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Penser autrement le travail social en banlieue

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Le plan « Espoir banlieues », présenté en février par Nicolas Sarkozy (1) va dans le sens d'un désenclavement des quartiers en difficulté, se réjouit Jean-Marie Petitclerc, directeur de l'association « Le Valdocco » à Argenteuil (Val-d'Oise) et chargé de mission auprès de la ministre de la Ville chargé des relations avec les partenaires sociaux. Cette « refondation » de la politique de la ville appelle selon lui « une nouvelle dynamique du travail social ».

« Malgré une implication forte des élus et le travail considérable des acteurs associatifs et institutionnels, notamment les travailleurs sociaux dans les zones urbaines sensibles, force est de constater - et le dernier rapport de la Cour des comptes consacré à la politique de la ville en apporte la preuve (2) - l'insuffisance des résultats au regard des objectifs affichés.

L'erreur commise réside peut-être dans le zonage de tous les dispositifs mis en oeuvre. Il s'est agi le plus souvent de financer des activités menées dans les quartiers au bénéfice des habitants des quartiers. Et une telle politique n'a guère réussi à enrayer la spirale de ghettoïsation, le zonage ayant participé à la fixation des populations.

L'échec sans doute le plus patent concerne l'éducation. La carte scolaire, qui constituait une excellente mesure lorsque existait la mixité sociale dans les quartiers, permettant ainsi aux enfants de l'employé et de l'ouvrier d'être scolarisés avec ceux du médecin et du notaire, est devenue une terrible mesure dans les quartiers où n'existe plus cette mixité. On a ainsi doublé le phénomène de ségrégation urbaine, qui a consisté à rassembler à la périphérie de nos grandes villes des concentrations de population au statut économique précaire et dont une grande partie est issue de l'immigration, d'un processus de ségrégation éducative : les enfants ne fréquenteront plus que des enfants dont les parents sont dans la même situation que les leurs. On prend aujourd'hui conscience de l'erreur dramatique qui consiste à scolariser en bas des tours tous les enfants des tours ! Car la grande différence entre un collège de centre ville et celui d'une zone d'éducation prioritaire, c'est que dans le premier il est encore valorisant d'être le premier de la classe, alors que c'est dangereux dans le deuxième : l'enfant tête de classe devient aussitôt la cible de ses camarades qui le traitent d'«intello» et de «bouffon». Je connais personnellement dans ces quartiers tant d'enfants à l'intelligence aiguë - le pourcentage de génies scientifiques est le même dans ces territoires qu'ailleurs - qui sacrifient leur scolarité pour sauver leurs alliances. C'est ce que le grand linguiste Alain Bentolila qualifie de phénomène de «tribalisation de l'échec scolaire», l'enfant revendiquant l'échec pour pourvoir survivre dans la culture du quartier, tant celle-ci n'investit absolument pas comme valeur la réussite. Tous les efforts financiers qui ont été faits dans une telle logique de zonage des dispositifs se sont alors avérés vains. L'écart n'a cessé de grandir entre ces collèges en zone d'éducation prioritaire et les autres. Il est urgent de prendre conscience de la gravité de l'erreur commise.

Sortir de la culture de l'entre-pairs

Le problème central qui se pose dans les zones urbaines sensibles est bien celui de l'enclavement. Et l'enfermement n'est pas que géographique, il est aussi dans les têtes. Cela est particulièrement dramatique pour la jeunesse.

Se développe dans ces quartiers une culture de l'entre-pairs, de l'entre-jeunes, qui véhicule son propre langage et dans laquelle la violence devient un mode banalisé d'expression. Cette culture a tendance à phagocyter l'école, surtout lorsque celle-ci se trouve en plein coeur du quartier, et à renvoyer la famille à la marge, les parents arrivant à gérer tant bien que mal l'espace familial mais renonçant de plus en plus à intervenir sur les autres champs de la vie de l'enfant. L'enfant grandit dans ce bain culturel, et la difficulté de s'insérer dans la société française devient croissante.

Voilà pourquoi les maîtres mots de la nouvelle politique de la ville doivent être aujourd'hui ceux du désenclavement, du développement de la mobilité et de l'apprentissage de la mixité sociale. Même si l'on peut regretter que le plan «Espoir banlieues» n'ait pas eu l'ampleur attendue, reconnaissons que les mesures préconisées vont dans le bon sens, que ce soit dans le domaine du développement des transports que dans celui de l'éducation ou de l'emploi. Il s'agit d'expérimenter le «busing» au niveau des grands élèves de l'école primaire, de manière à leur permettre de découvrir d'autres réalités que celles de l'école du quartier. Il s'agit aussi de transformer quelques établissements scolaires situés dans les quartiers sensibles en pôles d'excellence (filière de type «internationale» ou «sport-études») de manière à attirer des jeunes du centre-ville. Il s'agit aussi de développer l'internat de réussite éducative permettant la mise à distance du quartier. Dans le domaine de l'accès à l'emploi, il ne s'agit plus seulement de travailler à l'accompagnement des jeunes vers l'entreprise, mais aussi au rapprochement des entreprises et de ces jeunes des quartiers.

Certes, il n'est question pour l'instant que de quelques expérimentations. Mais, n'en déplaise à certaines critiques qui déplorent le manque de moyens sans vraiment dire à quoi elles les affecteraient - l'essentiel ne consiste pas à dépenser plus mais à dépenser mieux -, ne faut-il pas, lorsque l'on veut innover, commencer par expérimenter sur quelques territoires avant, en cas d'évaluation positive, d'étendre le modèle ?

En tout cas, il s'agit d'une véritable refondation de la politique de la ville, appelée à retrouver l'ambition de ses origines (relier les quartiers à la ville) et à sortir du cadre de cette seule politique des quartiers dans lequel elle s'est malheureusement trop souvent enfermée.

Cette refondation appelle une nouvelle dynamique du travail social. Il s'agit de sortir d'une vision limitée au seul quartier pour travailler au renforcement du lien social des habitants avec ceux des autres quartiers de la ville.

J'ai, pour ma part, considérablement changé ma manière de travailler comme éducateur en prévention spécialisée. Il y a 30 ans, quand je démarrais dans le métier, il m'arrivait souvent de partir en mini-bus avec un collègue et sept jeunes du quartier. Aujourd'hui, si vous travaillez ainsi, vous êtes capables de reproduire l'ambiance du quartier dans le chalet de montagne que vous occupez en hiver ou dans le terrain de camping sur lequel vous vous installez en été. Ces dispositifs «Ville, vie, vacances», là encore zonés, coûtent une fortune et ne favorisent guère l'apprentissage de la mixité sociale, les jeunes provoquant à nouveau un phénomène de rejet chez les riverains.

Aujourd'hui, lorsque l'équipe éducative part en vacances avec des jeunes, elle emmène des jeunes des quartiers d'intervention mêlés à d'autres jeunes d'autres quartiers. Cela suppose le développement d'un esprit de jumelage avec des institutions de la ville.

Chez les travailleurs sociaux, on a trop souvent pensé le travail en réseau à la seule échelle du quartier. Il faut aujourd'hui l'ouvrir à l'échelle de la ville. Tel est à mes yeux l'enjeu fondamental de cette nouvelle politique de la ville que tous nous appelons de nos voeux. »

Contact : Association Le Valdocco - 18, rue du Nivernais - 95100 Argenteuil - Tél. 01 39 61 20 34 - E-mail : valdocco@aol.com.

Notes

(1) Voir ASH n° 2545 du 15-02-08, p. 7.

(2) Voir ASH n° 2531 du 16-11-07, p. 11.

TRIBUNE LIBRE

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