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La Villa Préaut aide ses anciennes à prendre un bon départ

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Pour permettre aux jeunes filles d'aborder avec davantage de sérénité leur sortie du foyer et d'accéder à l'autonomie à leur rythme, la Villa Préaut (Villiers-sur-Marne) a créé un service de suite des anciennes, où elles trouvent un appui social et un soutien psychologique. Un dispositif d'accompagnement fondé sur la durée et la solidarité.

« Durant les quatre années qui suivent la fin de leur placement, les jeunes filles aux parcours de vie compliqués que nous recevons connaissent une période d'extrême fragilité. En particulier, lorsqu'elles ne bénéficient pas du soutien de leur famille, qu'elles ne travaillent pas et n'ont pas droit au RMI, elles encourent divers risques, y compris de prostitution », affirme Nathalie Guimard, éducatrice spécialisée à la Villa Préaut (1), qui accueille des adolescentes de 15 à 21 ans. Consciente de « l'immaturité sociale et financière » dans laquelle se trouvent nombre d'ex-placées, pourtant censées, après un contrat jeune majeur, voler de leurs pro-pres ailes, l'équipe a cherché à adoucir le passage délicat du foyer vers « la vraie vie ». La Villa Préaut, qui dépend de l'association Jean-Cotxet, a ouvert en 1992 un « service de suite des anciennes », lequel a été réactivé, il y a six ans environ, après un travail de recherche (voir encadré, page 38). Accessible sans limite d'âge à toutes les jeunes filles qui ont été placées par l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou par la justice, ce dispositif original qu'animent deux travailleurs sociaux s'inscrit dans la continuité de l'approche éducative développée par la structure.

Au « foyer de la dernière chance », comme certaines le surnomment, les critères d'admission sont très larges (parcours personnels et institutionnels compliqués, passages à l'acte durs, lourdes difficultés psychiques...). Le fonctionnement se veut très souple, la tolérance est de mise, et si la vie de groupe est privilégiée, le suivi reste néanmoins très individualisé. La notion de durée est par ailleurs un axe fort. « Nous essayons de créer de la relation, de faire tenir le lien et d'éviter d'entrer à nouveau dans un processus de rupture, d'exclu-sion. Au contraire, l'institution doit faire repère. Comme dans une famille, ici, ce n'est pas parce qu'un enfant fait des bêtises qu'on l'abandonne », observe Alain Griffond, ancien directeur de la Villa Préaut, aujourd'hui directeur général adjoint de l'association Jean-Cotxet. Plus que la sanction, c'est la verbalisation qui est privilégiée. La relation éducative se veut en outre forte et l'affectif n'est pas écarté. « L'important est que le travail de reconstruction se fasse », poursuit-il. Le lien établi dans ce lieu où les familles ne viennent pas - et « le dernier où les adolescentes vont s'enraciner avant de partir vers l'extérieur », rappelle Monique Pacot, l'actuelle directrice - ne peut donc être rompu radicalement le jour où les jeunes atteignent leurs 21 ans. En effet, estime Alain Griffond, « cette relation durable s'est construite un peu en substitution du fait d'une histoire familiale compliquée. Il faut alors être cohérent : on ne peut créer du lien puis abandonner à nouveau simplement parce qu'officiellement, il n'y a plus de prise en charge. » La plupart des filles ont « vécu une enfance semée de ruptures, de rejets et d'abandons, souvent réactivés quand s'achève le placement et manifestent l'envie de garder des liens », complète Nathalie Guimard. Dans nombre d'internats d'ailleurs, les équipes voient régulièrement revenir des anciens. A cela s'ajoutent les difficultés d'insertion que connaissent tous les jeunes aujourd'hui. « Nos propres enfants ne s'insèrent pas avant 25 ans et on demanderait à ces jeunes filles, sans soutien ni capital, d'aller beaucoup plus vite, de trouver plus rapidement un travail et de se loger ! », s'enflamme Alain Griffond. Enfin, beaucoup éprouvent des difficultés à solliciter les services sociaux habituels malgré leurs besoins. L'existence d'un espace connu, avec des personnels disponibles, leur permet donc de revenir en toute légitimité, sans se sentir redevables, lorsqu'elles ont un problème ou se sentent mal.

La majorité des jeunes filles s'adressant au service de suite ont quitté l'ASE depuis moins de quatre ans. « Celles qui retournent en famille n'y ont en général pas recours », constate Nathalie Guimard. Certaines anciennes viennent très ponctuellement, par exemple, demander de l'aide pour remplir un dossier, faire un courrier. D'autres, en situation très précaire, ont besoin d'un suivi régulier et d'un fort soutien. Il s'agit parfois d'abord de rompre un isolement pesant, en offrant un espace d'accueil et d'écoute ; parfois de trouver des relais extérieurs, de faciliter une recherche d'emploi ou d'hébergement. Le service est aussi confronté à des demandes d'urgence. « Certaines arrivent en pleine crise. On les dépanne en recherchant un hébergement d'urgence, en assurant une nuit d'hôtel... En moyenne, le suivi dure ensuite deux à trois mois », détaille Nathalie Guimard. D'autres, enfin, plus âgées, resurgissent à l'occasion d'un événement douloureux telle une séparation. La fonction du service, résume l'éducatrice, est en fait « de favoriser l'insertion sociale en termes d'emploi, de logement et de santé, et de mettre en relation les anciennes avec les structures de droit commun ». Peu à peu, des contacts sont pris, des ponts créés, facilitant l'inscription dans un réseau extérieur. En bref, il s'agit « d'accompagner vers une autonomie sociale ». Selon les cas, le service collabore ou non avec les structures sollicitées. « On s'adapte. Certains organismes souhaitent que l'on intervienne, d'autres non. Lorsqu'une jeune nous sollicite alors qu'elle est suivie par l'un d'eux, nous interrogeons toujours celui-ci afin de ne pas faire double emploi ni de court-circuiter son action. »

Le service de suite dispose, pour les anciennes, d'un budget de 4 000 € . Une somme qui, comme le coût des deux postes éducatifs ou les frais de fonctionnement, provient uniquement de ce que touche l'institution dans le cadre du prix de journée de chaque jeune placée. « Nous avons été transparents avec l'ASE, qui juge intéressant le dispositif, assure Alain Griffond. Cette méthode me semble très respectueuse des fonds publics. Elle permet d'éviter l'empilement des prises en charge et elle a du sens. Ce mode de financement repose en effet sur l'idée que ce sont les «actuelles» qui paient pour les anciennes. Et il est intéressant que ces jeunes, très dans le présent, comprennent qu'une partie de l'argent de leur suivi est investi pour après. » Chaque placement à la Villa Préaut ouvre ainsi, analyse Nathalie Guimard, « un droit à protection à la fin de la prise en charge pour parer aux risques éventuels. La mutualisation des moyens et la répartition des risques en fonction d'un principe de solidarité sont au coeur du projet. »

Pour que cela fonctionne, il faut toutefois que ce dernier remporte la pleine adhésion de l'équipe et soit porté par l'institution. Nombre d'anciennes ne reviennent pas seulement pour bénéficier de l'aide spécifique du service de suite. « Elles passent aussi parfois laver du linge, manger, demander un conseil, présenter leur enfant, dire bonjour à un éducateur ou à une maîtresse de maison... Il faut donc de la souplesse de la part des équipes car ce n'est pas toujours sim-ple à gérer », assure Nadine Haralambidis, monitrice-éducatrice. De surcroît, puisque le financement des personnels est assuré par le prix de journée, cela réduit le nombre de travailleurs sociaux sur l'internat. Mais l'intérêt du dispositif semble compris de tous. Pour les éducateurs, il est assez gratifiant de voir revenir les anciennes et cela redonne du sens à leur action. « Le travail auprès d'adolescentes peut être ingrat. Il faut gérer au quotidien des crises, des conflits, des comportements inquiétants, et les équipes ont parfois du mal à les imaginer dans un futur plus constructif et positif », remarque Nathalie Guimard. En outre, leur témoignage permet de revisiter certaines pratiques et de les améliorer, ce qui est enrichissant. L'effet sur les jeunes placées n'est pas non plus anodin. « Elles constatent que les relations ne sont pas coupées à la sortie. Elles rencontrent aussi des anciennes ayant eu des histoires semblables et se portant assez bien, ce qui les autorise à penser que ce n'est pas parce que l'on a été placé que tout est perdu. Cela les rassure et leur permet de se projeter », analyse Alain Griffond. De leur côté, les anciennes trouvent aussi, au-delà du soutien apporté par ce qu'elles considèrent être leur « seconde famille », un autre intérêt à venir. En effet, explique Nathalie Guimard, « nous demandons souvent aux anciennes ayant quitté le foyer depuis deux ou trois ans de venir, en soulignant l'importance que cela revêt pour les plus jeunes et cela les valorise ». En les autorisant à donner à leur tour à l'institution, cela inverse un peu les rôles, voire les sort d'un état d'assistanat dans lequel elles pourraient se sentir enfermées. « On leur explique qu'il ne s'agit pas que d'un service d'aide, qu'elles peuvent donner un coup de main et que, lors d'un repas, d'une sortie, d'une fête, voire d'un camp, leurs paroles peuvent parfois être mieux entendues que celles des éducateurs », poursuit-elle.

L'approche de la Villa Préaut suscite toutefois des réticences. « Souvent, on nous dit : «Vous ne voulez pas les lâcher, vous les assistez trop. Il y a trop d'affectif !» », résume Monique Pacot. En fait, les bilans effectués soulignent qu'après 25 ans, les anciennes ont pris leur envol et que rares sont celles utilisant véritablement le service de suite. « Certaines passent tous les jours, avec des problèmes de papiers, de grossesse, d'isolement, etc., puis, tout d'un coup, c'est fini. Une fois qu'elles ont pris des repères ailleurs, qu'elles ont tissé assez de liens à l'extérieur, elles ne nous sollicitent plus. On nous reproche de trop les accompagner, de freiner leur émancipation... mais à quoi ça sert de dire à une jeune fille de se débrouiller sous prétexte de lui apprendre l'autonomie et qu'elle se casse la figure ? Pour pouvoir bien partir, il faut avoir été bien soutenu. Plus on se sent solide, mieux on se sépare », affirme Nathalie Guimard. Et de compléter : « Personne n'a envie d'être aliéné. C'est juste une question de temps. » Un positionnement en rupture « avec le discours éducatif bien pensant actuel où il n'est question que de préparer à l'autonomie », commente Alain Griffond. « On parle à certains jeunes de leur départ avant même qu'ils n'arrivent... Ici nous prenons clairement le contre-pied. »

Quelques années après...

« Etre placées à l'adolescence... et après ? » Tel est le titre de la recherche menée, de 1996 à 2000 à la Villa Préaut, par Isabelle Fréchon, alors doctorante en sociologie et démographie (2). Une enquête, voulue par l'institution, afin notamment de connaître le devenir des jeunes filles passées en son sein quatre à 15 ans auparavant. « Les réponses se sont révélées rassurantes. Et il y a très peu de grosses dérives », affirme Alain Griffond.

Sur le plan professionnel, la chercheuse note que « les «ex-placées» sont proportionnellement autant que la population féminine du même âge à occuper un emploi ». Du côté du logement, elle relève qu'au cours des trois années suivant leur départ, « il apparaît une instabilité résidentielle importante ». Cependant, « après cette période difficile, ces jeunes femmes se stabilisent dans le logement et la situation résidentielle actuelle est plutôt bonne ». La majorité des anciennes vivent par ailleurs avec un conjoint et la moitié avec des enfants. Plus précisément, beaucoup se sont mises rapidement en couple après la fin de leur prise en charge, en particulier, avec quelqu'un « ayant le même type de passé qu'elles ». Souvent, cela a abouti à un échec. Toutefois, remarque la chercheuse, « ces jeunes femmes ont la capacité d'éviter de réitérer ces mauvaises expériences. Ainsi, la plupart se séparent d'un conjoint «en miroir négatif» pour s'unir avec un conjoint «aidant» ou «en miroir positif». » Enfin, l'étude relève que, si les ex-placées ont apprécié les principes éducatifs du foyer qui leur ont « permis de réapprendre à avoir confiance envers le monde adulte », le temps du placement a été vécu « comme une période de «surprotection» qui rend la fin de la prise en charge d'autant plus difficile à vivre ». En outre, il semble que la vie communautaire « renforce le sentiment de solitude vécu à la sortie du placement ». D'où la nécessité de conserver des liens. Des enseignements dont le service de suite a, selon l'équipe, tenu compte pour mieux adapter son intervention.

Notes

(1) Villa Préaut : Service de suite - 6, rue du Général-Leclerc - 94351 Villiers-sur-Marne cedex - Tél. 01 49 30 97 61.

(2) Etudes et recherches n°4 - Mai 2001 - CNFE-PJJ : 54, rue de Garches - 92420 Vaucresson - Tél. 01 47 95 98 60.

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