L'an dernier, la Cimade dénonçait déjà l'« industrialisation » du dispositif d'éloignement des étrangers en situation irrégulière et le coût humain de la « politique du chiffre ». Dans son rapport 2007 sur les centres et locaux de rétention administrative (1), elle s'attache à montrer que cette logique « s'accompagne de la mise en place progressive d'un dispositif juridique qui tend à réduire les droits des étrangers ou à les priver de la possibilité pratique d'exercer ces droits ».
Selon la Cimade, plus de 35 000 personnes ont été placées en 2007 en rétention administrative. A la fin de l'année, le territoire comptait 1 693 places de rétention, contre 1 443 en 2006 et 969 en 2004. La durée moyenne de rétention est passée de neuf à 11 jours en un an. Reste qu'en 2007, 13 200 personnes ont été effectivement éloignées à partir d'un centre de rétention. « Ce qui représente un taux de reconduite de 38 % » contre 45 % en 2006.
Conséquence de l'habilitation de centres de rétention à recevoir des familles, 242 enfants ont en 2007 connu une privation de liberté, dont 80 % avaient moins de 10 ans. Autre indicateur, celui de l'exercice du droit d'asile. Sur les 1 436 demandes effectuées en rétention, un peu moins de 40 ont abouti à l'obtention d'un statut de réfugié. Si ce chiffre représente un taux de reconnaissance en augmentation de 14 %, note la Cimade, « compte tenu des difficultés de plus en plus importantes pour accéder au droit d'asile, en particulier en rétention (délai très court, nécessité de rédiger la demande en français, examen «exprès» par l'OFPRA [Office français de protection des réfugiés et apatrides], absence de recours suspensif), nous craignons qu'un grand nombre de demandes rejetées le soient en raison de cette procédure et non parce que les personnes n'auraient pas besoin de la protection de la France ». Les ressortissants roumains et bulgares représentent par ailleurs, dans certains centres, jusqu'à 20 % des personnes retenues, leur éloignement étant motivé par la « menace à l'ordre public » ou « la charge déraisonnable » qu'ils représenteraient pour le système d'aide sociale, deux argu-ments le plus souvent contestables, juge la Cimade.
La nature des mesures d'éloignement témoigne aussi d'une évolution des pratiques. Ainsi, 8 % des retenus ont fait l'objet d'une « réadmission » dans un pays européen : ce sont soit des demandeurs d'asile ayant un dossier à l'étude dans un autre pays, soit des personnes qui ont transité par (ou vivent dans) un autre pays européen. La mesure d'OQTF (obligation de quitter le territoire français), qui accompagne depuis début 2007 les décisions de retrait ou de refus de titre de séjour (l'étranger dispose alors de un mois pour quitter le territoire, délai pendant lequel il peut former un recours), a représenté 4,6 % des mesures d'éloignement. Si ce pourcentage moyen est relativement faible, souligne la Cimade, il peut s'élever jusqu'à 10 % dans certains centres de rétention administrative. Et à la différence des personnes frappées par un APRF (arrêté préfectoral de reconduite à la frontière), « une part importante des personnes placées sur la base d'un OQTF ont fait l'objet d'une interpellation à domicile », procédure sujette à des dérives et qui a déjà entraîné nombre de drames humains...
Autre avatar de cette procédure accélérée : la Cimade a assisté, « à plusieurs reprises au cours de l'année 2007, à l'expulsion d'étrangers qui avaient pourtant déposé un recours contre l'OQTF dont il faisaient l'objet ». Compte tenu de sa récente entrée en vigueur, il se peut que le nombre d'OQTF augmente de façon importante en 2008, craint en outre l'organisation.
Parmi les étrangers en procédure d'éloignement, 6,5 % étaient quant à eux sous le coup d'une ITF (interdiction du territoire français), mesure pénale accompagnant le plus souvent une peine prononcée pour un délit ou un crime. Le séjour irrégulier étant lui-même considéré comme un délit, dénonce la Cimade qui réclame la dépénalisation de cette situation, « il arrive fréquemment que des étrangers soient emprisonnés et fassent l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire pour ce seul fait ». Et certains sont même « placés par l'administration dans un cercle infernal entre prison et centre de rétention », la logique du chiffre conduisant « à l'interpellation répétée d'étrangers qui sont placés plusieurs fois en rétention administrative », bien que non expulsables parce qu'ils ne disposent pas de papiers d'identité ou parce que leur consulat ne leur délivre pas de laissez-passer. Cette pratique contredit une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 22 avril 1997, « n'autorise en principe qu'une seule réitération de placement en rétention sur la base de la même mesure d'éloignement ». Ce détournement de procédure, conjugué à l'allongement de la durée de rétention à 32 jours, qui n'a pourtant pas eu, selon la Cimade, d'effet sur l'effectivité des expulsions, « fait ainsi de la rétention une mesure répressive », et non plus une mesure ayant vocation à organiser l'éloignement de l'étranger en situation irrégulière.
Ce sentiment, également nourri par l'installation d'audiences « délocalisées » du juge des libertés et de la détention (2), « ne peut qu'être renforcé » par les travaux de la commission « Mazeaud », chargée depuis le mois de février de réfléchir au cadre constitutionnel nécessaire à la mise en place de quotas d'immigration et à une éventuelle unification des juridictions appelées à statuer sur le contentieux des étrangers, conclut-elle. L'har-monisation des normes européennes, par un projet de directive qui prévoit une durée maximale de rétention de 18 mois, constitue une autre source d'inquiétude.
(1) Disponible sur
(2) Voir à ce propos l'arrêt de la Cour de cassation, dans les ASH n° 2555 du 25-04-08, p. 17.