La loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption « laissait espérer qu'en trois ans le nombre des adoptions pourrait être doublé ». Il a au contraire très rapidement diminué passant de près de 5 000 enfants à un peu moins de 4 000 en 2007, dont 80 % sont d'origine étrangère. Mandaté en octobre dernier par Nicolas Sarkozy et François Fillon pour réfléchir aux causes de cette situation, l'ancien président du directoire du Monde, Jean-Marie Colombani, lui-même père notamment de deux enfants adoptifs, dresse un constat « alarmant » dans un rapport remis le 19 mars au président de la République (1). Selon lui, « tout se passe [...] comme si le système français, à travers la mise en place d'un service public - l'Agence française de l'adoption -, reposait sur l'existence d'un «droit à l'enfant» » alors que « l'ensemble [de la] politique de l'adoption [devrait être] centré sur l'existence et la reconnaissance d'un droit à l'enfance, dont fait partie le droit à une famille ». Analysant successivement les causes de la faillite de l'adoption internationale puis nationale, il formule 32 propositions visant dans un premier temps à « remettre en marche le système » puis à réformer l'organisation de l'adoption en France.
L'instauration d'un indispensable lien de confiance entre le pays d'origine de l'enfant et le pays d'accueil suppose que le premier comprenne le mode d'organisation du second. Or, « malgré la réforme de 2005, l'organisation de l'adoption internationale manque d'efficacité et de lisibilité dans un contexte international exigeant ». Les pays d'origine ont une vision floue des missions de l'Agence française de l'adoption (AFA) considérée par certains comme une sorte d'organisme autorisé pour l'adoption (OAA) ou confondue avec l'Autorité centrale française de l'adoption en raison de son caractère public. Affaiblie depuis 2005, celle-ci ne régule pas l'activité de l'AFA, laquelle se place parfois en concurrence avec les OAA, eux-mêmes faiblement professionnalisés. Autre difficulté : en moyenne plus de 30 000 familles ont été agréées et seulement 4 000 enfants adoptés ces dernières années en France contre, par exemple, 2 500 familles agréées en Suède pour 1 000 enfants adoptés par an. La disproportion entre le nombre d'agréments délivrés et le nombre d'adoptions réalisées fait ainsi naître des doutes quant à la qualité de l'agrément français, certains pays réclamant des rapports complémentaires (essentiellement psychologiques) sur les candidats. Le dispositif est également peu lisible pour les familles, l'information est insuffisante et le processus d'agrément jugé « traumatisant ».
Face à ces constats, le rapport recommande de rétablir la hiérarchie des rôles entre l'AFA et l'autorité centrale. Cette dernière doit devenir un service permanent du ministère des Affaires étrangères et européennes. Clairement identifié comme autorité centrale de l'adoption, le ministère devrait alors fixer chaque année et de manière prévisionnelle un plan d'actions, mettre en oeuvre la stratégie retenue, orienter l'action de l'AFA et des OAA pour qu'elle soit en cohérence avec les objectifs. Afin de mieux coordonner les interventions, il est également proposé de nommer un chef de projet (délégué interministériel, Haut Commissaire ou secrétaire d'Etat) chargé de « cadencer les actions [et d']en assurer le suivi et l'arbitrage ». Autres mesures : professionnaliser et soutenir les OAA mais aussi encadrer l'activité de l'AFA par une convention d'objectifs et de gestion dès 2009.
Selon Jean-Marie Colombani, « la diminution continue des adoptions nationales conduit à s'interroger sur la place de l'adoption dans le dispositif français de la protection de l'enfance ». Rappelons que, selon l'article 347 du code civil, peuvent être adoptés les enfants pour lesquels les parents ont consenti à l'adoption, les pupilles de l'Etat et les enfants déclarés abandonnés par le juge. Alors que la diminution du nombre de pupilles de l'Etat est constante depuis 1987, le rapport relève en revanche que le nombre de placements de mineurs à l'aide sociale à l'enfance (ASE) est en augmentation. Ce n'est donc pas le succès des politiques de protection de l'enfance qui, en réussissant à prévenir la séparation des enfants de leurs familles, expliquerait la diminution du nombre des adoptions nationales, mais plutôt le primat de la famille biologique et du maintien des liens familiaux. En effet, « les professionnels français se réfèrent plus que leurs homologues européens à la question de la préservation des droits et des devoirs des parents et de l'autorité parentale dans les stratégies de suppléance familiale », et recourent plus facilement aux mécanismes de délégation d'autorité parentale ou de tutelle d'Etat qu'à la déclaration judiciaire d'abandon prévue par l'article 350 du code civil (2). Enfin, au-delà de l'éclatement de la compétence des juges (3), le rapport dénonce « des délais de traitement administratifs et judiciaires qui ne prennent pas en considération le temps et l'intérêt de l'enfant » (4).
En matière d'adoption nationale, l'ambition est donc, pour Jean-Marie Colombani, de « repositionner l'adoption comme une des modalités de la protection de l'enfance ». Pour cela, une conférence de consensus, rassemblant des acteurs du monde judiciaire, social et de la pédopsychiatrie, devrait définir les critères d'utilisation de l'article 350 du code civil « dans une approche pragmatique de l'intérêt de l'enfant » et élaborer des référentiels autour des situations de délaissement permettant de faire une bonne application de cette procédure. Ces référentiels seraient ensuite expérimentés dans les départements volontaires au profit des tout jeunes enfants placés précocement. Autres préconisations : sensibiliser les travailleurs sociaux aux mécanismes psychiques de la construction et du développement de l'enfant au cours de leur formation, mieux informer sur l'adoption simple pour donner, dans certains cas, une place à la famille biologique, créer un « parquet de la famille » pour répondre à l'éclatement des compétences judiciaires ou encore valoriser les bonnes pratiques sur l'adoption d'enfants à particularité (âge, fratries, handicaps, problèmes de santé). Le rapport juge également indispensable de refonder la qualité des agréments en améliorant l'information des candidats sur la « réalité de l'adoption », en expérimentant une formation des candidats pour mieux les préparer à l'évaluation, en élaborant des référentiels à l'usage des travailleurs sociaux chargés de l'évaluation.
Après la mise en place de ces mesures de court terme, le rapport envisage la création d'une agence pour l'adoption destinée à se substituer à l'actuelle AFA, et dont le rôle serait étendu à l'adoption nationale. La procédure d'autorisation des OAA, fixée par un décret du 18 avril 2002 (5), jugée « complexe et largement historique », serait quant à elle simplifiée et les habilitations limitées dans le temps.
Notons, enfin, que le rapport se prononce sur l'impossibilité pour les couples pacsés ou vivant en concubinage d'adopter, considérant que cette situation traduit une « faiblesse du droit », voire une « anomalie ». Quant aux personnes célibataires qui « peuvent adopter à la condition de ne pas faire état de leur homosexualité » (6), elles devraient trouver « à travers le futur statut du «beau-parent» une voie de progrès ».
(1) Rapport sur l'adoption - Jean-Marie Colombani - Février 2008 - La Documentation française - Prochainement en ligne sur
(2) Selon cet article, la personne, l'établissement ou le service d'aide sociale à l'enfance ayant recueilli un enfant dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant un an sont fondés à demander une déclaration judiciaire d'abandon prononcée par le tribunal de grande instance.
(3) Juge des enfants pour les mesures d'assistance éducative, juge aux affaires familiales pour la délégation d'autorité parentale, tribunal de grande instance pour la déclaration judiciaire d'abandon et juge des tutelles en cas de décès des parents.
(4) En 2006, la durée moyenne d'une procédure de déclaration judiciaire d'abandon s'établissait à sept mois, durée pouvant aller jusqu'à près de deux ans dans certains tribunaux.
(6) La Cour européenne des droits de l'Homme a récemment condamné la France pour discrimination à l'égard des homosexuels célibataires souhaitant adopter un enfant - Voir ASH n° 2542 du 25-01-08, p. 16.