évolué depuis ?

- Nous avons continué à progresser mais, globalement, nous devons répondre aux mêmes questions, aux mêmes défis. Certains départements ont avancé sur certains points, pas sur d'autres. Si les MDPH avaient fait l'an dernier le tiers du chemin, elles en ont dépassé la moitié. Mais la progression reste encore inégale. On peut en dire autant pour les commissions d'accessibilité, qui se mettent en place progressivement, sur l'évaluation des travaux à réaliser, qui commence doucement... Au total, il n'est pas surprenant que cette loi globale, qui touche à de multiples aspects, qui appelle des changements radicaux, fasse l'objet d'une appropriation progressive. J'ai toujours pensé qu'il faudrait cinq ans pour atteindre la vitesse de croisière.

C'est le cas notamment pour les MDPH, dont les personnels sont appelés, avec des équipes encore incomplètes, à prendre en compte le projet de vie des personnes, à construire un plan de compensation avec leur participation. C'est une véritable révolution culturelle, alors que le compteur de la vie n'arrête pas de tourner et que le flux de dossiers continue d'arriver. Si je devais refaire le rapport maintenant, j'aborderais les mêmes sujets, mais en valorisant plus les solutions trouvées sur le terrain et les bonnes pratiques. Il faut continuer d'avancer - et accélérer - car j'entends aussi, et je comprends, l'impatience des personnes handicapées.

Quant aux établissements et services ?

- Ils avaient à s'approprier une deuxième rafale de changements, alors qu'ils n'avaient pas encore fini d'absorber celle de la loi 2002-2. Eux aussi devaient faire leur révolution culturelle en se réorganisant autour du projet de vie, de la notion de parcours suivi, de participation. Je pense qu'il y a une adhésion très large à l'humanisme qui préside à ces réformes, cela facilite l'invention de nouveaux modes de fonctionnement, cela permet de surmonter les découragements passagers.

J'observe le même phénomène dans le secteur de la construction. Dans un premier temps, les professionnels voient surtout les nouvelles contraintes qui leur sont imposées, les normes qui s'ajoutent aux normes. Et puis, dans un deuxième temps, ils les intègrent en sachant qu'elles conduisent à un mieux être, à un mieux vivre. Ils disent à la fois que c'est compliqué mais que c'est un progrès.

Bref, vous êtes optimiste ?

- La loi de 2005 n'est pas une loi de circonstances, c'est une loi de société, qui génère une dynamique. Certes, elle est une somme de compromis et n'a pas donné satisfaction à tout le monde. Mais je suis convaincu que, dans la pratique, elle pourra entraîner des évolutions plus fortes que la stricte lecture des textes le laisse penser.

Il y a une bonne raison à cela : cette loi et ses textes d'application ont fait l'objet d'une concertation de bout en bout. Notamment avec le CNCPH, qui est une réduction de la société civile. Cela ne pouvait que bien augurer de la suite. Il faut maintenant que le dialogue continue - ce sera encore le cas avec la conférence nationale du 10 juin -, que la mise en oeuvre soit accompagnée, que l'on entende les difficultés, que l'on évalue les avancées, que l'on propose des ajustements, si nécessaire. Nous avons beaucoup de choses à découvrir sur les processus que généreront l'appropriation et la réalisation de cette loi. C'est une phase tout aussi passionnante que celle de son élaboration !

Les personnes handicapées et leurs associations se font entendre de plus en plus fort. Mais la société bouge-t-elle en profondeur ?

- Cela avance, incontestablement. La HALDE nous dit que le handicap est la cause de discrimination que les Français jugent la moins tolérable. Je ne l'aurais pas imaginé, c'est un signe d'évolution. Il reste encore beaucoup à faire pour que le « réflexe handicap » soit partagé par toute la société. Mais l'idée progresse selon laquelle ce qui est fait pour les personnes handicapées profite à tous. Il faut « vendre » cette approche, car le handicap reste une réalité anxiogène, qu'on le veuille ou non. Pour gagner l'adhésion de nos concitoyens, je pense qu'il faut aussi donner davantage la parole aux personnes handicapées elles-mêmes, même si certaines ont besoin d'une aide à l'expression. Ce sont les meilleurs avocats de leur propre cause.

La CNSA joue un grand rôle dans cette poursuite du dialogue...

- Oui, j'admire la façon dont la CNSA s'est mise en place et déployée, le consensus qu'elle a réussi à établir au sein de son conseil sur les valeurs, les principes et les orientations, et son mode d'accompagnement du réseau des MDPH. Elle invente un nouveau type d'animation, en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes. C'est d'autant plus remarquable qu'il n'existe pas de modèle ailleurs pour cette gouvernance participative.

Une chose est sûre : si des réformes devaient intervenir ici où là dans le dispositif - par exemple pour modifier la forme juridique des MDPH, actuellement constituées en groupements d'inté-rêt public et dont il n'est pas sûr que cela permette une gouvernance vraiment collégiale -, il faudrait absolument préserver, voire renforcer, la représentation des intéressés à tous les échelons, dans les MDPH et les commissions des droits et de l'autonomie comme à la CNSA, appelée sans doute à évoluer.

Vous faites allusion à la création du cinquième risque. Les associations ont maintes fois exprimé leur souhait qu'il soit financé par la solidarité nationale...

- Je les entends. En toute hypothèse, la collectivité doit être impliquée, elle doit contribuer au minimum qui garantit la dignité. Celui qui est en bonne santé et qui réussit doit être concerné et solidaire avec celui qui rencontre des difficultés dans la vie. C'est un élément essentiel du lien social, je crois que tout le monde est d'accord là-dessus. Après, où place-t-on le curseur entre solidarité et contribution ou assurance individuelle ? C'est tout le débat. Il n'est pas tranché.

Les orientations présentées par le gouvernement le 28 mai (voir ce numéro, page 5) maintiennent deux types de prestations différentes pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Ce n'est pas ce que prévoit la loi du 11 février 2005.

- Les ministres ont livré des premières orientations, soumises à discussion. Rien n'est définitivement établi. La méthode ressemble beaucoup à celle qui a été utilisée pour la loi de 2005, où la concertation a beaucoup joué. Il subsiste des sujets lourds à débattre. Il reste aussi à certains partenaires comme les départements à se prononcer plus précisément.

Dans certaines de vos interventions, vous avez semblé réticent à l'idée de convergence entre les deux secteurs des personnes âgées et handicapées...

- Non, la convergence doit se faire. Mais dans un domaine qui demande des réponses infiniment personnalisées, il ne faut pas aboutir à un traitement global, de masse, qui ignorerait les singularités. On ne peut avoir le même projet de vie, le même accompagnement, la même ambition pour une personne âgée qui a la maladie d'Alzheimer et pour une jeune polyhandicapée sévèrement déficiente. Il ne faudrait pas que la convergence aboutisse à niveler les réponses, à mettre en question le projet personnalisé.

Et puis, convergence ne veut pas dire confusion. Entre les deux secteurs, le poids économique, les institutions ne sont pas identiques, la fonction tribunitienne n'est pas exercée par les mêmes. Pour autant, il est très important qu'il n'y ait pas de luttes entre personnes handicapées et personnes âgées. Je suis de ceux qui y ont contribué. Les associations sont d'ailleurs sur cette ligne, comme en témoigne le vote unanime du conseil de la CNSA sur le cinquième risque en octobre dernier et encore la récente réaction commune aux orientations ministérielles (voir ce numéro, page 35).

Cela fera six ans en septembre que vous exercez la fonction de délégué interministériel aux personnes handicapées. Où en êtes-vous ?

- Depuis l'origine, j'ai eu à collaborer avec cinq ministres qui étaient et sont tous, chacun à leur façon, des femmes et des hommes de terrain. Nous avons travaillé dans un climat de transparence et de confiance et je leur en suis reconnaissant. Avec la DGAS [direction générale de l'action sociale] aussi, nous avons réussi à fonctionner en complémentarité et en confiance, ce qui n'était pas acquis au départ entre une administration de gestion et une administration de mission comme la nôtre, d'autant que je venais du milieu associatif et qu'il a fallu prouver que je n'étais pas « l'oeil de Moscou » de ce secteur, même si je pouvais aider à faire comprendre ses messages. Le démarrage a été délicat car le CNCPH demandait alors à quitter l'orbite de la DGAS pour être rattaché à notre délégation. Tout le monde a vite reconnu que c'était mieux ainsi, la DGAS étant, et de loin, le premier producteur des textes sur lesquels le CNCPH est appelé à se prononcer. Et puis, j'ai eu l'occasion de travailler avec des gens de grande qualité comme Jean-Marie Schléret, qui accomplit un travail remarquable à la présidence du CNCPH, ou Jean-Louis Faure, qui préside l'ONFRIH [Observatoire national sur la formation, la recherche et l'innovation sur le handicap]. Ce métier consiste à voir sur quels points on peut créer des consensus, engranger des avancées. Il faut contribuer à mettre d'accord beaucoup de protagonistes : les différentes familles de pensée, les administrations d'une quinzaine de ministères, les collectivités, les associations... C'est un travail de dialogue, de pédagogie, de construction d'accords, une véritable alchimie et c'est vraiment passionnant.

Vous n'avez donc pas envie de décrocher ?

- Non. Tant que je pourrai servir à la mise en oeuvre et à l'avancée d'une politique en faveur des citoyens handicapés, je le ferai. Même si, depuis longtemps, mes fonctions ont absorbé 80 % de ce qui aurait pu être ma vie privée, je n'ai qu'un seul regret : j'aime écrire et je n'en ai guère le loisir...

Quelle est l'importance de la délégation et est-elle appelée à durer ?

- J'ai commencé avec une secrétaire et l'équipe compte aujourd'hui douze personnes. Nous sommes bien sûr concernés par la révision générale des politiques publiques, mais nul ne remet en question le caractère transversal, indispensable, de notre action. Quelle forme cela prendra-t-il ? Cela n'est pas encore tranché.

Notes

(1) Voir ASH n° 2520 du 31-08-07, p. 5.

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