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QUELS CONTOURS POUR LE 5ERISQUE?

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Xavier Bertrand va présenter la trame du projet de « cinquième risque » de protection sociale début mai. Les arbitrages sont attendus à la fois sur le périmètre à couvrir, la gouvernance et les financements. Des points d'accord semblent se dégager sur les deux premiers sujets, moins sur le troisième.

Les deux membres du gouvernement chargés de la solidarité, Xavier Bertrand et Valérie Létard, ont commencé à consulter, le 3 avril, les partenaires sociaux, les collectivités territoriales et les associations sur ce que la seconde désigne comme le « cinquième risque de protection sociale tourné vers la prise en charge de la perte d'autonomie liée au handicap ou au grand âge ». Après cette phase de concertation, le temps « des décisions et de l'action » devrait venir rapidement. Selon la feuille de route fixée par le président de la République, en effet, « le chantier doit aboutir en 2008 et les premières mesures être effectives au cours de l'année 2009 », a rappelé la secrétaire d'Etat au congrès de la Fegapei (Fédération nationale des associations de parents et amis employeurs et gestionnaires d'établissements et services pour personnes handicapées mentales), le 25 avril. Cette manifestation, que l'organisation a centrée sur le thème de la « cinquième branche » - « le mot «risque» ayant une connotation trop assurantielle » au goût de son président, Pierre Matt -, fournit l'occasion de faire le point sur la question.

Le débat ne part pas de zéro. Il peut s'appuyer sur le rapport 2007 de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), adopté en octobre dernier (1). Ce texte, que Valérie Létard qualifie de « remarquable travail d'expertise », est plus que cela : une véritable prise de position politique. Il s'agit en effet d'un compromis adopté à l'unanimité par le conseil où siègent toutes les parties concernées - les associations de personnes âgées et de personnes handicapées, les fédérations d'établissements et de services, les partenaires sociaux, les collectivités territoriales, les caisses de sécurité sociale, les représentants des deux assemblées et des ministères. Evidemment, ni le gouvernement ni le Parlement ne sont tenus de le suivre, mais les points de consensus dégagés devraient peser dans la suite des débats.

Quelle profondeur de champ ?

Sur quoi portent les discussions ? Le périmètre concerné - personnes âgées et personnes handicapées - pose-t-il encore problème ? « Il ne va pas de soi pour tout le monde », estime Luc Broussy, spécialiste de la question des personnes âgées, vice-président PS du conseil général du Val-d'Oise et « grand témoin » au congrès de la Fegapei, en rappelant qu'au printemps 2003, c'est au secrétariat d'Etat aux personnes handicapées que germait l'idée de la « journée de solidarité », inspirée de l'exemple allemand, pour financer les nouvelles dépenses. La canicule de l'été suivant a conduit le gouvernement Raffarin à créer la CNSA et à partager la nouvelle recette entre les deux publics. Mais cela n'empêche pas le sénateur UMP Philippe Marini de défendre, au vu des données démographiques des prochaines décennies, l'idée que le cinquième risque devrait être consacré à la perte d'autonomie des personnes âgées et au développement de leur maintien à domicile. « Philippe Marini ne pense qu'à une chose : maîtriser le coût du vieillissement », commente Luc Broussy. Dans l'autre sens, la crainte d'être tirés vers le bas, ou de progresser moins rapidement, réapparaît de temps en temps du côté des défenseurs des personnes handicapées, le secteur des personnes âgées bénéficiant d'une moindre intervention publique (taux d'encadrement inférieur dans les établissements, frais d'hébergement à la charge de l'usager, reste à vivre plus faible...). Mais la conscience des besoins importants encore non satisfaits pour les deux populations et le rapprochement opéré au sein de la CNSA amènent un discours dominant du type : « Oui au rapprochement, tout en tenant compte des spécificités de chacune. » « Convergence sans confusion », résume le conseil de la CNSA. Pour sa part, le gouvernement Fillon se réfère à la loi du 11 février 2005, selon laquelle les deux publics ont vocation à partager un « droit universel à compensation pour toutes les personnes en perte d'autonomie quel que soit leur âge ». Un droit universel qui, à ses yeux, n'empêcherait pas cependant les différences de traitement entre les deux catégories, comme on le verra plus loin.

Ce point acquis, il reste encore à préciser quelle profondeur de champ devra couvrir le cinquième risque. A-t-il vocation à permettre le paiement des prestations existantes - l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) pour les personnes âgées, la PCH (prestation de compensation du handicap) pour les personnes handicapées et bientôt pour les deux catégories - et à financer les établissements et services, qui constituent d'ailleurs une forme de compensation ? Ou bien, comme le réclame Pierre Matt, le dispositif doit-il être beaucoup plus global et inclure, à côté du droit à compensation, le droit à l'éducation, à la formation, à l'emploi et les politiques de prévention, de recherche, d'accessibilité ? Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées, se prononce clairement pour un cinquième risque qui serait un « dispositif global, incluant l'école et l'emploi ». Sans entrer dans les détails, Valérie Létard affirme aussi que si le cinquième risque a vocation à « couvrir le développement de ces outils que sont les prestations et les réponses institutionnelles », il ne s'y « résume pas, loin s'en faut ». Il n'a « de sens que dans le cadre d'une politique beaucoup plus globale d'accompagnement ».

Il est un point cependant que tous se gardent bien d'inclure dans le périmètre du cinquième risque : les soins. Ils doivent rester dans le cadre du droit commun de l'assurance maladie, conviennent les protagonistes. « Il ne faut surtout pas cantonner les personnes en perte d'autonomie dans une caisse qui les isolerait », insiste par exemple Claude Evin, président de la FHF (Fédération hospitalière de France) et ancien ministre de la Santé. Dans un contexte de coût croissant des soins, le risque serait grand, en effet, de glisser vers une assurance maladie « à deux vitesses », les vieux et les handicapés risquant fort de ne pas être prioritaires dans l'attribution des crédits... « Attention à ce que les dispositifs protégeant les personnes en perte d'autonomie ne soient pas isolés comme dans des citadelles », met aussi en garde Patrick Gohet sur un plan plus général. Dans tous les domaines, plaide-t-il, il faut maintenir des politiques transversales, intégrées, qui mobilisent tous les ministères, toutes les administrations, toutes les forces vives. « Sinon, c'est le recul assuré. »

Pour autant, Eric Molinié, vice-président de l'APF (Association des paralysés de France), ne s'interdit pas de réfléchir à certaines rectifications de frontières entre l'assurance maladie et la cinquième branche. « Pourquoi faudrait-il qu'une partie du fauteuil sur lequel je suis assis continue d'être remboursée par l'assurance maladie ?, demande-t-il. Cela devrait être inclus dans la prestation de compensation. » Au nom de la simplification et de la rationalisation, mais à condition, bien sûr, que ce transfert de charges soit dûment... compensé.

Proximité et équité

La gouvernance de la future branche de protection sociale semble faire l'unanimité. Tout le monde est d'accord sur le point de départ : une évaluation personnalisée des besoins, fondée sur un projet de vie, qui doit permettre d'établir un plan personnalisé de compensation, selon l'ambition fixée par la loi du 11 février 2005. Cette démarche ne peut évidemment être accomplie que par un service de proximité. Consensus : celui-ci doit être confié aux départements. Seul Jacques Attali, qui envisage la disparition des conseils généraux dans un délai de dix ans, propose que les fonctions de proximité soient assurées par les 6 000 agglomérations qui mailleront alors le territoire. Dans l'immédiat, Valérie Létard l'a confirmé : les maisons départementales de personnes handicapées, créées par la loi de 2005, ont vocation à devenir des maisons départementales de l'autonomie, où pourra s'élaborer une culture commune de l'évaluation et de la prise en compte du projet personnalisé.

Service de proximité, mais égalité de traitement quel que soit le lieu de résidence. Cet autre impératif, retenu par tous, doit être assuré par un pouvoir central chargé de définir des droits (et ce ne peut être que l'Etat), mais aussi d'établir des procédures d'évaluation, des nomenclatures et des barèmes de prise en charge communs, et de répartir équitablement les ressources en réduisant les inégalités. « Il faut un pilote », et la CNSA, « qui a déjà affirmé son pouvoir structurant, a acquis la légitimité pour assurer la gouvernance de la cinquième branche », affirme par exemple Fernand Tournan, président de l'APAJH (Association pour adultes et jeunes handicapés). « Tout le monde est d'accord là-dessus, constate Luc Broussy, mais alors il faut donner à la CNSA plus de muscle, car elle ne dispose pas actuellement du pouvoir réglementaire et n'a autorité ni sur les services déconcentrés ni sur les conseils généraux. »

Si elle-même suggère une évolution de ses compétences et de ses moyens d'action, notamment pour la répartition des enveloppes qu'elle gère - ce qui devrait permettre de mettre fin, par exemple, à la double circulaire budgétaire annuelle, celle de la DGAS (direction générale de l'action sociale) et la sienne -, la CNSA se verrait volontiers confier un rôle d'animation renforcé plutôt qu'un pouvoir hiérarchique. « Que nous ne soyons ni une caisse de sécurité sociale, ni une administration, seulement un état-major sans services déconcentrés, nous a obligés à inventer un nouveau mode de travail partenarial avec les DDASS [directions départementales des affaires sanitaires et sociales] et les conseils généraux, défend ainsi Laurent Vachey, son directeur général adjoint. Nous ne donnons pas d'instruction, nous apportons des services. Il me semble qu'il faut préserver cette façon de faire. »

Entre les départements, échelon de proximité, et la CNSA, il y aura bientôt les ARS (agences régionales de santé). Accueillies comme une promesse de simplification, de lisibilité, de décloisonnement, elles continuent cependant de susciter des craintes : ne seront-elles pas forcément « hospitalo-centrées » ? Yves Bur, député UMP du Bas-Rhin et auteur d'un récent rapport de l'Assemblée nationale (2), se veut rassurant sur la « sanctuarisation » des crédits du secteur médico-social. Il estime aussi que son dynamisme associatif et ses capacités d'adaptation et d'innovation ne sont pas remis en cause, surtout s'il saisit l'occasion de surmonter son émiettement et de mieux s'organiser, notamment au plan régional. Claude Evin également minimise les risques « maintenant que le secteur médico-social est devenu plus fort, que son savoir-faire est reconnu, y compris par le secteur sanitaire ». Tout le monde convient, par exemple, que nombre d'infirmes moteurs cérébraux, d'autistes, de handicapés psychiques seraient mieux pris en charge et pourraient mieux s'épanouir dans des établissements médico-sociaux adaptés, axés sur des projets de vie, pas seulement de soins. « La meilleure garantie, c'est le professionnalisme et la qualité du service apporté. » Encore faut-il, ajoute l'ancien ministre, que des garanties soient apportées par une nomenclature et une tarification nationales, et que les départements soient associés au fonctionnement des ARS. Yves Bur souhaite d'ailleurs que les ARS puissent déléguer directement tous les crédits de sécurité sociale aux départements, lesquels deviendraient alors l'unique autorité de tutelle et de tarification pour les établissements, ce qui « simplifierait la vie de bien des gestionnaires ». Le département « interlocuteur unique » : nombreux sont ceux qui le souhaitent - y compris pour les crédits des ESAT (établissements et services d'aide par le travail) actuellement gérés par les directions départementales du travail. Mais « dans le cadre d'un plan impératif négocié », ajoute le partisan déclaré de la décentralisation Pierre Jamet, directeur des services du conseil général du Rhône, qui milite pour des « ARS fortes et musclées ». Dont l'articulation avec les ministères, ou une Agence nationale de santé, et avec une « CNSA puissante », doit encore être inventée.

Solidarité ou assurance privée ?

Reste le gros point d'interrogation : le financement de la nouvelle branche. Mais d'abord, quels sont les besoins ? Tout le monde est d'accord, Xavier Bertrand le premier, pour partir de là, sauf à voir s'allonger ou se reformer d'inadmissibles files d'attente ou à devoir gérer les suites d'une canicule bis. Mais, même s'ils ne sont pas parfaitement définis - après l'estimation de la Fegapei l'an dernier sur le manque de 117 000 places en établissements pour les personnes handicapées, un chiffrage officiel est en cours -, les objectifs sont néanmoins cernés et arrêtés dans les grandes lignes. L'offre de places doit être complétée, et rapidement, dans les deux secteurs, le taux d'encadrement doit être renforcé dans les maisons de retraite médicalisées, le soutien à domicile doit être sérieusement développé, le reste à charge doit être diminué, la prestation de compensation doit s'intéresser à tous les aspects de la vie quotidienne et être progressivement étendue... En s'appuyant sur les études antérieures (3), la CNSA a estimé que l'enjeu financier était « sérieux, mais pas hors de portée » puisqu'il équivalait, à l'horizon d'une génération, au supplément de dépense que la Nation consent en ce moment sur l'assurance maladie.

Une partie des besoins pourrait être couverte par des redéploiements de cette même assurance maladie, suggère le conseil de la CNSA. Pour le reste, il faudra trouver des ressources nouvelles. A cet égard, il cite plusieurs pistes de recettes publiques possibles (généralisation de la contribution de solidarité à tous les revenus, alignement de la CSG perçue sur les retraites sur celle appliquée aux salaires, taxation des « niches sociales », création d'une cotisation spécifique...), mais sans se prononcer. En son sein coexistent, en effet, les partisans d'un financement de la cinquième branche par la seule solidarité nationale et ceux d'une combinaison de la solidarité publique et de la prévoyance collective ou personnelle, à des degrés divers. Certains prêts à envisager de nouveaux prélèvements obligatoires, d'autres s'y refusant absolument.

Les termes du débat restent les mêmes. Les grandes organisations associatives du secteur social et médico-social martèlent que c'est à la solidarité nationale d'intervenir pour l'essentiel, et cela d'autant plus qu'elles savent que la cause n'est pas gagnée d'avance. Lors de leur récente audition par les ministres, les organisations syndicales de salariés ont réaffirmé la même position. Au contraire, le Medef veut réserver la solidarité nationale « aux cas les plus lourds et aux plus démunis », la prise en charge de la dépendance étant, pour tous les autres, une responsabilité individuelle. Charge à chacun de compter sur les solidarités familiales et/ou les assurances privées. Pas question, en tout cas, de faire peser de nouvelles charges sur le travail.

Une autre piste est aussi parfois avancée : un panier de services minimal pris en charge pour tous par la solidarité, le reste étant couvert par l'assurance. Certains défendent à cet égard le rôle complémentaire que pourrait jouer la prévoyance collective, par le biais de contrats obligatoires souscrits dans les entreprises, qui seraient préférables aux assurances individuelles. « Les deux niveaux de garantie devraient se déclencher en même temps », précise même Laurent Vachey. Mais quid, alors, des non-salariés, des retraités, des personnes handicapées incapables de travailler ? « Les familles devront-elles s'assurer contre le handicap avant la naissance d'un enfant ? », s'indigne Fernand Tournan.

Pour sa part, Valérie Létard répond à cette question en esquissant une autre ligne de partage, avec un traitement différent de la dépendance liée à l'avancée en âge, « risque prévisible qui survient après une vie d'activité durant laquelle la plupart des personnes ont acquis des droits à pension et souvent un patrimoine », et de la dépendance liée au handicap, qui « prive souvent la personne de la possibilité d'acquérir ces ressources. L'équité en la matière, ce n'est pas forcément d'avoir une approche identique. » Retour au point de départ et à deux régimes au sein même du cinquième risque ?

On notera au passage qu'il ne devrait plus être question de récupération sur les successions - un chiffon rouge définitivement écarté ? -, mais de prendre en compte le patrimoine du vivant des intéressés, ce qui pourrait produire le même effet d'épouvantail et de baisse de la demande, donc des dépenses...

Les lignes de partage sur toutes ces questions passent sans doute au sein de la majorité présidentielle. Eric Woerth, ministre du Budget, préconise un « juste partage entre solidarité nationale et solidarité familiale, entre financements publics et financements privés », sachant qu'il a mission de réduire les premiers. Yves Bur, au contraire, se déclare « très réservé » sur tout transfert vers les assurances complémentaires, qu'il s'agisse d'ailleurs de la dépendance ou des dépenses de santé.

Trouver la bonne mesure

Reste donc à savoir où les pouvoirs publics placeront les curseurs entre les deux extrêmes : le droit vraiment universel à compensation de la perte d'autonomie qui, dans l'absolu, devrait être accordé sans condition, et l'application de plafonds de ressources et de barèmes tels qu'il ne s'agirait plus de créer qu'une CMU bis pour les plus démunis des démunis. Reste aussi à déterminer, question subsidiaire en cas de nouvel effort de solidarité, dans quelle mesure il solliciterait des ressources nationales et/ou pèserait sur l'opérateur départemental.

Autant d'arbitrages qui vont donc tomber dans les prochains mois. Deux écueils extrêmes attendent les décideurs. D'un côté, la cinquième branche « suscite des attentes d'autant plus fortes qu'elle est parfois vue comme la caverne d'Ali Baba », capable de faire droit « à tous les fantasmes, à toutes les revendications », constate Luc Broussy. De l'autre, le nouvel édifice peut être réduit à une coquille vide, une simple façade peinte de frais et pourvue d'une nouvelle enseigne. Mais sans moyens nouveaux, le cinquième risque pourra peut être améliorer des fonctionnements administratifs et harmoniser des procédures, sans changer grand chose à la vie quotidienne des personnes en manque ou en perte d'autonomie. Ce n'est vraiment pas ce qu'on leur souhaite.

Notes

(1) Voir ASH n° 2527 du 19-10-07, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2544 du 8-02-08, p. 11.

(3) Voir notamment le rapport du Centre d'analyse stratégique dans les ASH n° 2462 du 30-06-06, p. 13 et le rapport Gisserot dans les ASH n° 2499 du 23-03-07, p. 5.

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