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A quelle sauce faut-il accommoder les SSIG ?

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Le rôle particulier reconnu aux services sociaux d'intérêt général est-il l'un des constituants du modèle européen ? Ou bien ne représente-t-il qu'une fragile exception aux règles de la concurrence ? Le débat reste ouvert et politiquement sensible, malgré les avancées du traité de Lisbonne. Il est aussi d'actualité, avec plusieurs échéances dans les prochains mois.

Faut-il créer un cadre juridique européen propre aux services sociaux d'intérêt général (SSIG) ? Non, a répondu la Commission européenne en novembre dernier. La nouvelle donne créée par le traité de Lisbonne en matière de services d'intérêt général (SIG) suffit bien. Pas besoin de légiférer (1). Oui, défendent au contraire de nombreux organismes, dont le Parlement européen, et le collectif SSIG-FR qui, dans l'Hexagone, rassemble les représentants des secteurs concernés (2). Le débat n'est pas clos, insistent ces derniers, qui comptent sur la présidence française de l'Union européenne, au second semestre 2008, pour le relancer. « C'est la dernière fenêtre de tir avant les élections européennes de 2009 », assure Joël Hasse Ferreira, élu socialiste portugais au Parlement européen.

Frits Bolkestein imaginait-il provoquer une controverse aussi durable quand il a défendu, en janvier 2004, sa proposition de directive sur les services ? C'est pourtant bien ce très libéral commissaire européen chargé du marché intérieur qui a mis le feu aux poudres.

Il y a eu « une vie pour les SSIG » avant lui, rappelle cependant Laurent Ghekiere, membre fondateur du collectif français où il représente l'Union sociale pour l'habitat. Mais avant Bolkestein, « les services sociaux se tenaient dans une situation relativement confortable de non-dit, d'incertitude par rapport aux règles du marché intérieur. Leurs incidences potentielles étaient sans cesse minimisées. Il est vrai que les faibles compétences de l'Union en matière sociale semblaient préserver le secteur des interventions bruxelloises ». Après Bolkestein, c'est la prise de conscience qu'aucun domaine d'activité n'est épargné par la concurrence « libre et non faussée » promue par le commissaire, avec son cortège de suspicions contre les interventions publiques, les domaines réservés ou protégés, les aides et les subventions, bref tout ce qui contrarie la loi du seul marché...

Avant Bolkestein, le sujet était évoqué dans une petite « sphère socio-sociale ». Après Bolkestein, le débat s'est élargi aux nombreux acteurs directement impliqués, à toutes les institutions européennes et aux Etats membres, même s'il ne fait pas encore l'ordinaire des conversations citoyennes. Il est vrai que le sujet, éminemment politique, prend des aspects juridiques et techniques difficilement accessibles dans le jargon européen et qu'il est compliqué par les références historiques et culturelles différentes selon les Etats. Beaucoup d'ex-pays de l'Est, par exemple, témoignent encore d'une méfiance instinctive envers toute intervention publique...

Un rapide historique s'impose pour mesurer les enjeux (3). A l'origine, le traité de Rome et ceux qui le suivent laissent la question des services publics, et des exceptions qu'ils pourraient entraîner aux règles du marché commun, à l'appréciation de la seule Commission européenne, les conflits éventuels étant soumis à la justice européenne. Le débat sur les services publics agite cependant les opinions dans les années 90, de telle sorte qu'en 2002, le Conseil européen (des chefs d'Etat et de gouvernement) de Barcelone demande à la Commission de présenter une directive-cadre spécifique sur le sujet. Celle-ci lance la procédure de réflexion classique avec un « livre vert » publié en 2003, suivi d'un « livre blanc » présenté en avril 2004.

C'est dans ce deuxième texte qu'apparaît, pour la première fois dans une communication de la Commission, la notion de SSIG, distingués pour leur « rôle particulier » : « ils assurent aux citoyens la possibilité de bénéficier effectivement de leurs droits fondamentaux et d'un niveau élevé de protection sociale et renforcent la cohésion sociale et territoriale ». A ce titre, il font « partie intégrante du modèle européen de société ». La Commission (alors présidée par Romano Prodi) propose d'en faire une « approche systématique » et de « clarifier le cadre dans lequel ils fonctionnent et peuvent être modernisés », avec une communication spécifique à venir en 2005, après une consultation des Etats membres.

Celle-ci ne débouche qu'en avril 2006, dans un contexte particulier. Le débat sur la directive Bolkestein et le fameux « plombier polonais » fait rage. Au sein de chaque pays, mais aussi entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil. Deux mois plus tôt, le Parle-ment européen vient, en particulier, à une très forte majorité, d'exclure les services sociaux et les soins de santé de la directive sur les services (4).

La communication d'avril 2006 reconnaît notamment que les SSIG fonctionnent sur la base de la solidarité et de la non-sélection des risques, sans but lucratif, avec la participation de bénévoles, qu'ils apportent aux besoins des réponses de proximité et personnalisées, propres à garantir l'effectivité des droits humains fondamentaux et à protéger les personnes les plus vulnérables. Comment le droit communautaire s'applique-t-il aux SSIG ? La Commission retient d'abord le principe de subsidiarité, qui reconnaît aux Etats membres la liberté de définir les missions d'intérêt général et d'établir les règles d'organisation qui en découlent, cette liberté devant s'exercer dans la transparence et sans abuser de la notion d'intérêt général (on y reviendra). Elle propose aussi que les principes de fonctionnement généraux (liberté d'établissement et de prestation, marchés publics...) soient applicables aux SSIG dès lors qu'il sont considérés comme des activités économiques. La Commission propose enfin de lancer une nouvelle consultation approfondie sur la spécificité des SSIG et d'établir des rapports bisannuels à la lumière desquels seront examinées « la nécessité et la possibilité juridique d'une proposition législative ».

Mais, dans les mois qui suivent, cette nécessité ne fait plus aucun doute à la suite des débats, parfois vifs, qui se déroulent aussi bien au Comité des régions (qui se prononce en décembre 2006), au Comité économique et social européen et au Parlement européen (qui concluent tous deux en mars 2007). Ces trois assemblées demandent l'adoption d'un « cadre spécifique » aux SSIG, afin de préciser en particulier les normes applicables en matière de concurrence et d'aides publiques.

La surprise de Lisbonne

L'Europe en a bien besoin en effet, comme le montre le rebondissement inattendu qui se produit lors du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007. Le Premier ministre néerlandais (de droite), Jan Peter Balkenende, fait un casus belli du contentieux qui l'oppose à la Commission à propos du logement social. Aux yeux de celle-ci, en effet, les Pays-Bas font une « erreur manifeste de qualification du SIG » en ouvrant leur important parc social locatif non seulement aux ménages défavorisés mais aussi, en cas de surcapacité, à d'autres personnes ayant « des revenus relativement élevés ». Il faut procéder à la vente de ces surcapacités, enjoint la Commission.

Cette dernière devra faire marche arrière et admettre qu'aucune disposition n'interdit à un bailleur social de gérer à la fois des logements sociaux et des logements libres de toute obligation spécifique, dès lors qu'en est tenue une comptabilité séparée et transparente et que les aides d'Etat sont seulement affectées aux premiers. Les Pays-Bas font d'ailleurs valoir qu'ils diminuent les aides publiques et que les revenus tirés des loyers libres permettent de maintenir la continuité du logement social.

Résultat : le traité de Lisbonne (actuellement en cours de ratification par les 27) inclut trois textes qui sont des « avancées très importantes » aux yeux des défenseurs des SSIG. Tout d'abord, il comprend un article 14 qui (comme d'ailleurs le projet de Constitution avant lui) veille à ce que les SIG puissent fonctionner « sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions ». La Charte des droits fondamentaux, annexée au traité, reconnaît le droit d'accès de tous aux SIG. Enfin, Le Premier ministre néerlandais obtient de ses collègues du Conseil l'ajout d'un protocole qui met des points sur les i. Ce court texte réaffirme d'abord « le rôle essentiel et la grande marge de manoeuvre des autorités nationales, régionales et locales » dans la fourniture et l'organisation des SIG, ainsi que la « diversité », voire les « disparités » qui peuvent exister dans leur mise en place « en raison des situations géographiques, sociales ou culturelles différentes » qui prévalent dans l'Union. Il retient aussi, parmi les « valeurs communes » à l'Union sur les SIG, « un niveau élevé de qualité, de sécurité et d'accessibilité, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs ».

L'ajout de ce protocole improvisé « a créé la surprise générale, dans le camp des défenseurs des services publics autant que dans celui des tenants résolus du marché intérieur, commente Laurent Ghekiere. Comme à chaque fois que la Commission a été trop loin dans la primauté qu'elle accorde aux règles du marché, le Conseil a corrigé le tir, même s'il n'a jamais lui-même arrêté de doctrine précise en la matière. »

Cependant, la Commission a pris ensuite prétexte de l'adoption de ces textes pour tenter de clore, en novembre 2007 comme on l'a vu, le débat sur les SIG et SSIG. Plus question d'une nouvelle communication sur le sujet, ni de proposition de législation, a tranché son président José Manuel Barroso, contre le sentiment maintes fois exprimé par le commissaire aux affaires sociales, le Tchèque Vladimir Spidla, chargé du dossier. « Aujourd'hui, le processus stratégique lancé en 2003 est donc bloqué, note Laurent Ghekiere. Les questions de fond ne sont pas réglées pour autant. L'irruption de nouveaux contentieux est inévitable. Visiblement, la Commission Barroso souhaite laisser ce dossier pour la prochaine mandature. » A moins que le Conseil sous présidence française ne relance la balle ?

Mais alors, quels sont les problèmes en suspens à remettre sur la table ? Et d'abord, pourquoi faut-il ménager un traitement distinct aux services sociaux ? Toutes les institutions européennes qui se sont penchées sur la question insistent sur le rôle particulier joué par les SSIG pour parvenir à la cohésion économique, sociale et territoriale, retenue comme objectif européen par la « stratégie de Lisbonne » définie en mars 2000. Elles énumèrent aussi les « valeurs partagées » de respect de la dignité humaine, de justice sociale, d'égalité, de solidarité et d'universalité sur lesquels ils reposent. Autant d'impératifs qui ne sont pas, à l'évidence, assurés par les seuls mécanismes du marché. Dans le domaine social, les normes en matière de concurrence, d'aides publi-ques et de marché intérieur doivent être compatibles avec les obligations de service public, et non l'inverse, a ainsi précisé clairement le Parlement européen. Ce qui suppose l'établissement explicite d'une hiérarchie des normes, qui n'existe pas à ce jour.

Au contraire, il subsiste « un net déséquilibre en faveur de la logique de concurrence, au détriment des objectifs d'intérêt général qui continuent à relever de l'exception », estime le Luxembourgeois Raymond Hencks, rapporteur sur les SSIG au Comité économique et social européen, pour qui « ce déséquilibre conduit à une incertitude juridique » qui ne met pas les SSIG « à l'abri d'effets négatifs » des règles du marché intérieur.

Il est clair aussi, pour toutes ces institutions, que la levée de l'incertitude ne peut être confiée à la seule jurisprudence. « Nous sommes favorables à la définition d'un droit positif plutôt qu'à l'exposition permanente des acteurs locaux et nationaux à des contentieux et à l'établissement en la matière d'un corps de doctrine par la justice communautaire », insiste ainsi Jean-Louis Destans, rapporteur sur les SSIG au Comité des régions. « Ce n'est pas au juge mais au politique de décider », appuie Bernard Lehideux, député européen (Modem).

Le périmètre des SSIG qui devraient faire l'objet d'un droit particulier fait aussi débat (voir encadré ci-contre). Faut-il y inclure les services de santé ? Non, a répondu la Commission en 2006, en décidant que ceux-ci devaient faire l'objet d'une directive particulière (mais rien n'est venu depuis). Oui, assurent de nombreux intervenants, comme le collectif SSIG-FR ou Raymond Hencks, pour qui le découplage a été fait « pour des raisons que la raison ne connaît pas ».

Autre question de fond qui reçoit des réponses différentes, on l'a vu à propos du logement social aux Pays-Bas : à qui s'adressent les SSIG ? Doivent-ils offrir un service universel à tous les citoyens européens ou un service résiduel aux plus défavorisés ? La Commission actuelle penche clairement pour la deuxième réponse. Les libéraux dans leur ensemble également, qui souhaitent voir au maximum les besoins de logement, de santé, de compensation de la dépendance, d'assurances sociales... couverts par le marché, quitte à ce que les pouvoirs publics assurent la voiture-balai pour les personnes qui n'ont pas les moyens de se payer un toit ou des soins. A l'inverse, pour Joël Hasse Ferreira, pas question « de services de pauvres pour les pauvres », il faut « des services de qualité pour tous ». C'est la ligne qu'ont retenue le Parlement, le Comité économique et social européen, le Comité des régions et, on peut le penser, le Conseil de Lisbonne l'an dernier, qui parle d'universalité des services. Mais là encore, le débat n'est sans doute pas épuisé. Ne le voit-on pas resurgir périodiquement en France, par exemple à propos des allocations familiales ou de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) servie aux personnes âgées ?

En tout cas, affirme Jean-Louis Destans, les exigences d'universalité, d'accessibilité pour tous (y compris pour les plus pauvres) et de programmation territoriale (y compris pour les régions les plus reculées) « appellent une intervention publique structurelle, notamment sur les systèmes d'offre et de tarification ».

Enfin, même si les SSIG assurent un service universel, ils s'adressent pour partie à des personnes fragiles, qui ne peuvent être considérées comme de simples clients. Certains des bénéficiaires sont même assistés sous contrainte par la décision d'un juge, souligne Raymond Hencks. En langage européen, on parle « d'asymétrie d'information » pour traduire cette inégalité entre le prestataire et le consommateur. Cette asymétrie appelle un encadrement du prestataire, afin qu'il n'abuse pas de sa supériorité. Tout le monde est d'accord là-dessus. Selon quelles modalités ? Nouveau casse-tête.

Actuellement, pour être exclus de la directive sur les services, les SSIG doivent être assurés soit par l'Etat, soit par des associations caritatives reconnues comme telles par l'Etat, soit par des prestataires mandatés par l'Etat. Or, en droit européen, ce mandatement suppose une obligation de rendre le service prévu. En droit français, le régime actuel d'autorisation ou d'agrément ne comporte pas une telle contrainte, il laisse à l'organisme concerné une marge d'initiative, d'autonomie. Aucun pays européen n'a d'ailleurs de législation impérative, en tout cas pour les services rendus aux personnes.

Simple nuance ou incompatibilité ? La question risque de devenir rapidement brûlante, la directive sur les services devant être transposée dans les droits nationaux avant la fin 2009. En France, le gouvernement a annoncé son intention de déposer un projet de loi en ce sens avant la fin juin 2008. Il a confié l'évaluation du système d'encadrement à un groupe de travail interministériel piloté par Bercy. « Le collectif SSIF-FR est en discussion avec lui, explique Laurent Ghekière. Deux hypothèses sont ouvertes : ou bien on considère que les systèmes français d'autorisation, d'agrément, d'habilitation, de conventionnement... valent mandatement, ou bien on réforme le droit français, et alors quel énorme chantier ! Nous n'en avons plus le temps. »

Rendez-vous en octobre

Le droit européen a une deuxième occasion très proche de s'inviter dans le débat national sur les SSIG. La France doit en effet déposer, avant le 19 décembre 2008, un rapport sur leur financement. Pour Bruxelles, toutes les subventions sont considérées comme des aides d'Etat - donc prohibées -, sauf si elles compensent les coûts liés à l'obligation de rendre le service prévu. Le contrôle communautaire consiste à vérifier la proportionnalité entre le contenu des missions fixées et les moyens attribués pour les réaliser. « Sous un angle réglementaire, tous les financements de nos SSIG pourraient être considérés comme illégaux », redoute Laurent Ghekiere, qui déplore « la politique de l'autruche » menée jusqu'ici.

A ce stade, le collectif SSIG - comme tous ceux qui sont sur la même ligne - compte donc sur la présidence française pour relancer le débat au plan politique : quel est le rôle attendu des services sociaux et quel cadre juridique faut-il leur fournir en conséquence ? Mieux, il demande que la question soit prise en charge par la troïka des présidences européennes (celle du moment, la précédente et la suivante), de telle sorte que le relais soit pris début 2009 par la République tchèque, puis transmis à la Suède, que ce dossier intéresse fortement. La conférence sur les SSIG, programmée à Paris les 28 et 29 octobre 2008, pourra-t-elle en fournir l'occasion ? Le collectif espère par ailleurs que le Parlement européen va continuer à travailler sur le sujet, ce qui pourrait être le cas si la proposition de l'eurodéputé (UMP) Jacques Toubon de travailler à un rapport sur le mandatement des SSIG est acceptée. Enfin, comme le dit Raymond Hencks, « la société civile aussi doit maintenir la pression pour que les potentialités du traité de Lisbonne débouchent sur du concret ».

Un périmètre encore mal délimité

Le terme de « service public » ne faisant pas consensus en Europe, c'est le vocable de « service d'intérêt général » (SIG) qui lui a été préféré. Ce sigle recouvre à la fois des services d'intérêt économique général, dits « SIG de réseaux », comme les transports, l'énergie, la poste et les réseaux de communication, des services « non économiques » comme la scolarité obligatoire, enfin les services sociaux et de santé (SSIG), dont la plupart sont des services économiques...

A mesure qu'avançaient les débats, le périmètre de ces SSIG a évolué. En 2004, le « livre blanc » de la Commission européenne y englobe explicitement les services de santé, les soins de longue durée, la sécurité sociale, les services de l'emploi et le logement social. Un peu plus tard, le Parlement ne cite, lui, que le logement social, les soins de santé, les services de garde d'enfants et les services familiaux.

La communication d'avril 2006 de la Commission ne retient plus les soins de santé dans le périmètre, mais étend les SSIG d'une part aux régimes légaux et complémentaires de protection sociale, d'autre part aux « autres services essentiels prestés directement à la personne ». Entrent dans cette catégorie les services aux plus jeunes et aux plus âgés, aux personnes handicapées ou malades, aux personnes en difficulté d'insertion ou en crise (immigrés, chômeurs, toxicomanes, surendettés...) et le logement social.

Cependant, la directive sur les services, finalement adoptée en décembre 2006, exclut de son périmètre les services sociaux qu'elle limite toutefois « au logement social, à la garde d'enfants et à l'aide aux familles et aux personnes [...] se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin ».

Reste à voir comment ce cadrage très restrictif est compatible avec le principe de subsidarité réaffirmé avec éclat dans le protocole annexé au traité de Lisbonne, selon lequel chaque pays dispose d'un « large pouvoir discrétionnaire » pour organiser les SIG...

Le CES aussi demande un cadre juridique propre aux SSIG

A son tour, le Conseil économique et social (CES) français s'est prononcé, le 9 avril, sur le cadre juridique nécessaire aux services sociaux d'intérêt général (5). Pour lui, « la question fondamentale est de savoir comment réserver dans l'Union une place légitime et utile aux services sociaux » entre « le «tout marchand» qui est au coeur des règles du marché unique » et le « tout public » qui en est exclu. Dans son avis - présenté par Frédéric Pascal (6) et adopté à l'unanimité moins les 20 abstentions du groupe des entreprises privées -, l'assemblée consultative constate elle aussi qu'après quatre années de débats, le processus communautaire reste « au milieu du gué » et demande au gouvernement français de le « relancer ».

Le CES a d'abord le mérite de préciser les activités qui, à son avis, entrent en France dans le champ des SSIG :

la protection sociale obligatoire et complémentaire ;

le secteur social et médico-social ;

les services d'aide et d'accompagnement à domicile des publics fragiles et l'ensemble des services à la personne ;

l'insertion par l'activité économique ;

l'emploi et la formation ;

le logement social ;

l'accueil collectif et individuel de la petite enfance ;

la protection de l'enfance en danger et la prise en charge de l'enfance délinquante ;

la jeunesse, le sport et l'éducation populaire ;

le tourisme social.

On le voit, la liste est beaucoup plus extensive que celle qui est retenue par certains textes européens (voir encadré page 29).

Alors que la réalisation du marché des services - qui, entendu au sens large, représente plus de 70 % du PIB européen - est aujourd'hui l'objectif prioritaire de la Commission européenne, le CES argumente lui aussi pour l'adoption d'un cadre juridique dérogatoire pour les SSIG. Pour de nombreuses raisons qui tiennent d'abord à leur rôle en matière de cohésion sociale et à leur spécificité de services nés pour la plupart de l'initiative civile (selon les époques : religieuse, patronale, mutualiste, associative...), mais dont le financement est ensuite repris et développé par l'Etat. Autre motif évoqué là encore : l'ensemble « extrêmement complexe » de décisions et de jurisprudence constitué au fil du temps, générateur d'un « droit dérivé déséquilibré en faveur des lois du marché » et d'une « insécurité juridique croissante », d'autant plus grave que les opérateurs, souvent des associations, parfois de petite taille, n'ont pas les moyens de « devenir des spécialistes du droit communautaire ».

Certes, reconnaît le CES, certains refusent l'établissement d'un cadre communautaire, dans la crainte qu'il vienne saper la liberté d'organisation des Etats, qui reste la règle en matière sociale. Il faut « convaincre » ces partenaires « que cette clarification ne contrarierait pas le principe de subsidiarité, alors que celui-ci est au contraire menacé par une application extensive des règles du marché », indique l'assemblée à l'intention de la prochaine présidence française de l'Union.

Celle-ci est donc appelée à proposer sur ce point l'adoption d'un « agenda européen précis » courant jusqu'à la fin 2009, et de le mettre à l'ordre du jour du Conseil européen de décembre 2008. Il devrait être accompagné d'une « feuille de route » prévoyant l'adoption « à moyen terme » d'un cadre juridique pour les SSIG. Ce dernier devrait notamment préciser leur périmètre, l'articulation entre leurs missions d'intérêt général et les règles du marché, et confirmerait la liberté d'organisation des Etats dans ce cadre. Le gouvernement devrait aussi promouvoir une approche « moins contraignante » du mandatement, qui pourrait inclure un « mandatement collectif » des structures et admettre que tout financement par l'Etat comporte implicitement une « obligation de prester », autrement dit de fournir le service.

Le CES s'adresse aussi au gouvernement français en tant que tel pour lui demander de considérer la transposition en droit français de la directive « services » comme un « enjeu majeur » et urgent. Alors que le calendrier est « très serré », la cellule constituée à Bercy se compose de trois personnes, contre douze aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, souligne le rapporteur, qui ajoute qu'un retard en la matière décrédibiliserait la France au moment de proposer un agenda européen sur les SSIG.

Tous les acteurs concernés doivent être associés à ce travail de transposition, ajoute le CES, car il ne s'agit « pas seulement d'un exercice technique » mais « politique ». Un travail ainsi mené permettrait « d'apaiser les inquiétudes ». Il devrait aussi être l'occasion de clarifier et de simplifier les multiples régimes d'encadrement des services sociaux et d'évaluer la qualité des contrôles qu'exerce la puissance publique.

L'occasion doit être saisie également pour mieux définir les missions d'intérêt général en droit interne et pour proposer un outil juridique de mandatement qui satisfasse aux exigences européennes, demande le CES, qui suggère enfin que les réformes nationales s'accompagnent d'une évaluation en amont de leurs conséquences au plan communautaire...

Notes

(1) Voir ASH n° 2532 du 23-11-07, p. 19.

(2) Collectif créé en 2005, dont font partie notamment les mutuelles, l'AFPA, la FAPIL, la FEHAP, la FHF, la FNARS, les Pact Arim, l'Unccas, l'USH et l'Uniopss - www.ssig-fr.org.

(3) Le collectif SSIG-FR a rassemblé les éléments du dossier dans un document paru en janvier 2008 : « Les services sociaux d'intérêt général dans le marché intérieur du XXIe siècle ». Il est disponible sur son site..

(4) Voir ASH n° 2444 du 24-02-06, p. 5 et 42.

(5) « Quel cadre juridique européen pour les services sociaux d'intérêt général ? » - Disponible sur www.conseil-economique-et-social.fr.

(6) Membre du groupe des associations, par ailleurs membre du bureau de l'Uniopss, ancien président de la Fonda et de la CPCA.

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