Les structures de pilotage rassemblant les magistrats, le secteur associatif habilité, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et le département sont convenues que l'expérimentation envisagée par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales n'était plus pertinente. Nos perspectives de travail rejoignaient en effet plusieurs aspects de la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l'enfance, qui, elle, est d'application immédiate. Nous avons en outre rencontré trois points de blocage. D'une part, la loi du 13 août 2004 n'a pas précisé, comme le souhaitaient les magistrats, les voies de recours contre les décisions judiciaires mises en oeuvre par des services administratifs. La loi prévoyait, d'autre part, une évaluation en 2009. Or nous avons obtenu l'autorisation d'expérimenter en décembre 2005, un an après notre candidature. Nous avons ensuite conduit une large réflexion pendant 18 mois au sein de plusieurs groupes de travail interinstitutionnels (1) : c'est long, mais il le fallait, compte tenu des enjeux. Pour que l'expérimentation puisse monter en puissance, il aurait fallu la conduire jusqu'en 2012, ce qui n'a pas été jugé possible par le ministère. Restait enfin un obstacle financier : la direction de la PJJ prévoyait le transfert du suivi des placements directs, sans tenir compte des milliers de mesures d'action éducative en milieu ouvert (AEMO). Néanmoins, la richesse des travaux réalisés dans le cadre de cette concertation a donné lieu à la rédaction d'une charte signée le 6 février par l'ensemble des partenaires. Elle pose les principes, partagés par les institutions et les professionnels dans l'intérêt du parcours des mineurs protégés, et rejoint sur plusieurs aspects ceux de la réforme de la protection de l'enfance. La fin de l'expérimentation n'est donc pas vécue comme un échec !
Alors que l'expérimentation dépossédait la PJJ et les magistrats d'une partie de leurs décisions, la charte, au terme d'une large concertation, réaffirme l'importance du respect du rôle de chacun, dans une recherche de complémentarité des acteurs et des mesures. Les prérogatives de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, sont articulées avec celles du département. Le secteur associatif est défini comme un partenaire dans l'analyse des besoins de prise en charge. La charte refuse une organisation qui conduirait à stigmatiser les mineurs délinquants et réduirait les passerelles entre les modes éducatifs et répressifs - ce qui était redouté dans le cadre de l'expérimentation. Elle prévoit aussi la recherche d'une gestion optimisée de la complémentarité de l'ensemble des moyens à disposition de la protection de l'enfance. En tant que pilote du dispositif, le département doit avoir un droit de regard sur la bonne gestion des mesures et des fonds publics.
Le juge doit confier en priorité les mesures de placement à l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui assure une orientation conforme à sa décision, en cohérence avec les moyens dont dispose le département et en lien avec le secteur associatif habilité. En plus de l'accompagnement par l'établissement d'accueil, le responsable de l'ASE réalise directement le suivi de la mesure, ou par délégation à un professionnel de l'établissement ou, exceptionnellement, à un travailleur social qui a connu le mineur dans le cadre d'une AEMO. La mise en oeuvre de cette dernière possibilité, qui nécessite un cadrage important, fait encore l'objet de négociations. Toujours dans l'objectif de construire un « fil rouge » des parcours, l'organisation des mesures doit en outre préserver des liens entre les mesures civiles et pénales. Même si la PJJ renforce sa compétence sur le champ pénal, il faudra qu'elle entretienne des passerelles avec le secteur éducatif civil. Nous allons mettre en place un outil de régulation du dispositif de protection de l'enfance, composé de tous les acteurs concernés, qui facilitera les tuilages entre civil, pénal, administratif et judiciaire.
Nous préférons ne pas utiliser ce terme : la justice doit conserver toute sa place, même si elle n'est pas la seule à intervenir, comme le réaffirme la loi du 5 mars 2007 qui fait du département le pilote de la protection de l'enfance. L'expérimentation avait l'ambition d'aller plus loin, mais la séparation des pouvoirs est primordiale pour l'équilibre démocratique et la lisibilité des mesures.