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« L'esprit de l'ordonnance de 1945 est trahi »

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La présentation du projet de plan stratégique de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) faite par le directeur de cette administration, Philippe-Pierre Cabourdin, dans les ASH du 7 mars dernier (1), suscite des critiques de fond de la part du SNPES (Syndicat national des personnels de l'éducation et du social)-PJJ/FSU. Maria Inès, co-secrétaire nationale de cette organisation majoritaire à la PJJ, a pris la plume.

« La politique pour les trois années à venir qu'a présentée dans les ASH le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pourrait paraître dénuée de tout enjeu tant elle s'inscrit dans la continuité de ce qui est à l'oeuvre depuis de nombreuses années, s'agissant notamment du recentrage de l'activité du secteur public de la PJJ sur le pénal et sur des fonctions d'expertise. Ceux qui, à l'instar du SNPES-PJJ, dénoncent la dérive du « tout pénal » dans la prise en charge des mineurs délinquants ne sont certes pas surpris. Ils n'en restent pas moins consternés par un tel passage en force visant à parachever une politique qui trahit l'esprit de l'ordonnance de 1945 et s'attaque à l'existence même d'un service public d'éducation au sein du ministère de la Justice. Et cela au moment même où le dispositif des établissements pour mineurs (EPM), élément central de cette politique, en montre les dangereuses impasses.

Pour justifier le passage à 100 % au pénal de la PJJ d'ici trois ans, le directeur de cette administration invoque la clarification des rôles et des compétences entre les conseils généraux et l'Etat, entérinée par la loi sur la protection de l'enfance du 5 mars 2007. Cette clarification, si elle apparaît séduisante en ce qu'elle pourrait endiguer les excès d'une trop grande judiciarisation des situations, est négative sur bien d'autres aspects. En effet, l'intervention judiciaire, et par là même l'intervention de l'Etat pour la mise en oeuvre de la protection de l'enfance, n'est pas soumise comme les conseils généraux à des critères de moyens ou de choix politiques. Par ailleurs, les décisions judiciaires sont encore celles qui garantissent le mieux le contradictoire et le recours peu fréquent à l'exercice de ce droit ne peut en aucune façon légitimer sa minoration. Enfin, pour les mineurs et les familles, l'intervention judiciaire, s'appuyant sur le droit, possède une dimension symbolique forte car le rappel à la loi par un magistrat peut créer les conditions d'un début de travail en même temps que celles d'un espace protecteur pour l'enfant. Ainsi la subsidiarité du juge des enfants fait-elle courir le risque que ce magistrat soit évacué de la protection au profit d'un système purement administratif.

La fin d'une articulation féconde

Limiter l'intervention judiciaire au plan civil à l'arbitrage des conflits familiaux au détriment d'un rôle de restructuration de l'autorité parentale, c'est mettre fin à une articulation féconde entre protection et rappel de la loi, entre l'aide et la sanction. L'abandon de l'activité au civil par le secteur public de la PJJ traduit une détermination politique à renforcer la sanction pénale à l'égard des mineurs délinquants. Une détermination qui n'hésite pas à faire fi de l'ordonnance de 1958 conférant la double compétence au civil comme au pénal aux juges des enfants, et par voie de conséquence au service public d'Etat, et vient en outre imposer ce qui n'a pu être réalisé par d'autres voies. En effet, la fameuse expérimentation du transfert de l'assistance éducative aux conseils généraux contenue dans la loi de décentralisation de 2004 prend tout droit le chemin d'un échec (2), tandis que celle consistant à scinder l'intervention des juges des enfants au civil et au pénal recueille un succès plus que limité auprès des magistrats. Alors, puisque le gouvernement ne peut imposer cette partition, c'est la PJJ qui va la réaliser administrativement. Au lieu d'assumer une décision purement politique, son directeur la banalise et s'appuie pour cela sur le fait que les services fonctionnent déjà à 80 % au pénal, oubliant que si les juges adressent principalement des mesures pénales aux services de la PJJ, c'est en raison d'un manque criant de personnels, qui ne permet pas d'assurer les décisions pénales et civiles, et de consignes de la direction de la PJJ pour différer l'attribution des mesures au civil au profit des mesures au pénal.

Selon le directeur de la PJJ, la spécialisation de cette dernière sur les mineurs délinquants permettrait une plus grande efficacité dans leur prise en charge. Or c'est tout le contraire qui risque de se passer. Scinder l'activité au pénal et l'activité au civil introduit une partition artificielle des adolescents en difficulté et participe d'une vision binaire et simpliste. D'un côté, les enfants victimes, de l'autre les auteurs de délits. D'un côté, ceux qui seraient à protéger, de l'autre ceux qui seraient à sanctionner. Mais au détour d'un tel clivage, c'est l'enfant à risques qui disparaît car, si les jeunes délinquants mettent à mal le corps social, eux aussi, dans le même temps, se mettent à mal et c'est pourquoi cette double approche de protection et de sanction revêt une telle pertinence. Au contraire, toutes les politiques actuelles, en centrant les interventions sur la réponse à l'acte, détruisent, pan par pan, tous les savoir-faire issus des enseignements des sciences humaines et de pratiques éprouvées. C'est-à-dire qu'il est vain de viser des évolutions en profondeur d'un adolescent qui commet des délits si l'on ne prend pas soin d'inscrire ses actes dans un contexte et une histoire de vie. Au nom de ce recentrage sur les délits des adolescents, le directeur de la PJJ défend une aide à la décision judiciaire qui ne soit plus centrée sur la compréhension globale des situations mais vise à signaler au magistrat que «le mineur a compris son acte et l'a resitué dans le cadre de la loi», ce qui s'apparente à un préalable à l'aide éducative et s'inscrit dans la logique actuelle de l'injonction de s'amender pour mériter une protection et une aide.

Le directeur de la PJJ affirme que la double compétence sera gardée à la PJJ, en renvoyant au secteur habilité le rôle de maintenir la part civile de l'activité. Mais seul le service public, parce qu'il a une obligation de moyens, peut garantir l'exécution des décisions de justice dans une logique d'égalité de traitement des citoyens. Le secteur habilité, dont l'activité est de plus en plus encadrée sur la base de conventionnements budgétaires annuels, est davantage soumis à des obligations de résultats. Pour le directeur de la PJJ, la double compétence serait aussi gardée grâce à son rôle d'expertise, réaffirmé dans le «projet stratégique national», sur les textes législatifs concernant l'enfance en danger et la jeunesse en difficulté. Mais si les professionnels sont dessaisis des prises en charge au civil et dédiés uniquement au traitement de l'acte délinquant, perdant ainsi une richesse professionnelle ancrée dans la pratique, pourront-ils alors revendiquer une place d'experts ? Par ailleurs, les travaux concernant une énième réforme de l'ordonnance de 1945 viennent de commencer sous l'égide du ministère de la Justice, dans la plus grande opacité. Cela ne laisse rien augurer de bon quant au rôle d'expertise laissé à la PJJ.

Pour minimiser les effets catastrophiques de la partition des publics sur les modalités de prise en charge, on nous répète inlassablement que la sanction et l'éducation pour les jeunes délinquants ne sont pas antinomiques et que toutes les réformes entreprises depuis un certain nombre d'années ne visent qu'à réaliser cette réconciliation à laquelle les professionnels seraient rétifs ! C'est un argument de bon sens, irréfutable au premier abord, excepté qu'il simplifie à l'extrême la problématique et sème la confusion, ce qui est le propre des discours avant tout destinés à l'opinion publique.

Alors, oui, toute éducation comporte une part de contrainte mais aussi une part de risque. Oui, l'éducation est un apprentissage des règles et des limites car, sans cela, nul accès à l'altérité et au «vivre ensemble» n'est possible. Mais pour que ce processus puisse advenir, il faut réunir des conditions. Celles-ci passent en premier lieu par une relation de confiance, qui ne peut véritablement se construire que dans la durée et dans un cadre ouvert où l'adolescent pourra se confronter aux échecs et aux réussites. Or, aujourd'hui, c'est la contrainte pénale ou celle de l'enfermement qui doit servir de levier à toute action éducative, annulant ainsi la possibilité de créer un espace différencié de la décision judiciaire. C'est alors qu'au lieu d'être des éducateurs, des psychologues, des assistants sociaux, les professionnels de la PJJ sont appelés à devenir des auxiliaires de justice pour aider le jeune à exécuter sa peine et obtenir un savoir sur lui pour étayer la décision judiciaire.

Habillage éducatif

De fait, il s'agit davantage d'agir sur le comportement des jeunes et de les soumettre à une norme sociale. Pour autant, les aura-t-on accompagnés patiemment pour qu'ils s'affranchissent de leurs passages à l'acte et deviennent acteurs de leur propre vie et des citoyens autonomes ? Les informations recueillies dans le cadre d'investigations rapides leur auront-elles permis de s'approprier leur histoire, de réfléchir et de commencer à adhérer à un accompagnement éducatif éventuel ?

Depuis 2002, une inflation législative a dévoyé profondément les missions éducatives de la PJJ, appelée à devenir une administration d'exécution des peines pour les mineurs tandis que leur justice spécifique se rapproche de plus en plus de celle des majeurs. L'abandon par le secteur public des prises en charge au civil s'inscrit dans cette logique et s'articule avec le recentrage de l'Etat sur ses missions de sécurité et de maintien de l'ordre.

Aujourd'hui, la direction de la PJJ répercute fidèlement les orientations politiques et, afin de les faire passer auprès des professionnels, tente de leur conserver un habillage éducatif qui ne peut plus tromper personne. Ainsi, on veut faire croire qu'avec les EPM, les prisons deviendraient des lieux d'éducation et seraient le point de départ de l'insertion des jeunes. Faudra-t-il envisager toujours plus d'incarcérations pour que les jeunes puissent bénéficier d'une aide à l'insertion professionnelle ?

Il est vrai que les orientations politiques sécuritaires qui réclament visibilité, rapidité et résultats immédiats s'accordent mal avec durée et prise en compte de la singularité de chaque jeune confié, autant de gages, pourtant, d'efficacité. Il est vrai aussi que soumettre les politiques concernant la jeunesse délinquante aux aléas électoraux n'est pas compatible avec une véritable ambition éducative. Mais cela n'en vaut-il pas la peine ? L'enjeu est de taille. »

Contact : SNPES-PJJ/FSU - 54, rue de l'Arbre-Sec - 75001 Paris - Tél. 01 42 60 11 49 - http://snpespjj.fsu.fr/.

Notes

(1) Voir ASH n° 2548 du 7-03-08, p. 41.

(2) Voir notamment ASH n° 2550 du 21-03-08, p. 40.

TRIBUNE LIBRE

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