« Ce n'est qu'à partir de 1968 que la première année de la formation d'assistant social n'a plus eu de tronc commun avec celle d'infirmier. Les années 70 ont vu la spécialisation et le cloisonnement progressifs des secteurs sanitaire et social, jusqu'à la décentralisation en 1982, qui les a franchement séparés, le secteur social passant sous l'autorité du département, la santé restant sous celle de l'Etat. Aujourd'hui, on assiste à un décloisonnement, accéléré par le transfert aux régions des formations sanitaires et des formations sociales.
Ce décloisonnement répond à l'évolution des besoins de la population, marquée par une complexification des pathologies qui associent de plus en plus fréquemment des problématiques de santé, psychologiques et sociales. Les exemples sont nombreux : le vieillissement et l'arrivée de la dépendance, auxquels s'ajoute bien souvent un isolement accru de la personne, nécessitent, au-delà des soins physiques, une stimulation psychologique, «éducative» et sociale ; la prise en charge des pathologies addictives implique également un travail médico-social ; la désocialisation et l'exclusion sociale s'accompagnent fréquemment de problématiques de santé...
Seule une prise en charge globale de la personne peut aujourd'hui répondre à ces besoins et c'est le travail en réseau, c'est-à-dire la liaison, la concertation et la coordination entre les différents professionnels qui peut assurer cette prise en charge. Il s'agit de décloisonner les champs d'activité pour permettre la continuité et la cohérence des interventions, tout en gardant à chacun son propre champ de compétences. Ainsi, le coeur du réseau n'est plus le patient, l'usager ou le client mais la personne, même si l'infirmière continue de soigner le patient, l'aide médico-psychologique d'accompagner l'usager, l'aide à domicile d'aider le bénéficiaire ou le client.
Le développement de la prise en charge à domicile de personnes dépendantes implique l'intervention à la fois de personnel médical et de personnel social. La création des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad), par exemple, qui conjuguent les prestations médicalisées des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et l'aide des services d'aide et d'accompagnement à domicile va dans ce sens. Le «plan Alzheimer», lui, propose, afin de coordonner les interventions médicales et sociales et de suivre la personne y compris en cas d'hospitalisation, la création d'un métier de «gestionnaire de cas» responsable de la prise en charge globale de la personne, fonction qui serait assurée par un infirmier ou un assistant de service social (1). Ce même plan propose également d'inscrire une double compétence sanitaire et sociale dans certains métiers de niveau IV du secteur social (moniteur-éducateur, technicien de l'intervention sociale et familiale), qui pallierait l'absence de métier de ce niveau dans le secteur sanitaire.
La structuration du secteur va donc indéniablement vers un décloisonnement des activités. Les professionnels doivent par conséquent apprendre à travailler ensemble. C'est au niveau de la formation que ce travail se prépare. Les filières de formation sanitaires et sociales sont encore aujourd'hui très cloisonnées. Les formations sociales sont assurées par des centres de formation du secteur, et notamment par les instituts régionaux du travail social (IRTS), tandis que les formations paramédicales restent adossées aux centres hospitaliers. Deux mondes, deux cultures différentes, qui se côtoient peu, voire s'ignorent. Quelques initiatives sont néanmoins amorcées ici et là, qui laissent présager que le mouvement est en marche.
Les premières qui soient contraintes de se rapprocher sont les formations de niveau V. Leur modularisation et la création des passerelles entre les diplômes d'aide médico-psychologique, d'auxiliaire de vie sociale, d'ambulancier et d'aide-soignant permettent aux détenteurs d'un de ces diplômes de suivre les autres formations par équivalence avec des dispenses pour certains modules. Ces diplômes sont également ouverts à la validation des acquis de l'expérience (VAE). L'existence de ces passerelles constitue un premier rapprochement parce qu'elle permet aux publics des deux filières de bénéficier de la complémentarité des formations et incite les formateurs à s'ouvrir aux autres filières pour tenir compte des pré-requis des candidats dits «en cursus partiel» dans leurs enseignements.
En offrant de nouvelles perspectives de carrière, l'existence de passerelles améliore l'attractivité des formations. Or cet élément est primordial pour les prochaines années, afin de pouvoir répondre aux besoins croissants de professionnels dans le secteur. Des difficultés de recrutement existent actuellement, particulièrement dans le secteur des personnes âgées qui manque cruellement de professionnels qualifiés et dans lequel les perspectives d'évolution professionnelle sont très restreintes.
Faut-il aller des dispenses de modules aux modules communs, voire au tronc commun ? La question est posée pour les trois formations d'auxiliaire de vie sociale, d'aide médico-psychologique et d'aide-soignant qui conduisent à des métiers d'accompagnement et d'aide à la personne proches par leurs activités (aide à la vie quotidienne), leurs lieux d'intervention (établissements, domicile), leurs publics (personnes fragilisées, personnes dépendantes). Le «plan Alzheimer» préconise, afin de donner plus de lisibilité aux métiers de l'aide et du soin à la personne, l'élaboration d'un tronc commun avec différentes orientations - «enfance», «personnes handicapées», «gérontologie» - en gardant la possibilité de changer de public. Mais l'idée d'un enseignement commun se heurte à la différence d'approche des besoins de la personne de la part des acteurs des filières sanitaire et sociale. Les premiers sont centrés sur les besoins de techniques de soins et les seconds sur les besoins psychologiques et l'environnement social. Or l'approche théorique d'une problématique va déterminer sa mise en pratique, la formation participant à la création de l'identité professionnelle. Il faut alors se demander s'il existe un ou plusieurs métiers dans l'accompagnement de proximité des personnes dépendantes, et si l'exercice attendu de chacun de ces professionnels est différent.
Le lieu de travail sur lequel se retrouvent aujourd'hui les différents métiers de l'accompagnement et de l'aide à la personne est la structure d'hébergement pour personnes âgées : aide-soignant, aide médico-psychologique, auxiliaire de vie sociale, mais également personnel non diplômé. L'aide-soignant travaille aussi de plus en plus fréquemment auprès des personnes handicapées. Quelle est la place de chacun ? Le même travail est-il demandé à tous ? Il y a effectivement une base de prise en charge de la personne commune mais chaque métier garde des spécificités : les techniques de soins à l'aide-soignant, l'éducation et l'animation à l'aide médico-psychologique, l'accompagnement social à l'auxiliaire de vie sociale.
Le rapprochement des formations sanitaires et sociales a un sens s'il préserve l'identité professionnelle de chaque filière. Comment préserver les spécificités de chacune d'entre elles, garantes de la formation de cette identité professionnelle si, dans un proche avenir, un tronc commun est créé pour les formations d'accompagnement et d'aide à la personne, avec, certes, différents modules de spécialisation qui permettent à chacun de choisir son orientation professionnelle et de construire son propre parcours ? Comment, par ailleurs, alors que les besoins de formation sont très importants, que les effectifs formés ont été fortement augmentés et le seront probablement encore, ne pas perdre alors l'avantage qu'ont aujourd'hui les écoles paramédicales et sociales aux yeux de nombreux étudiants revenus notamment d'un échec à l'université, à savoir le faible effectif des promotions et l'encadrement pédagogique fort ? Comment préserver la qualité de la formation si on décide de mutualiser les cours et de créer un tronc commun à plusieurs filières ? Par l'accompagnement individuel, la construction d'un «projet pédagogique personnalisé». Celui-ci serait un plan d'apprentissage construit par l'élève à son entrée dans la filière avec un formateur ou un responsable pédagogique, voire avec un professionnel, qui en assurera le suivi tout au long de la formation. Il s'agirait donc d'un plan d'apprentissage individuel, adapté au projet professionnel de l'élève et à son niveau d'acquis, qui définit les modules à valider mais aussi les compléments, allégements et remises à niveau nécessaires. Ainsi, on substituerait à un cursus de formation par promotion un cursus de formation individualisé assurant un face à face pédagogique fort, une guidance pour construire un parcours cohérent.
En effet, avec la modularisation des formations et la multiplication des voies d'accès au diplôme (passerelles, VAE), les parcours et les profils sont de plus en plus hétérogènes. Le risque de cette multiplication des cursus partiels est la perte de sens des parcours de formation, qui ne seraient plus qu'une superposition de modules, conduisant à une absence d'identification professionnelle. Or, répétons-le, cette identification professionnelle est nécessaire à la qualité de la coopération entre les différents professionnels, qui doivent parfaitement connaître chacun leur domaine de compétence, leur champ d'intervention et ses limites. »
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