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La Cour européenne des droits de l'Homme admet l'expulsion d'un étranger malade du sida vers un pays où son accès aux traitements sera aléatoire

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Expulser un étranger malade du sida vers un pays où il aura plus de difficultés à se soigner ne constitue pas « un traitement inhumain ou dégradant » au sens de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, a estimé le 27 mai la Cour européenne des droits de l'Homme.

Avec cette décision, la requérante - une ressortissante ougandaise de 34 ans qui, depuis son arrivée à Londres en 1998, demandait l'asile parce qu'elle est gravement infectée par le virus du sida et craint de ne pouvoir se soigner dans son pays - a perdu sa dernière bataille juridique contre la justice britannique.

Une bataille débutée en 2001, lorsque sa demande d'asile avait été refusée par Londres malgré un rapport médical établissant que, sans traitement actif, son espérance de vie serait inférieure à 12 mois si elle était contrainte de retourner en Ouganda, où elle n'avait « aucune chance de bénéficier de soins adaptés ». Les autorités britanniques estimaient pour leur part que les malades du sida bénéficiaient en Ouganda d'un traitement équivalent à celui dispensé dans les autres pays africains et qu'ils avaient accès aux principaux médicaments antirétroviraux à des prix fortement subventionnés. Un avis partagé, au Royaume-Uni, par les autorités judiciaires saisies, par la suite, de l'affaire. Laquelle a donc trouvé son terme à Strasbourg.

Les magistrats se sont appuyés sur une précédente décision, rendue en 1997 et portant également sur une affaire d'expulsion dans laquelle le requérant alléguait courir le risque de subir une violation de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) en raison de sa mauvaise santé (1). Dans cette affaire, la Cour européenne avait estimé qu'il y avait bien violation de l'article 3 en raison de « circonstances très exceptionnelles » et de « considérations humanitaires impérieuses ». Le requérant était très gravement malade, paraissait proche de la mort et il n'était pas certain qu'il pût bénéficier de soins médicaux ou infirmiers dans son pays d'origine. En outre, avaient noté les juges de l'époque, il n'avait là-bas aucun parent désireux ou en mesure de s'occuper de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu'un toit ou un minimum de nourriture ou de soutien social.

Le 27 mai dernier, la Cour européenne a jugé que les circonstances de l'espèce étaient tout autres. Dans leur raisonnement, les juges ont tout d'abord expliqué que le fait que, en cas d'expulsion de l'Etat contractant (2), le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n'est pas en soi suffisant pour emporter violation de l'article 3 de la convention. Les progrès de la médecine et les différences socio-économiques entre les pays font que le niveau de traitement disponible dans l'Etat contractant et celui existant dans le pays d'origine peuvent varier considérablement. Or « l'article 3 ne fait pas obligation à l'Etat contractant de pallier lesdites disparités en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire ». Conclure le contraire ferait peser une charge trop lourde sur les Etats contractants, a expliqué la Cour.

Certes, ont encore précisé les juges, la décision d'expulser un étranger atteint d'une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l'Etat contractant est « susceptible de soulever une question sous l'angle de l'article 3 »... mais « seulement dans des cas très exceptionnels, lorsque des considérations humanitaires militant contre l'expulsion sont impérieuses », comme dans l'affaire traitée par la Cour européenne en 1997. Ce qui n'était pas le cas en l'espèce, à leurs yeux.

Les magistrats ont ainsi noté que l'état de la requérante était désormais stable grâce au traitement médical dont elle bénéficie au Royaume-Uni. Qu'elle est apte à voyager et que son état ne se détériorera pas tant qu'elle continuera à prendre le traitement dont elle a besoin. Citant l'Organisation mondiale de la santé, les juges ont par ailleurs assuré que, « même si, faute de ressources suffisantes, seule la moitié des personnes qui en ont besoin en bénéficient », concrètement, il est possible de trouver en Ouganda les médicaments antiviraux qui permettraient à l'intéressée de se soigner. Ils n'ont par ailleurs pas voulu entendre les arguments de celle-ci qui affirmait qu'elle n'aurait pas les moyens d'acheter ces médicaments, qu'elle ne pourrait pas se les procurer dans la région rurale dont elle est originaire et que sa famille ne serait ni désireuse, ni en mesure de s'occuper d'elle si elle était gravement malade. « L'appréciation [...] de la mesure dans laquelle elle pourrait obtenir un traitement médical, un soutien et des soins, y compris l'aide de proches parents, comporte nécessairement une part de spéculation », ont indiqué les magistrats.

Au final, tout en admettant que la qualité et l'espérance de vie de la requérante auraient à pâtir de son expulsion vers son pays, la Cour européenne a donc estimé dans sa décision - rendue par 14 voix contre 3 - que l'affaire n'était pas marquée par des « circonstances très exceptionnelles » comme en 1997 et que l'expulsion de l'intéressée n'emporterait pas une violation de l'article 3 de la convention.

(CEDH, 27 mai 2008, requête n° 26565/05, N. c/Royaume-Uni)
Notes

(1) Arrêt D. c/Royaume-Uni, 2 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions, 1997-III.

(2) Par Etat contractant, il faut entendre Etat signataire de la convention.

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