Département qui connaît le taux de prévalence de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) le plus élevé de France, la Guyane est en outre, avec plus de 1 % des femmes enceintes infectées, en situation d'épidémie généralisée, selon le critère retenu par l'Organisation mondiale de la santé. Particulièrement grave au regard des autres régions françaises les plus touchées, l'épidémie est néanmoins cohérente avec le contexte épidémiologique de la région Caraïbe, seconde zone au monde la plus touchée après l'Afrique. Tel est le constat alarmant diffusé par le Conseil national du sida (CNS) dans un rapport, accompagné d'un avis et de recommandations, rendu public le 17 mars (1). Après avoir pointé en 1996 le sous-équipement médical puis, en 2003, l'absence de réponse structurée et adaptée (2), c'est la troisième fois depuis sa création que l'instance se penche sur la question, dénonçant cette fois-ci le manque d'investissement des autorités politiques locales sur fond de déni de l'ampleur de l'infection. Selon elle, « l'épidémie d'infection à VIH en Guyane [est] un problème politique ».
Dans ce département d'outre-mer, 40 % des personnes infectées sont prises en charge tardivement et 50 % des dépistés séropositifs sont « perdus de vue » dans les cinq ans (3). Même si le nombre de cas de Sida déclaré a baissé, il reste cependant plus élevé qu'en France métropolitaine « avec un taux de 141 pour un million contre 43 en Ile-de-France, région de métropole la plus touchée ». Ces données épidémiologiques s'inscrivent dans un contexte de précarité élevée (habitat insalubre, niveau de ressources faible) et d'offre de soins insuffisante (densité médicale la plus faible de tous les départements).
Par rapport à sa précédente mission sur le terrain en 2002, le CNS relève des avancées notables. « La politique publique de lutte contre le VIH est aujourd'hui bien structurée, bénéficiant d'orientations claires et d'actions adaptées aux spécificités de la Guyane » telles que le développement de la diffusion de préservatifs, la mise en place de l'éducation à la sexualité dans les établissements scolaires, la structuration des actions auprès des personnes prostituées ou le renforcement de la présence associative.
Néanmoins, il subsiste des obstacles, qui mettent en échec les moyens de prévention déployés. Il s'agit principalement du « déni de l'épidémie », de « la stigmatisation et la discrimination associées à l'infection à VIH » qui prospèrent à la faveur de l'insuffisante gestion politique du problème. Selon l'instance, la Guyane a besoin d'un « discours de réalité sur l'épidémie et les moyens disponibles » pour en finir avec les « représentations décalées » et les « explications rapides ». Ainsi, souligne-t-elle, « le contrôle de l'épidémie se fera par la prévention de la transmission et non par la maîtrise des flux migratoires ». Aux « élites politiques et sociales » de prendre la parole sur ce sujet pour mettre fin à « l'ignorance, au rejet, au déni ».
Le CNS plaide également pour un renforcement de la coordination des acteurs de la lutte contre le VIH en Guyane grâce aux comités de coordination de la lutte contre l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (Corevih) récemment mis en place (4). Mais aussi pour le développement d'une politique de coopération régionale avec les pays voisins, car « il est temps de reconnaître la pertinence et de mettre en oeuvre en Guyane des outils qui relèvent habituellement de l'action dans les pays en développement ». Autres recommandations : améliorer la réponse en santé publique, c'est-à-dire mieux prendre en compte les femmes, maintenir et développer l'effort de prévention en direction des personnes de plus de 50 ans qui représentent presque le tiers des patients nouvellement pris en charge chaque année, les homosexuels, les travailleurs du sexe. L'instance préconise d'adapter les stratégies de dépistage au niveau de l'épidémie, notamment en recourant aux tests rapides, et de faire progresser la prise en charge globale grâce aux actions concertées des soignants et des associations. Enfin, la création d'un service civique sanitaire est préconisée pour faire face à la crise de démographie médicale qui « ne semble pas pouvoir être résolue par des incitations financières supplémentaires ».
(1) Disponibles sur
(3) Le terme « perdus de vue » désigne les personnes suivies à l'hôpital mais qui ne reviennent pas aux rendez-vous donnés.
(4) Pour mémoire, la date butoir de création des Corevih était fixée au 3 novembre 2007 - Voir ASH n° 2477 du 10-11-06, p. 20 et n° 2500 du 30-03-07, p. 14.