«La pauvreté touche un moins grand nombre de personnes mais la situation financière des personnes les plus pauvres s'aggrave, en particulier les personnes isolées. » C'est ce qui ressort du cinquième rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES), remis le 29 avril à Christine Boutin et à Martin Hirsch, respectivement ministre du Logement et de la Ville et Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, en présence du président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (1). Parmi les « avancées » de ce rapport, la ministre souligne « le développement d'une analyse dynamique des phénomènes de la pauvreté » au travers de 11 indicateurs centraux pour rendre compte de son caractère multidimensionnel (2). En outre, le travail approfondi de l'observatoire sur les causes de la pauvreté, qui pointe les ruptures de tous ordres (rupture familiale, licenciement...), l'incite, dit-elle, à « poursuivre le développement des dispositifs de la 2e chance (3) et la signature de conventions avec les fédérations professionnelles pour le recrutement de jeunes en difficulté ». Selon elle, enfin, « la réponse pour sortir de la «trappe» à la pauvreté » réside également dans le projet de revenu de solidarité active » (4).
Selon l'ONPES, la population pauvre n'augmente pas numériquement, mais sa situation financière relative se dégrade. En 2005, il dénombrait 7,1 millions de personnes pauvres, soit 12,1 % de la population globale vivant dans un ménage dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian (817 € mensuels). Et « une personne sur deux avait [même] un niveau de vie inférieur à 669 € par mois ». Ces chiffres placent malgré tout la France dans une position « légèrement plus favorable » que la moyenne de ses partenaires européens. Une analyse plus poussée via l'indicateur de difficultés des conditions de vie montre notamment que le taux de renoncement aux soins augmente depuis trois ans - en 2004, 13 % de la population étaient concernée -, une hausse à prendre toutefois avec précaution, estime l'ONPES, car elle « peut être fondée sur une moindre accessibilité du système de soins, mais aussi sur des attentes plus fortes des personnes envers ce système ». En outre, « le taux des demandes de logement non satisfaites après un an est très élevé » : 46 % en 2006.
« L'emploi à temps plein continue à protéger de la pauvreté », souligne le rapport, mais « la baisse du nombre de demandeurs d'emploi s'accompagne d'un développement de la pauvreté en emploi ». En effet, en 2005, on comptait 1,7 million de travailleurs pauvres (5), soit 7 % des travailleurs qui occupent un emploi mais qui sont malgré tout dans un ménage dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté. Une situation qui s'explique, selon le rapport, « à la fois par les conditions de leur emploi - temps partiel subi, discontinuité des contrats de travail - et par la composition de leur ménage ». 78 % des travailleurs pauvres occupent en effet un emploi toute l'année et 21 % un emploi à temps partiel. En 2005, en moyenne, ceux-ci ont perçu 775 € par mois au, soit environ la moitié des revenus d'activité moyens de l'ensemble des travailleurs. A noter que la composition du revenu de leur ménage laisse une part plus importante aux prestations sociales (21 % contre 6 % pour l'ensemble des ménages de travailleurs). « Pour ces personnes, le mal-emploi se double souvent d'un mal-logement », signale aussi le rapport.
S'agissant des allocataires des minima sociaux, leur nombre n'augmente plus depuis 2006, pour s'établir à cette date à 3,5 millions de personnes. « Cette baisse globale s'explique pour l'essentiel par le repli du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion [RMI], mais aussi par la baisse très forte du nombre d'allocataires de l'allocation d'insertion/allocation temporaire d'attente, cette dernière évolution tenant à des restrictions dans ses conditions d'attribution pour les demandeurs d'asile (6) », indique l'ONPES. Parallèlement, et bien que toujours soutenue, la croissance du nombre d'allocataires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) s'est nettement affaiblie, avec une progression de 0,4 % en 2006, contre 1,9 % en 2005. Quant à celle des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API), elle a continué à se renforcer : 5,5 % en 2006, contre 4,8 % en 2005. Un ménage pauvre sur trois est titulaire de l'un des principaux minima sociaux (RMI, API, minimum vieillesse, AAH). Et, au seuil de 50 % du revenu médian, cette proportion est presque d'un ménage sur deux. Au travers de l'étude par l'ONPES des trajectoires visant à appréhender la dynamique de la pauvreté, il apparaît que les taux d'entrée et de sortie des minima sociaux varient fortement entre dispositifs : le renouvellement de la population des bénéficiaires se situe ainsi autour de 30 % dans le cas du RMI et de l'allocation de solidarité spécifique, de 40 % pour l'API et seulement de 10 % pour l'AAH. La sortie de l'un des dispositifs ne signifiant pas nécessairement une sortie des minima sociaux, conclut-il.
L'ONPES consacre aussi une partie de son rapport aux relations entre droit et pauvreté, étude au travers de laquelle un constat s'impose : « nombre de droits fondamentaux proclamés par des instruments juridiques nationaux ou internationaux ne sont pas encore réellement accessibles aux personnes pauvres ». Dix ans après la mise en oeuvre de la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, le rapport révèle plusieurs tensions, notamment « entre l'émergence de prestations conditionnelles, comme cela a pu être le cas lors de la mise en place du contrat d'insertion pour les allocataires du revenu minimum d'insertion, et le développement d'un accompagnement social ou juridique approprié aux personnes les plus en difficulté ». Ou encore, « entre l'affirmation d'une notion d'opposabilité et la difficulté à rendre effectifs certains droits fondamentaux, comme le droit au logement dans un contexte de pénurie et de coût élevé du parc locatif ». Dans ce contexte, le rapport insiste sur « la nécessité d'un accompagnement pour l'accès des personnes pauvres au droit et à leurs droits ».
En outre, poursuit-il, « l'exemple du logement montre aussi qu'un droit social peut être proclamé et inscrit dans la loi, comme c'était le cas avant la loi «DALO» du 5 mars 2007 pour le droit à un logement décent, sans être pour autant effectif pour tous ». Ainsi, émerge de plus en plus l'idée selon laquelle la mise en oeuvre effective des droits fondamentaux pour tous passe par un recours au juge, tel que dans le cas de la mise en oeuvre du droit opposable au logement. Encore faut-il, pointe l'ONPES, que l'accès au système judiciaire soit garanti pour tous de manière satisfaisant, ce qui n'est pas toujours le cas.
Par ailleurs, « si le déficit d'information peut expliquer une part importante du non-recours à une prestation, la complexité du droit et des procédures est aussi un obstacle ». Toutefois, indique le rapport, peuvent aussi être en cause le désintérêt ou le scepticisme à l'égard de l'efficacité des mesures proposées, « l'effet stigmatisant de certaines prestations, en particulier celles versées sous conditions de ressources », la « crainte de la personne face aux pouvoirs prêtés à l'administration, à la menace d'un placement des enfants ou de l'expulsion d'un membre de la famille en situation irrégulière » ou encore le « manque de services adéquats ».
(1) Rapport disponible sur
(2) Ces indicateurs figurent parmi ceux du tableau de bord élaboré pour mesurer la baisse de la pauvreté - Voir ci-dessous.
(5) L'ONPES retient ici la définition française de la notion de travailleur pauvre.