Son histoire a commencé dans l'hiver 2006, quand les Don Quichotte se sont installés à proximité de l'hôpital Saint-Louis, à 200 mètres de l'Espace éthique de l'AP-HP. Réquisitionnés par la DASS et la préfecture pour accueillir la structure de gestion de la crise, nous avons, dans un moment privilégié, rencontré des personnes partageant une même cause. En marge du mouvement, une réflexion est née sur ce que pouvait être le sens éthique d'une intervention auprès de personnes marginalisées, donc des missions de maraude. Quand les tentes n'ont plus été sous les feux de l'actualité, alors que l'affaire de « la Soupe au cochon » (1) faisait réagir les associations au nom de principes républicains, ce dialogue s'est prolongé au sein de notre structure par des réunions inter-associatives, avec des représentants de la mairie de Paris et de la DASS. Nous avons constitué un groupe de pilotage et adressé aux associations, à leurs professionnels et à leurs bénévoles un questionnaire relatif aux pratiques de maraude. Celui-ci a permis d'identifier les grands principes de la charte (2). Le document est donc le reflet de pratiques diversifiées, les associations ayant chacune leur identité, leur culture, mais également des valeurs communes.
Nous avons de longue date travaillé sur les questions de l'accès aux soins des plus démunis, ce qui nous a permis de comprendre les analogies entre vulnérabilités sociales et précarités dans la maladie. Comment maintenir la relation d'aide avec des personnes gravement malades qui ont perdu tout repère social ou le sentiment d'appartenance ? Avec le collectif Les morts de la rue, nous avons approfondi les enjeux de l'accompagnement des personnes en situation d'exclusion dans la maladie jusqu'à leur mort. Au fond, les associations qui s'investissent auprès des exclus et nos professionnels de santé partagent des valeurs, des responsabilités et des préoccupations qui les rendent proches : il faut parvenir, au nom de la cité, à créer les conditions nécessaires au lien avec des personnes vulnérables, dans le cadre, d'un côté, de pratiques hospitalières, de l'autre, de pratiques d'hospitalité, sur le terrain nu qu'est la rue.
L'objectif était double. Il s'agissait d'abord de favoriser entre les associations un débat qui les engage au-delà du quotidien immédiat, de ses contraintes, avec parfois des rivalités. L'irruption des Don Quichotte sur la scène publique a provoqué des controverses qui justifiaient de repenser la vocation et la finalité de certains engagagements. De quelle manière, selon quels principes et jusqu'où intervenir ? Comment définir les bonnes pratiques qui contribuent aux bonnes conduites, aux attitudes éthiquement recevables ? Reconnaître les choix et les droits des personnes constitue un principe fondamental, mais le concept d'autonomie est-il concevable en toute circonstance ? La charte pose le principe du non-abandon, mais aussi de la non-injonction au projet de vie, parfois en contradiction avec l'attente des instances publiques. Le second objectif de ce document pourrait être de permettre de valider les actions de maraude, au moment ou certaines s'improvisent dans les quartiers, sans véritable cohérence ni projet associatif. La professionnalisation est d'ailleurs un autre principe énoncé. A l'instar de la charte « Alzheimer, éthique et société » que nous avons élaborée et qui a été reprise dans l'énoncé du plan national Alzheimer, le texte pourra constituer un élément de référence pour la formation des intervenants et la conception de dispositifs. Au cas où les associations seraient mises en difficulté, pour préserver l'anonymat des personnes face à des demandes institutionnelles par exemple, la commission « charte «Ethique et maraude» » pourrait être amenée à prendre position. D'où la mise en place d'un observatoire pour accompagner cette dynamique et présenter un rapport annuel.
Nous allons, d'ici un mois, donner un statut associatif à la commission afin de pérenniser ce dispositif de veille. Les acteurs pourront également faire partager leurs réflexions sur un site Internet dédié. Des journées de formation vont être organisées pour permettre aux intervenants de s'approprier le sens de ces engagements, comme cela se fait avec les professionnels de santé. Le document, qui a déjà été diffusé à 3 000 exemplaires, est également l'occasion d'ouvrir un dialogue qui n'aurait autrement pas existé en tant que tel. Cette charte constitue un acte de responsabilité, l'expression d'un engagement fort et démocratique.
(1) Une association avait volontairement distribué de la soupe à base de porc, excluant de fait les usagers qui n'en consomment pas.
(2) Disponible sur