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Evaluation : êtes-vous sceptique, démissionnaire ou engagé ?

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A reculons ? Prudemment ? Avec enthousiasme ? Tous les établissements n'abordent évidemment pas le chantier de l'évaluation interne dans le même esprit... Mohsen Mottaghi, chargé de l'évaluation interne dans une association et chef de service éducatif dans l'une de ses structures, propose une typologie.

« La date butoir initialement prévue pour l'évaluation interne 2007 a été repoussée à janvier 2009 et ce délai supplémentaire laisse aux établissements le temps de s'engager dans cette aventure qui nécessite la mobilisation des acteurs du secteur, comme celle des associations et des directions d'établissements. En regardant de plus près les différents établissements, il nous semble intéressant d'observer comment chacun d'entre eux, en fonction de son histoire, de ses valeurs et de la logique de son action, entre dans ce processus.

Trois types d'établissements peuvent être distingués. Les sceptiques, d'une part : on critique, conteste, se plaint, contourne et détourne la question de l'évaluation. Les démissionnaires, d'autre part : leurs membres ne sont pas personnellement découragés, mais l'établissement baisse les bras car la situation exige une mobilisation et implique un changement de manière de faire jugés impossibles. Enfin, les établissements engagés : il y a un consensus général sur la nécessité et l'importance de commencer la démarche, mais aussi beaucoup de choses à clarifier sur les façons de mener ce processus. L'établissement veut faire quelque chose même s'il ne connaît a priori ni les résultats, ni les tenants et aboutissants, ni les avantages et inconvénients de l'aventure.

Les sceptiques, ou comment tout faire pour ne pas faire l'évaluation

La loi de 2002 posait l'évaluation interne comme une obligation et demandait aux établissements d'y procéder dans un délai de cinq ans. Comme de culture et de coutume dans notre secteur, personne ne s'est inquiété de voir le temps passer, et les autorités compétentes ont reculé, ajoutant deux ans au délai initial. Quand la question est devenue urgente, les établissements se sont demandé comment faire pour sortir de cette situation et trouver des solutions. L'établissement sceptique s'est mis au travail pour construire un discours autour de la question de l'évaluation, avançant tous les arguments imaginaires et imaginables pour montrer l'impossibilité de mettre en place une telle démarche ou, dans le meilleur des cas, pour mettre en évidence les incohérences d'une telle démarche dans le secteur.

«Il est impossible de trouver le temps nécessaire.» Tel est le premier argument choc. «On est débordés par le quotidien et on a des difficultés à mener à bien notre travail et notre mission.» Cet argument fonctionne d'autant mieux qu'il est réconfortant pour le fonctionnement répétitif et routinier et qu'ainsi aucune remise en question de l'organisation ne s'impose. Il passe encore mieux lorsqu'on invoque le souci de préserver la qualité de la prise en charge ou l'accompagnement des personnes accueillies.

Le deuxième argument, la notion de priorité. Dans l'échelle des priorités du sceptique, l'évaluation n'est pas prépondérante, contrairement à l'accompagnement des usagers. Plutôt que d'inscrire l'évaluation comme outil d'amélioration du fonctionnement de l'établissement, le sceptique avance qu'il vaudrait mieux consacrer les réunions et les énergies de l'équipe à la clinique du sujet.

Un autre argument consiste à opposer subjectivité et objectivité. Le sceptique met l'accent sur la dimension subjective du travail éducatif, et dès lors conteste toute démarche qui tenterait d'objectiver et de rendre apparents certains de ses traits.

En outre, le sceptique avance la défense de la qualité. La quantité, c'est les chiffres. Pour le sceptique, la qualité du service est non mesurable. Aucune passerelle ne permet de passer d'une qualité à une quantité.

Dès lors, toute proposition pour construire une démarche pousse le sceptique à chercher une faille qui lui permettra de se réfugier dans la contestation ou de se présenter comme le défenseur des usagers. Il est la voix des sans-voix. Pour lui, rien ne peut rendre compte de la réalité des pratiques éducatives et des accompagnements. En outre, transférer le modèle d'entreprise dans le secteur social fait selon lui disparaître la spécificité du travail social : la logique économique, fondée sur le principe d'intérêt et sur la rationalité de l'acteur, ne peut pas être transposée dans un secteur où le lien social reste la base fondamentale du travail.

Cette manière de présenter les arguments du sceptique, toute caricaturale qu'elle puisse paraître, permet de mettre en valeur une façon de penser et de raisonner qui interdit tout questionnement, toute critique, toute interrogation et toute remise en question des pratiques professionnelles. C'est une pensée manichéenne, qui voit la réalité sans nuance : noir ou blanc, lumière ou ténèbres, bon ou mauvais. C'est aussi une pensée défensive : l'établissement sceptique cherche systématiquement à se défendre comme si tout propos n'était qu'une agression contre lui ou contre sa manière de voir. A partir du moment où la démarche de l'évaluation est ressentie comme une attaque contre le système immunitaire de l'établissement, il devient urgent de produire des anticorps pour se défendre. C'est enfin une pensée idéologique : l'établissement sceptique défend l'honneur et les valeurs. On ne peut abandonner sa façon de faire et sa philosophie de l'action sous prétexte de rendre visible ses différentes actions.

La pensée idéologique tend à ne se placer que sur le plan des idées au détriment de la réalité. Elle oscille entre une vision mythique, s'attachant par exemple à la recherche d'une explication du présent dans le passé, et une vision utopique s'enfuyant dans le futur sans référence à la réalité et à l'actualité. Une autre de ses caractéristiques est qu'elle idéalise son propre groupe et diabolise ceux qui sont à l'extérieur et qui peuvent facilement devenir des adversaires. Enfin, la fonction principale de l'idéologie consiste à justifier le présent et à occulter des réalités qui pourraient contredire sa vision.

Les démissionnaires ou comment faire pour que d'autres fassent l'évaluation à ma place

Si le sceptique recourt à tous les arguments imaginables et imaginaires pour interdire, par un tir de barrage fourni, toute démarche nouvelle, le démissionnaire, lui, reconnaît l'importance ou la nécessité de cette dernière, mais dit ne pas pouvoir se donner des moyens pour s'y engager.

L'établissement démissionne. Tout est si difficile à résoudre... Pour lui, l'évaluation interne, très complexe, nécessite des techniques hors de portée. Les responsables d'établissement n'ont ni le temps, ni la capacité de mobiliser les énergies des équipes. L'établissement démissionnaire, confronté à l'obligation de finaliser le travail de l'évaluation interne, cherche à trouver la solution à l'extérieur et particulièrement dans les cabinets de consultants. Il ne doit pas être très difficile d'en trouver un intéressé par une évaluation interne, mais le risque est que la démarche reste abstraite, sans que la spécificité du travail soit bien perçue. De plus, les acteurs, censés participer à une démarche dont l'objectif est d'aller vers de bonnes pratiques professionnelles, en sont exclus.

Pour l'établissement démissionnaire, avec une direction déjà débordée par la gestion du personnel et la mise en place de nombreux projets, penser l'évaluation est impossible. Sont invoqués la complexité de la démarche et les aspects techniques qui ne sont pas à la portée des directions ni des équipes. Ce type d'établissement, sans rechercher les ressources existantes ni la littérature à la disposition de ceux qui veulent s'y s'intéresser, trouve la réponse à l'extérieur.

Pour l'établissement démissionnaire, l'élément fondamental est l'organisation et le bon fonctionnement de la structure. S'engager sur le sens du travail, sur les valeurs, sur l'éthique et sur la philosophie de l'action, l'éloignerait des prises en charge quotidiennes.

De ces considérations découlent deux solutions. Premier cas, le recours à un cabinet de consultants qui effectue un travail avec les membres de l'association ou les directeurs. Le produit final sera présenté par les consultants à l'ensemble de l'équipe pour commentaires, observations ou éventuellement modifications. Deuxième cas, l'établissement démissionnaire croit faire participer les acteurs et tente de trouver une synthèse qui conforte sa position de direction et sa légitimité à mettre en place une démarche. Le consultant mène la barque, accompagné par les directeurs. Le consultant a alors généralement un rôle dans la formalisation de la rédaction finale.

Les engagés ou comment faire quand tout semble compliqué

Dans ce cas de figure, l'établissement souhaite s'engager dans le processus de l'évaluation, en utilisant les ressources internes et en mobilisant l'ensemble des acteurs, sans pour autant détenir des compétences spécifiques, ni les outils nécessaires. Il est convaincu de la nécessité de la démarche, de son rôle dans l'amélioration des prestations et services rendus aux usagers ou pour perfectionner les pratiques professionnelles ou enfin pour faciliter le dialogue et les échanges au sein des établissements. Il veut embarquer les acteurs dans cette aventure même si celle-ci est difficile.

Dire qu'il est nécessaire, voire indispensable de s'engager dans le processus de l'évaluation ne règle en rien le problème de la mobilisation ni les questions qui se posent. Il semble important de trouver une cohérence entre un ensemble d'acteurs intervenant dans ce processus avec des exigences différentes et des logiques parfois contradictoires. C'est la raison pour laquelle il sera nécessaire d'être vigilant sur l'interaction de ces acteurs même si un grand nombre d'entre eux sont partie prenante dans ce processus.

Mettre en place l'évaluation interne avec la participation des acteurs suppose une volonté plurielle.

D'abord celle de l'association. Elle doit promouvoir, légitimer, garantir la démarche et soutenir les directeurs et l'ensemble de l'équipe qui s'engagent dans ce processus. «Les poissons pourrissent par la tête», dit un proverbe chinois. Il faudrait néanmoins préciser un point : dire que l'association doit s'engager et s'impliquer dans le processus renvoie à deux philosophies de l'action et de l'implication. L'association peut s'engager dans l'action en voulant à la fois piloter mais aussi maîtriser la démarche. Dans cette optique, elle mettra en place une stratégie de l'action qui exclura, pour une bonne part, les acteurs de la démarche mais elle aura la satisfaction de mettre la main sur les différents processus engagés. Elle peut aussi, à l'inverse, promouvoir l'action, légitimer le processus, soutenir les personnes et assurer une cohérence entre la démarche de l'évaluation et les différents projets, à commencer par celui de l'association. Ce qui inscrit l'évaluation dans un cadre serein et contribue à lutter contre les peurs et les angoisses qui envahissent le secteur.

Il est également indispensable que la direction soit convaincue, sachant que l'analyse du réel fera remonter des problèmes qui ne sont pas soupçonnés, mais qui seront à résoudre. Si une démarche d'évaluation est efficace, elle aura à affronter des zones de résistances fortes de ceux qui veulent cacher ou qui ont pris l'habitude de déplacer les questions pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Il importe alors que les directions soient conscientes qu'il y aura remontée de problèmes inattendus, et qu'il faudra pouvoir les résoudre ou du moins les entendre. L'évaluation donne aussi l'occasion à la direction de pouvoir engager un débat collectif sur le fonctionnement de l'établissement et les différents projets mis en route.

Troisième élément important dans la démarche, l'ensemble des salariés concernés par cette évaluation. Nous n'avons pas assez insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas de l'évaluation des personnes mais de celle des prestations et services rendus aux usagers, au regard des besoins de la population et des projets élaborés. Il est donc important de mobiliser les différents salariés intervenant d'une façon ou d'une autre, qui pourront ainsi se sentir concernés par cette démarche.

C'est à l'aune de la conjonction de ces trois volontés et de l'inscription de la démarche dans un cadre global que l'on pourra juger la pertinence de cette action. Entre l'autosatisfaction et l'autoflagellation, l'occasion nous est donnée de faire valoir notre pratique et d'aller au-delà des positions partisanes qui poussent les établissements dans un enfermement idéologique. Il est temps de sortir des oppositions binaires et d'intégrer les nouvelles données, politiques, économiques, philosophiques, dans la compréhension du travail et sa réalisation. Le nouveau vocabulaire de l'action sociale sera enrichi si chacun s'engage à sa manière dans le processus et apporte ses expériences personnelles et professionnelles. »

Contact : mmottaghi.vdc@larencontre-asso.fr.

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