Recevoir la newsletter

L'étonnement, pour une nouvelle relation à l'usager

Article réservé aux abonnés

Contre la routine et l'usure professionnelle, l'étonnement ? Jocelyne Soulié, assistante sociale au conseil général du Val-de-Marne, propose une variation sur cet état mental, familier des enfants, qui constitue une possible clé pour éviter la « banalisation de l'autre ».

« Le terme «étonnement» vient du latin etonare : ébranler comme un coup de tonnerre, la forme latine attonare signifiant «frapper de la foudre». C'est dire si l'étonnement peut prendre une tournure violente et tragique.

Le mot «étonnement» a plusieurs sens. Le premier - qui m'a étonné par ignorance - est un terme de vétérinaire. Il se dit d'un cheval qui se heurte violemment à quelque obstacle. Etonner est également un terme de métier. Faire fendiller, en le chauffant, le sable destiné à la fabrication du cristal. Etonner un diamant, c'est y faire une fêlure. Etonner un drap, c'est trop le tirer.

Une secousse du cerveau

On attribue généralement au vocable son sens figuré. Il s'agit de causer un ébranlement moral. L'étonnement devient commotion, sensation morale causée par quelque chose d'extraordinaire, de singulier, d'inattendu. L'étonnement étourdit. Par conséquent, il est différent de la surprise, plus faible. On peut être surpris sans être étonné. La surprise peut se définir comme un état émotionnel provoqué par un événement inattendu ou par une révélation allant à l'encontre de l'image qu'on se fait d'une situation. Elle est généralement brève, puis s'estompe ou laisse place à une autre émotion. Elle saisit à l'improviste, a de comique ce que n'a pas l'étonnement. C'est voir ce à quoi on ne s'attendait pas. Etre étonné, c'est en recevoir un certain coup. Ainsi, quand l'esprit est frappé par quelque chose d'inattendu, la surprise peut devenir étonnement, qui arrête et ébranle, comme une secousse du cerveau.

On peut s'étonner, être étonné. Mais ne pas s'étonner... ne pas ou plus se troubler, ne plus crier, ne plus s'émouvoir, n'est-ce pas plus étrange ?

Car au premier jour était l'étonnement, comme au premier jour était l'enfance. La question essentielle de l'enfant - «Qu'est-ce que c'est ?» - est la première question de l'étonnement.

A défaut de pouvoir nommer, décrire ce qu'il ressent, l'enfant s'étonne pour se demander ensuite : «Pourquoi ?» De là part sa première connaissance du monde et de son environnement. Il s'agit de s'étonner pour connaître. Rainer-Maria Rilke écrivait : «Pour connaître, il faut vivre les questions.» Les vivre, c'est d'abord s'étonner, au-delà des apparences et de l'évidence. Avant même la rationalisation et l'interprétation, l'étonnement use du réel et du concret. Il s'enracine dans le présent et dans l'instant. Il est soudaineté, spontanéité. Le temps de penser vient après.

Au-delà de l'écoute empathique

L'écoute, l'attention peuvent redevenir étonnement, impression de sens nouveau, différente de la curiosité. L'étonnement suppose d'aller du côté de l'inconnu, de l'altérité, de l'énigme d'autrui. Le rapport de compréhension devient rapport d'incompréhension pour essayer d'atteindre l'antagoniste, la variété, la singularité.

Peut-être faut-il aujourd'hui sortir du modèle du case-work. Aller au-delà de l'écoute empathique et compréhensive. Retrouver le sens, accepter de bousculer le protocole par un nouveau questionnement. Celui de l'étonnement. Renverser les représentations et sortir de ce que l'autre donne à voir. Ne plus s'étonner, c'est se figer et enfermer l'autre uniquement dans ce qu'il montre. Peut-être l'étonnement permet-il d'éviter la banalisation de l'autre. Dans la relation professionnelle, il s'agit de remettre de l'intention et de l'étonnement dans cette intention. Inviter l'autre à sa table, le faire sortir lui-même de ses a priori, le revisiter dans une nouvelle forme d'hospitalité.

Peut-être est-ce là la fraternité de l'étonnement. Trouver des échappées, des envolées, à toute forme d'évidence. Pour redonner du sens, de l'échange, de la communication et développer ainsi une nouvelle relation à l'usager. L'étonnement devient alors mouvement avant d'être action et réponse. Peut-être s'agit-il de réinterpeller l'enfant en moi, l'enfant qui s'émerveille du nouveau et n'a plus peur de l'étrange.

Peut-être faut-il réinventer l'étonnement. Oser à nouveau le questionnement aporétique. Pour sortir de l'impasse, de la superficialité, de la domesticité. S'étonner pour élargir sa vision du monde et des hommes, trouver de nouveaux repères. Se retrouver face à soi-même, retrouver le temps de penser. Redécouvrir sa capacité à entrer en résonance. S'étonner, pour sortir de la vacuité.

Un éternel recommencement

S'étonner pour être dans les turbulences de l'altérité et recommencer à douter. Pouvoir changer de regard et, pourquoi pas, de comportement. Et persévérer dans cet étonnement, dans un éternel recommencement. En amont de l'information, de la problématisation, de la conceptualisation, de l'argumentation, de l'analyse et du jugement.

L'étonnement, qui fonde la philosophie, ne repose pas seulement sur le choc, la surprise, l'ébranlement moral. Il suppose paradoxalement une attitude calme et réfléchie. Attitude développée après s'être dit que tout ne va pas de soi. L'étonnement est en soi un questionnement. Il convoque la responsabilité que l'on a vis-à-vis d'autrui.

Au moment de l'étonnement commence le partage : on est « embarqué », avec et pour autrui, on accepte de se laisser emporter par la fêlure, le tiraillement, le fendillement, le drap que l'on tire. Trop ? L'étonnement peut-il être dans le «trop» ? Ou bien n'est-il jamais assez ? Serait-il plus sage ou dérangeant de s'étonner d'être étonné ?

Reste que toutes les postures pour m'ouvrir les yeux sont les bienvenues et l'étonnement en est une. Alors oui, je veux bien me laisser ébranler par le singulier et l'extraordinaire. Etendre mon regard et en poser un nouveau sur autrui. Pour que mes étonnements d'adulte rejoignent ceux de l'enfance, dans un perpétuel doute renouvelé. »

Contact : Espace départemental des solidarités d'Ivry-sur-Seine - Tél. 01 49 87 12 68 - E-mail : jocelyne_soulie@hotmail.com.

TRIBUNE LIBRE

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur