Environ 500 étudiants, selon la police, et 1 000, selon les organisateurs, se sont rassemblés le 3 avril devant le siège de la direction générale de l'action sociale (DGAS) à Paris, arborant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Stages gelés, étudiants menacés, éducateurs en danger », « Pas de stage, pas de diplôme ». A la même date, ils étaient 150, habillés en rouge, à manifester dans les rues de Rennes et 250 à battre le pavé et à multiplier les actions à Lille : barrage filtrant devant le conseil général, distribution de tracts, cortège funèbre... Au même moment, d'autres rassemblements et actions symboliques avaient lieu dans de nombreuses villes de France. Depuis, la mobilisation engagée il y a un mois (1) continue sous différentes formes : alors que les étudiants franciliens appelaient à un nouveau rassemblement le 9 avril devant la DRASS où ils devaient être reçus en délégation, leurs collègues bretons occupaient le 7 les locaux de celle de Rennes et, le lendemain, bloquaient l'entrée du conseil général et de la préfecture.
Loin de faiblir, le mouvement - qui ajoute désormais à ses soutiens (2) celui de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, de la Fédération nationale SUD Santé sociaux et de la Fédé-ration des personnels des services publics et des services de santé FO - devrait prendre une nouvelle vigueur : les délégués régionaux des étudiants mandatés par chaque école devaient en effet se réunir le 11 avril à l'IRTS de Montrouge (Hauts-de-Seine) pour définir les actions de mobilisation à venir et arrêter un socle de revendications communes. Sachant qu'au-delà de divergences - par exemple sur l'application du décret à tous les stagiaires (même aux boursiers et aux bénéficiaires des Assedic) ou l'attribution de la gratification par un organisme indépendant du lieu de stage pour « ne pas créer un rapport d'employés à employeurs » -, les collectifs se rejoignent a minima pour demander l'application immédiate du décret du 31 janvier aux travailleurs sociaux en formation de niveau III et IV (moniteurs-éducateurs), le déblocage des fonds par les pouvoirs publics et l'exten-sion de la mesure au secteur public.
Cette structuration nationale et cette radicalisation du mouvement témoignent de la détermination des étudiants à faire entendre d'une même voix leur colère et leurs inquiétudes sur leur avenir professionnel alors que chaque jour qui passe hypothèque un peu plus la possibilité de valider leur diplôme. Ils ont d'ailleurs le soutien des équipes pédagogiques des établissements de formation et de nombreux conseils d'administration. C'est le cas, par exemple, de celui de l'association gestionnaire de l'IRTS Paris/Ile-de-France qui a voté une motion où il affirme s'associer à la mobilisation et lance un appel aux autorités. « Dans notre promotion d'éducateurs spécialisés de deuxième année, nous avions tous trouvé un stage (dont la durée est de six mois) qui devait commencer le 25 mars. Mais depuis la sortie du décret, la date a été repoussée d'abord au 7 avril, maintenant au 19 mai. Après cela ne sera plus possible car nous ne serons pas en mesure de nous présenter au diplôme d'Etat en juin 2009 », explique Lucie Ballard, élèveà l'Association pour les formations aux professions éducatives et sociales de Bruz (Ille-et-Vilaine). « L'Association des directeurs d'institutions sociales du Maine-et-Loire s'est réunie dernièrement, 45 institutions se sont positionnées pour ne pas prendre de stagiaires en raison de leur incapacité à financer cette gratification », s'alarme également, dans une lettre du 1er avril adressée à l'ensemble des professionnels, la Coordination des étudiants du travail social angevin. Laquelle fait état d'un gel de l'accueil de stagiaires pour les élèves de niveau III, mais aussi de niveau IV, bien que ces derniers ne soient pas concernés par le décret. Ce qui s'expliquerait par la crainte de certains employeurs de leur voir étendue la gratification.
C'est dire l'état de confusion sur le terrain et la situation difficile dans laquelle sont placés certains directeurs d'institutions. Les responsables des établissements d'accueil de jeunes enfants, particulièrement fragilisés par la réduction des aides de la CNAF aux municipalités et le souci croissant des communautés d'agglomération de privilégier la rentabilité, expliquent notamment être obligés de choisir entre l'équilibre économique de leur structure et leur devoir de transmission éducative. « Devant les subventions qui n'augmentent plus depuis trois ans, ne prenant même pas en compte l'accroissement des rémunérations liées à l'ancienneté et celui du coût des charges principales, il nous est désormais impossible d'accueillir, comme nous le faisions jusqu'ici, des éducateurs de jeunes enfants en fin de formation », affirme, la mort dans l'âme, Pascal Dehais, directeur de l'association Accueil enfants Drouot, qui gère une structure d'accueil pour les 0 à 6 ans et un secteur animation pour les 6-11 ans dans un quartier en difficulté à Mulhouse. « Il est à craindre que le principe de la gratification ne vienne mettre en péril les fondements mêmes de la formation », ajoute, également très inquiète, la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants, qui « s'associe » aux actions des étudiants, des écoles et des formateurs de terrain.
Dans un tel contexte, les quelques annonces partielles lâchées le 25 mars dernier par la DGAS sont bien insuffisantes pour débloquer une situation qui s'apparente de plus en plus à une impasse. « D'autant que si l'administration centrale explique avoir donné toutes les consignes aux DDASS et aux DRASS pour qu'elles prennent en charge la dépense de la gratification des établissements du secteur médico-social de l'Etat, elle ne nous a donné aucune assurance pour les établis-sements financés par l'aide sociale de l'Etat (secteur de l'urgence et de l'insertion) », s'irrite Jean-Michel Godet, secrétaire général du GNI (Groupement national des instituts régionaux du travail social). Aussi, face à la faiblesse des solutions présentées et surtout à l'absence de proposition de résolution globale de la part de l'Etat, le GNI et l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social) ont appelé, fin mars, leurs adhérents à suspendre toute nouvelle convention de stage jusqu'au 13 mai (avec une condition pour l'Aforts : que le taux de refus d'accueil de la part des employeurs excède 25 % des étudiants d'une même promotion). Par ailleurs, si rien ne devait bouger, les deux organisations se réservent la possibilité de saisir le Conseil d'Etat sur l'inégalité de traitement des étudiants entraînée par le décret.
Pas d'éclaircie non plus à espérer du côté des autres financeurs que sont les conseils généraux. Si la DGAS s'était engagée à se rapprocher d'eux afin de les inciter à faire le nécessaire pour la gratification des stagiaires, cette démarche semble pour le moins compromise. « Pas question pour les départements de financer sur leurs deniers cette mesure qui relève de la formation initiale des travailleurs sociaux », affirme, très agacée, l'Assemblée des départements de France (ADF). Dans un courrier adressé le 1er avril à Xavier Bertrand, son président, Claudy Lebreton, dénonce « le transfert insidieux » de cette nouvelle charge aux départements, même s'il n'est pas opposé au principe de la gratification des étudiants. Il considère, par ailleurs, comme « inconcevable » la création d'un système à deux vitesses avec des stages qui seraient payés et d'autres qui ne le seraient pas. Enfin et surtout, le président de l'ADF exige que la compensation financière intégrale de cette nouvelle charge par L'Etat soit opérée dès 2008. Si les départements n'apprécient guère de se voir mis, une nouvelle fois, devant le fait accompli, leur attitude n'augure guère en tout cas d'une issue rapide au conflit.
« Nous sommes dans une situation de blocage dramatique et inacceptable qui touche particulièrement les formations des éducateurs de jeunes enfants et des éducateurs spécialisés », dénonce, de son côté, l'Association des régions de France. « Par cette décision aux conséquences non mesurées, l'Etat compromet la qualité des formations sociales et leur bonne fin. » Aussi l'association s'apprêtait-elle à demander publiquement au gouvernement de revoir d'urgence le dispositif de gratification. Celui-ci va-t-il laisser pourrir une situation qu'il a lui-même créée et dont les étudiants sont les victimes immédiates ?
(1) Voir ASH n° 2552 du 4-04-08, p. 33 - Sur les manifestations locales, voir
(2) Dont la Fédération nationale de l'action sociale FO, la Fédération Santé social et collectivités territoriales de la CNT (Confédération nationale du travail) et le collectif Génération précaire.