Le mécontentement suscité par l'impréparation de l'application du décret du 31 janvier dernier sur la gratification des stagiaires aux étudiants en travail social n'est pas près de s'éteindre (1). Premiers pénalisés par les effets pervers (désengagement dès à présent de nombreux terrains de stage, exclusion de certains étudiants de la mesure) de ce manque d'anticipation, les professionnels en formation continuent, dans de nombreux établissements, à créer des collectifs afin d'alerter les autorités concernées (DDASS, DRASS, préfectures, conseils régionaux) et de dénoncer « l'impasse » dans laquelle ils se trouvent. Une contestation qui ne peut que s'amplifier puisque les dates de départ en stage de troisième année, indispensable pour la poursuite du cursus de formation, s'échelonnent de mars à juin. C'est ainsi que les élèves de l'IRTS de Nancy sont en grève « illimitée » depuis le 18 mars et prévoient de manifester la semaine prochaine (2). En Bretagne, le collectif des étudiants de l'Association pour les formations aux professions éducatives et sociales (laquelle gère trois établissements à Bruz, Saint-Brieuc et Morlaix) et de l'IRTS de Rennes a lancé un appel à la grève nationale le 26 mars. Quant à leurs collègues des 13 centres de formation des régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie, déjà en grève le 14 mars, ils devaient se réunir à nouveau en assemblée générale le 19 mars pour débattre, selon SUD Santé-sociaux, de « la perspective d'une coordination nationale des travailleurs sociaux en formation ». Enfin, les élèves d'une quinzaine d'écoles de toute la France devraient se retrouver à la journée de rencontre organisée le 28 mars à l'IRTS d'Aquitaine par les étudiants des centres de formation de Talence et de Bergerac (3). Ses organisateurs n'excluaient pas qu'elle puisse déboucher sur une mobilisation nationale.
La colère bien légitime des uns rejoint sur l'essentiel celle des autres, les centres de formation et les employeurs. Et, là aussi, le mouvement prend de l'envergure. En effet, le front de mobilisation amorcé par le GNI (Groupement national des instituts régionaux en travail social), l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social), le Snasea (Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social) et le SOP (Syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif), s'étend désormais aux principales têtes de réseau : les autres syndicats d'employeurs de la branche associative sanitaire sociale et médico-sociale (4) et quatre unions et fédérations associatives (Uniopss, Unapei, Unasea, FNARS). Dans une lettre commune, les 12 organisations reviennent sur l'absence de concertation préalable à la décision de gratifier les stagiaires et les risques de remise en cause de l'alternance, pièce maîtresse du dispositif de formation en travail social. Elles épinglent surtout, tout comme les étudiants, l'inégalité de traitement introduite par le décret puisqu'il exclut les établissements publics administratifs et les fonctions publiques, mais aussi les formations de niveau IV. Elles estiment également insuffisantes les modalités de prise en charge financière prévues par la circulaire de la direction générale de l'action sociale du 27 février (5), qui ne vise que la tarification de l'Etat sans apporter de garantie sérieuse d'abondement spécifique. De plus, elles s'opposent à ce que cette dépense soit couverte dans le cadre des enveloppes attribuées aux établissements. « La gratification doit être intégrée au coût de la formation et, en ce sens, distinguée des dépenses de fonctionnement des institutions sociales et médico-sociales ». Ce qui pose d'ailleurs la question du financement par les régions et d'une éventuelle passe d'armes entre ces dernières et l'Etat (6).
Des courriers conjoints signés, pour l'instant, par le GNI, l'Aforts et le Snasea devaient également être adressés à Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand, ministre du Travail (7), ainsi qu'à Alain Rousset, Claudy Lebreton et Jacques Pélissard, présidents respectivement de l'Association des régions de France, de l'Assemblée des départements de France et de l'Association des maires de France, pour dénoncer le non-respect de l'esprit de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, eu égard à l'inégalité de traitement des étudiants, et exiger une solution à la question du financement de la gratification.
Le Snasea demande, en outre, à ses associations adhérentes de relayer cette action en interpellant localement, sur ces deux points, les présidents de conseils régionaux et généraux, les préfets, les DRASS et les directions de la protection judiciaire de la jeunesse. Il les invite également à suspendre l'accueil de nouveaux stagiaires « tant que les questions que suscite le décret n'auront pas trouvé de réponse satisfaisante ». Un moyen de pression, certes radical, mais qui, couplé aux multiples courriers d'interpellation, vise à obtenir, précise le syndicat, une gratification équitable et couverte financièrement. En ce sens, si la stratégie est différente de celle prônée par la Fnades (Fédération nationale d'associations de directeurs d'établissements et services des secteurs sanitaire, social et médico-social sans but lucratif) - qui, elle, a enjoint à ses adhérents d'ouvrir leurs portes aux étudiants, quitte à aller ensuite porter le contentieux sur le financement devant le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale -, l'objectif est le même : éviter la paralysie du système de formation. Le bras de fer opposant les étudiants, les centres de formation, les syndicats d'employeurs et les principales fédérations de la branche aux pouvoirs publics ne fait sans doute que commencer.
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(4) FEHAP, Fegapei, Croix-Rouge française, Unifed.
(6) Menace brandie par l'ARF, si les régions étaient sollicitées - Voir ASH n° 2549 du 14-03-08, p. 35.
(7) Dans une lettre adressée le 14 mars en réponse au GNI, celui-ci ne fait que rappeler les termes de la circulaire du 27 février.