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Une association ouvre les portes de l'entreprise aux « inemployables »

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Pour combattre les préjugés et les mécanismes de recrutement actuels qui excluent un grand nombre de personnes en difficulté du monde du travail, plusieurs associations de Seine-Saint-Denis ont fondé C2DI. Avec un objectif : l'accès direct à un emploi de droit commun durable. Et un principe : tout individu possède des compétences et doit pouvoir les développer sur le marché du travail.

Peut-on aller à contre-courant de l'idée couramment admise que certains publics sont « inemployables » ? C'est en tout cas le pari audacieux poursuivi par l'association C2DI 93 (1)

Sortir des dispositifs classiques

Pour le directeur de l'association, Philippe Avez, il s'agit alors de sortir des dispositifs classiques de recherche et d'accès à l'emploi : « Il existe un tas d'outils mis à la disposition des associations, de l'ANPE, des structures d'insertion par l'activité économique, en passant par les organismes de formation. Mais, au bout du compte, ces dispositifs ne permettent généralement pas aux publics en grande difficulté d'accéder à un emploi durable. Les entreprises d'insertion, notamment, n'ont pas forcément les outils, ni les moyens pour créer des liens avec le secteur marchand. »

Plutôt que de raisonner en termes de parcours progressifs de resocialisation, de redynamisation ou de réinsertion, qui ne débouchent pas forcément sur le monde du travail, l'équipe de C2DI mise d'emblée sur l'entrée des publics en difficulté dans un emploi durable dans le secteur marchand. Fondée sur la conviction que cet accès à l'emploi constitue un droit fondamental, cette démarche volontariste implique d'abord un changement de regard sur les personnes en difficulté, défend Philippe Avez : « Nous les prenons comme elles sont, avec leurs qualités et leurs défauts. Mais, plutôt que de les voir en fonction de leurs manques, nous allons essayer de mettre en valeur leurs compétences et leurs richesses. Car quel que soit son parcours de vie, une personne a développé des compétences à un moment donné. »

Pour cela trois équipes (composée chacune de trois chargés de mission), respectivement en charge d'environ 80 personnes, travaillent sur le territoire de la Seine-Saint-Denis en intervenant à la fois sur l'offre et la demande d'emploi, selon la méthode IOD (2)voir encadré ci-dessous(3) Première étape : les personnes orientées par les associations adhérentes (qui gèrent des centres d'hébergement, des résidences sociales, des centres maternels ou font de la prévention spécialisée) doivent répondre à des critères précis : être sans qualification, demandeurs d'emploi de longue durée et allocataires d'un minimum social. Une fois qu'elles ont exprimé clairement leur souhait de travailler lors de l'entretien d'accueil, les chargés de mission les invitent à prendre connaissance de l'ensemble des offres d'emploi disponibles sans a priori. « Nous leur disons que si elles veulent absolument être manutentionnaires, C2DI n'est pas le bon endroit. Ici, l'objectif, c'est d'abord de décrocher un CDI. En outre, cette présentation sans distinction des postes permet aux chargés de mission de les faire réagir et d'apprendre beaucoup plus sur ce qu'elles savent et sur ce qu'elles veulent en fin de compte. C'est un outil de communication et d'information pour nous », souligne Philippe Avez.

Mais le plus gros travail des équipes commence aux portes de l'entreprise. Car le pari est d'arriver à faire changer le regard et les méthodes de recrutement des employeurs. Lettres de motivation, entretiens d'embauche, tests et CV sont résolument écartés lors de la présentation d'un candidat à un employeur. Près de 80 % des personnes accompagnées n'ont en effet aucun diplôme et presque un tiers d'entre elles ne dispose d'aucune ressource. En outre, plus de quatre sur dix cumulent cinq types de difficultés, qu'il s'agisse de contraintes familiales ou sociales, de problématiques de santé et d'addiction, de difficultés avec la justice ou encore de problèmes de mobilité. Dans ces conditions le refus de présenter un « profil professionnel » aux employeurs est nécessaire au succès de la démarche, explique son directeur : « Qu'est-ce que l'on peut mettre dans un CV quand on vient de l'Arapej [Association réflexion action prison et justice], que l'on a passé 20 ans en prison, que l'on est orienté par l'Amicale du Nid, que l'on a vécu la prostitution durant plusieurs années ou encore que l'on est une maman isolée envoyée par un centre maternel et que l'on a deux enfants et des difficultés avec la langue française ? »

Jugeant inopérantes les méthodes d'embauche traditionnelles, l'association mise donc sur la relation suivie avec les employeurs. En amont, les équipes ont capté les offres d'emploi auprès d'entreprises locales, dans tous les secteurs d'activité, pour proposer aux candidats un ou plusieurs choix dans un délai très court. Ces offres sont négociées auprès des employeurs qui, pour la plupart, expriment leurs difficultés de recrutement ou sont soucieux de réduire le turn-over important de leurs salariés. De même, les chargés de mission discutent des conditions d'une bonne intégration dans les entreprises afin de réunir toutes les conditions favorables à l'embauche, puis proposent un accompagnement et un suivi régulier des contrats jusqu'à la validation des périodes d'essai. Immersion d'une demi-journée en entreprise pour mieux connaître le poste à pourvoir, examen méticuleux des besoins exacts en termes d'embauche, de l'organisation du travail mise en place pour ce poste, des contraintes existantes, du bilan de collaboration..., les chargés de mission passent plus de la moitié de leur temps à travailler avec les employeurs. Pour un poste de caissier dans la distribution, par exemple, ils peuvent demander que le postulant puisse d'abord visiter le magasin, faire connaissance avec les autres salariés et, pourquoi pas, travailler en binôme pendant quelques jours. Un travail « sur mesure » qui exige un investissement inhabituel des entreprises, admet Philippe Avez : « On leur parle de recrutement en CDI, de modification du process d'embauche, d'accueil, d'intégration. Mais, d'un autre côté, on leur montre les avantages, en termes de rentabilité et de fidélisation de leur personnel. »

La démarche bouscule quelque peu les pratiques des travailleurs sociaux. « Elle est intéressante, mais aussi un peu dérangeante parfois, dans le sens où elle remet en question l'idée de parcours d'insertion, de sas nécessaires pour se préparer à aller travailler - après plusieurs mois ou même plusieurs années - dans une entreprise de droit commun », reconnaît David Régnier, directeur de TAE (Travailler et apprendre ensemble), un atelier de réinsertion professionnelle. Avec parfois une réinterrogation des professionnels sur leur façon de faire. « Bien souvent, dans nos institutions, les travailleurs sociaux déterminaient à quel moment la personne était prête à aller vers l'emploi et avaient tendance à se sentir parfois un peu «tout puissants», observe Patricia Léger, directrice de l'Amicale du Nid de Seine-Saint-Denis. Avec la démarche développée par C2DI, il a fallu adopter une autre posture pour écouter beaucoup plus la personne, entendre et respecter son envie de travailler. On est davantage dans l'esprit de la loi 2002-2 qui implique que l'on donne les possibilités aux personnes d'aller vers ce qu'elles désirent. »

Par ailleurs, le parti pris par l'association de ne jamais se présenter aux entreprises comme une structure d'action sociale, mais plutôt comme un dispositif chargé d'aider les entreprises (en majorité des PME) à résoudre les problèmes d'emploi, n'a pas toujours été bien perçu par certaines associations partenaires. La façon de faire valoir aux employeurs les avantages financiers qu'ils peuvent en retirer a pu parfois déconcerter, concède Philippe Avez. « Pourtant, si nous disions précisément qui nous sommes et que nous mettions en avant cette dimension d'intégration de publics en difficulté, plus de 95 % des employeurs refuseraient de nous rencontrer. »

Une action sociale en parallèle

Quoi qu'il en soit, les résultats sont là. Près de la moitié des quelque 200 personnes entrant chaque année dans le dispositif obtient un emploi durable, dont 80 % en CDI et 20 % en CDD de longue durée, avec une perspective de CDI. Mais ces chiffres encourageants doivent aussi beaucoup à l'action sociale menée en parallèle par les associations. « Lorsqu'une personne qui n'a quasiment pas de ressources entre dans un emploi, cela pose un tas de problèmes en termes de garde d'enfant, de transport, de logement... L'accompagnement de nos publics, mené en relation avec C2DI, est alors très important », souligne David Régnier.

L'action trouve tout de même ses limites pour certains publics, à l'instar des personnes de plus de 50 ans, de celles qui se débattent avec des problèmes d'illettrisme et, plus globalement, des femmes. C'est pourquoi l'association réfléchit aujourd'hui à la manière de faire évoluer la démarche, pour y intégrer notamment de nouvelles catégories de personnes. Que faire, par exemple, pour les femmes qui n'ont pas accès au dispositif parce qu'elles font ici ou là quelques heures de ménage ou de garde d'enfant ? Et pourquoi limiter l'action aux publics dont le niveau de formation ne dépasse pas le niveau V, alors que le diplôme ne constitue plus une garantie contre la précarité ? « Il est parfois plus facile de trouver du travail pour le détenteur d'un CAP que pour un bachelier, avec une formation générale et sans expérience professionnelle », estime Philippe Avez. Pour lui, si la démarche peut déranger, elle a le mérite de répondre à la demande des publics de travailler. « La plus grande réussite est de savoir qu'une personne a démissionné du poste qu'elle occupait pour démarrer un nouvel emploi. L'individu concerné, en position de faire des choix, devient acteur de son parcours. »

La méthode IOD

Portée depuis plus de 20 ans par l'association Transfer à Bordeaux, la méthode d'intervention sur l'offre et la demande d'emploi (IOD) consiste à organiser une intermédiation en agissant sur les pratiques de recrutement et de gestion du personnel des entreprises. Les équipes IOD créent pour cela un réseau d'une centaine d'entreprises qu'elles interrogent dans les moindres détails pour connaître les postes à pourvoir. Elles sont ainsi en mesure de proposer des personnes a priori jugées éloignées de l'emploi mais dont le profil et/ou l'expérience conviennent. Environ une cinquantaine de structures appliquent, en France, cette méthode.

Des financements importants

Lourde, car exigeant un important investissement des équipes chargées de prospecter les entreprises en amont et d'assurer un suivi rigoureux des personnes qui entrent dans un emploi de droit commun, la démarche développée par C2DI, selon les principes de la méthode IOD, nécessite des fonds importants. Pour l'association de Seine-Saint-Denis, les financements publics se montent à plus de 750 000 €, répartis entre le conseil général (à hauteur d'environ 550 000 €), le Fonds social européen (environ 140 000 €) et la préfecture, via la politique pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (un peu plus de 60 000 €). « Un effort certes non négligeable, néanmoins le coût reste relatif puisque cela revient à environ 3 000 € par personne prise en charge », précise Philippe Avez, directeur de l'association.

Notes

(1) C2DI 93 : 10, avenue Jeanne-d'Arc - 93600 Aulnay-sous-Bois - Tél. 01 58 03 06 00 - association@c2di93.fr.

(2) Association des Cités du Secours catholique, Association Soeur-Emmanuelle, ALJM, Amicale du Nid, Arapej, Arrimages, ATD quart monde, Aurore, AVVEJ, Centre d'orientation sociale, Emmaüs, Essor 93, Interlogement 93, Travailler apprendre ensemble, Toit accueil vie, Ville et avenir.

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