Malgré les avancées de la circulaire de la direction générale de l'action sociale du 21 avril sur la gratification des stagiaires et une tendance à l'apaisement du côté du Snasea (Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social), de l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social) et du GNI (Groupement national des instituts régionaux du travail social) (1), la situation reste pour le moins confuse.
Difficile, en l'état actuel des choses, de se faire une idée globale, tant la résolution des difficultés dépend aussi fortement de l'environnement local et de l'investissement des acteurs, notamment des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et des conseils généraux. Quant aux mesures qui viennent d'être annoncées pour « revaloriser les stages dans la fonction publique » (voir ce numéro, page 11), si elles paraissent, à première vue, aller dans le sens de l'égalité de traitement des étudiants, elles posent en tout état de cause plus de questions qu'elles n'apportent de réponses. Pourquoi distinguer entre stages d'observation (ne donnant lieu qu'à « défraiement ») et de réalisation (ouvrant droit à « rémunération ») et instaurer un système différent de la gratification imposée aux établissements du secteur associatif ? La rémunération ne remet-elle pas en cause la relation pédagogique avec le stagiaire ? Autant de questions sur lesquelles l'Aforts, qui entend être associée aux discussions, espère bien obtenir des précisions.
Une certitude : les étudiants en travail social, constitués désormais en Coordination nationale, sont à la fois plus visibles, mais aussi plus radicaux dans leurs demandes. Au-delà même de leurs revendications pour obtenir une gratification financée de façon pérenne et égalitaire pour tous les étudiants et les secteurs privé et public, ils s'inquiètent de la relation employé-employeur créée par le décret du 31 janvier et le risque de voir disparaître leur statut de stagiaire. D'où leur demande que la gratification soit versée par un organisme tiers. De même, ils redoutent que celle-ci ne transforme les stagiaires en main- d'oeuvre renouvelable à bon marché dans un contexte de restrictions budgétaires. « Le décret doit aussi s'appliquer dans le respect de la formation par l'alternance », précise Marie-Charlotte Lallemand, du collectif Grand Nord, qui s'inquiète de voir certains centres de formation fractionner les stages pour qu'ils durent moins de trois mois. Elle regrette par ailleurs que les représentants de la Coordination nationale des travailleurs sociaux en formation, « jugés pas suffisamment représentatifs », n'aient pas été admis à la séance du 27 mai du comité de suivi des stages, à l'issue de laquelle ont été annoncées les mesures de revalorisation des stages dans la fonction publique. Nul doute, en tout cas, que ces nouvelles dispositions devaient être discutées lors de la réunion de la coordination les 29 et 30 mai à Lyon.
« La question des stages n'est toujours pas résolue pour l'avenir », s'inquiète Elodie Vaillant, éducatrice spécialisée en formation en 1re année à l'AFPE (Association pour les formations aux professions éducatives et sociales) de Bruz. « Certains stages ont été débloqués en urgence en mai et juin, mais le conseil général nous a bien dit que c'était à titre exceptionnel. » Elle explique également que certains établissements d'accueil demandent désormais aux étudiants des attestations prouvant qu'ils touchent les Assedic, cas dans lequel ils sont dispensés de verser la gratification. C'est ainsi que les étudiants de l'AFPE de Bruz, de Saint-Brieuc, de l'IRTS de Rennes et quelques-uns de Brest se sont rendus le 27 mai au conseil régional pour demander la tenue d'une table ronde ouverte à l'ensemble des acteurs concernés, et aux étudiants, sur la question de la gratification. Ils n'ont pour l'instant pas de réponse.
Ailleurs, les étudiants de l'Institut de travail social de la région Auvergne (ITSRA), en grève depuis le 20 mai, devaient le rester jusqu'au 30. « 60 % des employeurs ne prennent plus de stagiaires pour la rentrée prochaine », explique Isabelle Vassias, éducatrice spécialisée en formation de 1re année. Le collectif manifestait dans les rues de Clermont-Ferrand, le 27 mai, lors de la journée de mobilisation décentralisée prévue par la Coordination des travailleurs sociaux en formation. Blocages, grèves, les étudiants continuent donc de se mobiliser dans certaines régions pour faire entendre leurs inquiétudes sur leur avenir professionnel.
« Ces inquiétudes sont légitimes, estime François Roche, directeur de la formation et du développement à l'ITSRA, car les formations sociales sont menacées. » Sur les 550 demandes de stages d'éducateurs spécialisés envoyées par son institut pour la rentrée prochaine, il n'y a eu que 150 réponses. « Un taux bien plus faible que d'habitude », explique-t-il, et encore les deux tiers des répondants ne veulent pas prendre de stagiaires à la rentrée prochaine. Soit parce qu'ils attendent des engagements financiers formels de la part de l'Etat et des conseils généraux, soit parce qu'ils refusent le principe de la gratification qui modifie la relation pédagogique et apparaît comme une contrainte supplémentaire. Si les éducateurs spécialisés en formation sont particulièrement touchés, leurs collègues assistants sociaux et éducateurs de jeunes enfants le sont également. « Par exemple, nous avons dû réorienter les demandes de stages en crèches familiales - des petites structures qui ont toutes refusé par manque de moyens - vers des crèches municipales ou des centres départementaux d'accueil. Ce qui n'est pas conforme avec notre projet pédagogique qui vise à permettre aux stagiaires de diversifier leurs terrains d'application », explique François Roche.
« Au début, notre conseil d'administration avait demandé la suspension de l'application du décret. Maintenant le temps a passé et les conséquences sont telles que nous n'avons plus les moyens d'envoyer nos étudiants en stage à la rentrée prochaine. C'est pourquoi nous demandons tout simplement l'abrogation du décret », explique François Roche, bien décidé à faire remonter cette demande, le 3 juin, lors de la séance plénière du Conseil supérieur du travail social.
« Le risque, c'est bien qu'un certain nombre de directeurs de structures baissent les bras et se découragent d'accueillir des stagiaires », craint Marcel Jaeger, représentant de l'Ile-de-France du GNI. Dans cette région, explique-t-il, des associations qui gèrent des établissements et services financés par les conseils généraux continuent à inciter leurs directeurs à ne pas signer de conventions de stages ouvrant à une gratification, parce qu'ils ne sont pas assurés d'avoir le financement. Et cela en dépit des consignes données par leur syndicat d'employeurs. Les choses pourraient toutefois évoluer puisque la DRASS d'Ile-de-France, qui a mis en place une cellule de crise avec l'Aforts et le GNI, a indiqué son intention de se rapprocher des conseils généraux. Par ailleurs, il a été demandé aux centres de formation de remplir des tableaux de suivi des stages afin de pouvoir dresser un état des lieux, car on ne dispose aujourd'hui d'aucun chiffre permettant de connaître la situation exacte des étudiants.
Le son de cloche est différent à Caen, à l'IRTS de Basse-Normandie où l'on indique que « les derniers cas problématiques ont été résolus ». Jean-Marie Gourvil, directeur des formations, confirme que les étudiants ne sont plus en grève et que les cours ont repris. Explication ? Tous les acteurs - les deux centres de formation, les employeurs, les conseils généraux, la DRASS - ont décidé de jouer la concertation, comme les y invite la circulaire du 21 avril, pour les stages à venir. Ils se réunissent régulièrement au sein d'un groupe de travail présidé par le DRASS afin de parvenir, fin juin, à une plate-forme régionale permettant de réguler l'offre et la demande de stages. « On ne lâchera rien au niveau pédagogique au sens où l'étudiant sera toujours libre de choisir le type de stage, mais on pourra lui proposer, en fonction des places, de le faire dans toute la région et non plus essentiellement à Caen. En échange, les employeurs s'engageront à faciliter l'accueil du stagiaire en mettant à sa disposition une chambre par exemple », détaille Jean-Marie Gourvil. La confiance semble donc rétablie dans la région, il est vrai de petite taille et où les acteurs ont l'habitude de travailler ensemble.
En Bretagne, les choses sembleraient aussi en voie d'apaisement en raison d'un pilotage assuré par la DRASS et du dialogue qui s'est instauré avec les conseils généraux, précise Olivier Cany, directeur de l'Aforts. De même en région Centre, où la plupart des conseils généraux ont fait savoir qu'ils prendraient en charge la gratification. Reste, néanmoins, selon Olivier Cany, la question préoccupante des étudiants éducateurs de jeunes enfants dont le départ en stage n'a pu être résolu qu'en les affectant en majorité sur des structures du secteur public (qui représentent 60 % des établissements de la petite enfance) non soumises pour le moment à l'obligation de gratification. Une situation inacceptable du point de vue pédagogique et qu'il faut considérer, souligne-t-il, « comme exceptionnelle et fragile ».