«1,3 million de personnes de plus de 85 ans aujourd'hui, deux millions en 2015. Voilà une réalité que nous devons prendre en compte. » C'est sur cette base que le ministre et la secrétaire d'Etat chargés de la solidarité, Xavier Bertrand et Valérie Létard, ont commencé à construire le futur cinquième risque de la protection sociale, dont les premières orientations ont été présentées successivement, le 28 mai, au conseil de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) (voir les réactions, page 35) et à la mission commune d'information du Sénat sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque. S'appuyant sur le dernier rapport de la CNSA (1), le gouvernement souligne que la mise en place de cette nouvelle architecture repose sur le « principe fondamental de la liberté de choix pour la personne âgée », d'une part « entre le domicile et l'établissement » et, d'autre part, entre le recours volontaire à la prévoyance et « la participation volontaire et limitée du patrimoine pour le financement des plans d'aide pour les personnes en situation de perte d'autonomie liée à l'âge ». Toutefois, rien n'est définitif, a assuré le gouvernement, les concertations devant se poursuivre au sein de groupes de travail. Quoi qu'il en soit, a affirmé Xavier Bertrand, présenter à l'automne un projet de loi créant le cinquième risque est « difficilement jouable », assurant qu'il le serait « au plus tôt, pour une mise en vigueur au plus tôt en 2009 ».
Permettre aux personnes en situation de perte d'autonomie de rester à domicile dans toute la mesure du possible, c'est, comme le suggérait le rapport de la CNSA, « mettre en oeuvre un droit universel à un «plan personnalisé de compensation pour l'autonomie» », reposant « sur une évaluation des besoins qui prenne en compte toutes les dimensions des aides qui concourent à la compensation - aides humaines, aides techniques ou domotiques, aides d'aménagement, aides aux aidants familiaux... ». En effet, a expliqué Xavier Bertrand, ces personnes devraient pouvoir choisir entre leur domicile ou aller dans un établissement, ce qui implique « davantage de places, de places médicalisées, davantage de places plus vite, moins chères ». Pour ce faire, « il faudra créer entre 5 000 et 7 500 places par an » en établissement, avance Valérie Létard. Et « pour que les autorisations se traduisent par des créations effectives de places pour les usagers, plusieurs leviers seront mis à contribution : les enveloppes anticipées, l'aide à l'investissement, l'aide à la formation professionnelle par la CNSA ». En ce qui concerne les établissements et services pour personnes handicapées, elle a confirmé le lancement prochain d'un plan pluriannuel de création de places, dont les objectifs sont de « mettre fin aux listes d'attentes excessivement longues pour les familles, de mieux prendre en charge les handicaps lourds - autisme, polyhandicap, troubles graves du comportement - et de tenir compte de l'avancée en âge de la population accueillie en établissement ». Plus généralement, afin d'accélérer la création de places, la secrétaire d'Etat à la solidarité a indiqué que la procédure d'autorisation des établissements et services médico-sociaux - en particulier le rôle des comités régionaux de l'organisation sociale et médico-sociale - devrait être revue pour « mettre en place une procédure reposant sur des appels à projets » ayant le mérite de « faire émerger une offre de qualité au meilleur coût possible ». En outre, elle entend « simplifier les procédures administratives de création de places et inciter les porteurs de projets à proposer des formules innovantes ». Son ambition : réduire les délais de création de places, pour « passer d'un délai d'attente moyen de quatre à cinq ans à moins de trois ans entre l'appel à projets et l'ouverture de la structure ».
Autre priorité : augmenter le nombre de places en établissements médicalisés pour personnes âgées « pour le bien-être des résidents, pour faciliter la coordination avec les soins de ville et hospitaliers, ainsi que pour lutter contre toutes les situations de maltraitance », a expliqué Valérie Létard. Objectif : faire que « 100 % des établissements aient pu passer en 2008 au moins une première convention avec l'Etat et le conseil général prévoyant cette médicalisation ». Pour ce faire, elle a indiqué le 29 mai, lors du 8e congrès du Synerpa (Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées), avoir reçu en avril les 12 départements les plus en retard en matière de signatures de conventions tripartites avec un « objectif explicite de rattrapage et la nécessité d'un compte rendu à la rentrée ». D'ailleurs, a-t-elle précisé, « deux missions d'appui seront lancées prochainement afin de lever les blocages dans certains départements ».
Pour soutenir de tels projets, le gouvernement entend aussi multiplier les solutions dites « de répit » en faveur des aidants familiaux, qui pourraient être financées par les excédents de la branche famille. Mais aussi s'appuyer sur le plan national des métiers de la dépendance présenté en février dernier (2), Valérie Létard évaluant le besoin de recrutement à 400 000 personnes.
Conscient du reste à charge trop élevé pour les familles - en moyenne entre 1 200 € et 1 700 € pour une pension moyenne de 1 000 € -, le gouvernement souhaite l'alléger pour les « personnes aux revenus les plus modestes et les classes moyennes », notions qu'il lui reste à définir. Toutefois, a précisé Valérie Létard, cet objectif doit être fixé « en privilégiant la solidarité publique, sans exclure qu'à partir d'un certain niveau de revenu ou de patrimoine, l'épargne ou les solidarités familiales puissent être mobilisées lors des dernières années de vie ». Dans ce même ordre d'idées, le gouvernement estime que les aides versées doivent l'être en priorité aux personnes qui en ont le plus besoin. « Or, souligne-t-il, ce n'est pas le cas actuellement avec l'allocation personnalisée d'autonomie [APA], dont le barème ne varie quasiment pas en fonction du revenu », et qu'il envisage donc de réformer.
La réduction du reste à charge implique aussi, insiste la secrétaire d'Etat, d'« assurer une meilleure maîtrise des tarifs d'hébergement ». La tarification actuelle présente en effet plusieurs inconvénients : « trop complexe avec trois sections tarifaires imbriquées en ce qui concerne les aides-soignantes », « peu équitable, avec des écarts de ressources qui varient de un à trois pour un même service rendu » et « trop peu efficiente, avec un forfait partiel de soins dont le périmètre est trop restreint pour permettre une prise en charge coordonnée de qualité ». Aussi propose-t-elle d'ouvrir le débat de la convergence tarifaire, de généraliser le tarif global de soins et de lancer le chantier de la simplification de la tarification pour la rendre « plus simple, plus claire et plus responsabilisante pour le gestionnaire ».
Pour le gouvernement, le cinquième risque doit tout d'abord reposer sur un « socle élevé de financement par la solidarité nationale, tant dans le champ de la compensation que dans le champ des établissements et services ». Solidarité nationale qui contribue déjà au financement de la dépendance à hauteur de 19 milliards d'euros via la CNSA et les départements. Or, d'ici à 2012, les besoins devraient se chiffrer entre 1 et 1,5 milliard d'euros supplémentaires par an en fonction de l'évolution démographique. Ainsi, en complément, a indiqué Xavier Bertrand, « il est prévu que les organismes de prévoyance puissent intervenir », en posant « les bases d'un vrai «partenariat public-privé» parce qu'il est le seul à offrir des garanties ». Des réflexions seront menées autour des incitations à mettre en place pour favoriser le développement de la prévoyance individuelle et collective et, dans cette perspective, « l'idée de prévoir des aides fiscales à la souscription de contrats d'assurance dépendance est sur la table, a indiqué le ministre de la Solidarité, de même que la possibilité de favoriser la conversion de contrats d'assurance-vie existants en garanties d'assurance dépendance ». Par ailleurs, a-t-il insisté, le financement du cinquième risque doit se faire « dans le respect du principe de justice sociale », et ainsi mieux prendre en compte les capacités contributives de chacun. Il propose donc de « mettre en place une participation limitée, volontaire, sur le patrimoine des bénéficiaires de l'APA les mieux dotés en patrimoine », à savoir à un niveau qui ne pourrait être inférieur, selon lui, au patrimoine médian s'élevant aujourd'hui à 130 000 € . Dès lors, lorsque la personne demanderait le bénéfice de l'APA, elle se verrait proposer soit la prestation à taux plein assortie d'un gage patrimonial, soit la prestation à taux réduit sans gage patrimonial, la participation n'étant due que « dans la limite d'un plafond pour ne pas pénaliser les personnes qui resteraient longtemps en situation de dépendance ». Ainsi, à terme, les personnes auraient à faire le choix entre la prévoyance ou une participation sur leur patrimoine. A noter : cette participation ne s'appliquerait pas aux bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap.
Signalons également que Xavier Bertrand a exclu l'instauration d'une cotisation supplémentaire sur les revenus du travail, se montrant plus favorable à l'alignement de la contribution sociale généralisée due par les retraités (6,6 %) sur celle des actifs (7,5 %). Au-delà, a-t-il aussi souligné, les financements au sein de la sécurité sociale doivent être mieux répartis entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social. Comme l'expliquait le rapport Larcher sur la réforme de l'hôpital (3), « l'offre hospitalière ne fait pas aujourd'hui suffisamment de place aux services médico-sociaux par rapport aux services de médecine ou de psychiatrie... Le redéploiement progressif de l'offre de court séjour vers les établissements et services d'aval, notamment médico-sociaux, fait partie des axes forts de restructuration de l'hôpital dans les années qui viennent ».
Tous ces chantiers doivent s'inscrire dans le cadre d'une gouvernance renouvelée, qui « ne doit pas être calquée sur celle des risques existants de sécurité sociale » (maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse et famille), a estimé la secrétaire d'Etat à la solidarité. Aussi, entend-elle conforter les conseils généraux dans leur rôle de maîtres d'oeuvre des prestations de compensation en faveur de l'autonomie. Il pourrait être ainsi envisagé d'« articuler sous l'autorité des conseils généraux l'intervention des maisons départementales des personnes handicapées et des coordinations gérontologiques ou équipes médico-sociales départementales », ensemble qui pourrait se fondre dans des « maisons départementales de l'autonomie ». Au niveau régional, la mise en place des futures agences régionales de santé (ARS) (4) doit être l'occasion d'avoir une « vision territoriale décloisonnée des besoins sanitaires et médico-sociaux ». Il importera alors que « les exercices de planification et de programmation de l'ARS et des conseils généraux soient étroitement coordonnés. Il en va de même dans les domaines de l'autorisation et de la tarification des établissements et services médico-sociaux ». Enfin, au plan national, une agence - la CNSA étant pressentie pour tenir ce rôle - serait chargée des financements, de l'animation, de l'équité de traitement sur le territoire et de la bonne association des acteurs de la prévoyance et, à ce titre, serait l'interlocuteur des ARS en ce qui concerne la mise en oeuvre territoriale.
(4) Voir notamment ASH n° 2544 du 8-02-08, p. 11 et 12 et n° 2548 du 7-03-08, p. 20.