« La valeur centrale ici, c'est l'intégration sociale des personnes handicapées mentales par le biais d'activités organisées à l'extérieur des institutions ou de l'univers de la famille », explique Thomas Bonnin, éducateur spécialisé qui intervient régulièrement comme responsable des réunions éducatives au sein de l'association Ellipse (1), qui a fêté ses dix ans d'existence le 16 février dernier.
Lorsqu'ils créent cette association dans l'ouest de la région parisienne en 1998, Olivier Froment, son fondateur et président, et Patricia Rousseau, orthophoniste et coordinatrice, veulent favoriser la socialisation des adolescents et des adultes atteints d'un handicap mental en développant à leur intention des loisirs culturels ou sportifs tout au long de l'année. « Lorsque je rencontrais les parents dans les institutions spécialisées, ils me disaient souvent que leurs enfants s'ennuyaient le week-end, qu'ils n'avaient pas de copains et se retrouvaient seuls. Et qu'eux-mêmes éprouvaient le besoin de souffler de temps en temps », se souvient Patricia Rousseau. Il s'agit alors de remédier à l'insuffisance de dispositifs de loisirs adaptés, qui se limitent trop souvent à des activités organisées ponctuellement dans l'année par des associations ou à des initiatives de parents.
La première année, Ellipse démarre dans les Hauts-de-Seine et les Yvelines avec quelques bénévoles et trois ou quatre participants auxquels sont surtout proposées des activités de randonnée et de tennis. Les rencontres avec les assistantes sociales et le bouche à oreille aidant, l'association est rapidement très sollicitée et va profiter des dispositifs d'emplois aidés pour étoffer son équipe. Animatrices, éducateurs sportifs ou spécialisés, intervenants ponctuels dans des disciplines comme le théâtre ou les arts plastiques..., Ellipse compte aujourd'hui une dizaine de professionnels, dont la majorité est en contrat à durée indéterminée (2) et qui accompagnent aujourd'hui près de 200 adhérents.
L'offre d'activités s'est considérablement élargie au fil des ans, même si elle ne peut répondre à toutes les demandes. Outre les randonnées à la campagne et les rencontres sportives, le programme établi en concertation avec les personnes handicapées (lors d'un conseil trimestriel des adhérents) comprend des week-ends équestres ou touristiques, des visites culturelles, des sorties thématiques (« bien être et santé »). S'y ajoutent des séjours organisés, à l'instar de celui qui a permis d'emmener une douzaine de personnes en Alsace aux vacances de Noël.
L'association offre aux familles un accompagnement dans les loisirs de leur enfant, et donc un temps de répit, le week-end ou pendant des congés, sans qu'elles culpabilisent. Elle leur permet également, en constituant un espace de rencontres et d'échanges informels, de se sentir moins isolées. Quant aux personnes handicapées accueillies, au-delà des activités de loisirs proprement dites, elles font l'expérience de la mixité à travers les actions mises en place avec les structures du milieu ordinaire. L'an dernier, un centre social et une maison des jeunes et de la culture de la Celle-Saint-Cloud ont ainsi monté avec le concours de l'association une comédie musicale réunissant certains de leurs jeunes en difficulté et des adolescents d'Ellipse. Cette confrontation à la diversité a même conduit quelques adhérents à se voir en dehors de l'association : « Aujourd'hui, il y a des usagers qui s'invitent pour aller ensemble au restaurant ou au cinéma, raconte Patricia Rousseau. Ce qui démontre les effets bénéfiques de l'action développée par l'équipe en termes d'accès à l'autonomie, de vie sociale et de convivialité. »
L'association favorise également l'échange avec d'autres publics handicapés grâce aux rencontres organisées entre les différentes institutions spécialisées, qu'il s'agisse d'instituts médico-éducatifs (IME), d'établissements médico-professionnels, de foyers ou encore de centres d'aide par le travail. C'est le cas des Ellipsiades, des demi-journées au cours desquelles, chaque trimestre, une cinquantaine de jeunes de 6 à 12 ans et issus d'établissements spécialisés se retrouvent autour d'un thème et participent à des animations et à des ateliers sollicitant les cinq sens. A ces échanges, qui se passent à l'extérieur des établissements, se sont ajoutées, à la demande des institutions, des rencontres de jeunes handicapés à l'intérieur même des structures.
Ces temps de partage doivent être développés, défend Patrick Dubois, directeur de l'IME Pré-d'Orient à la Celle-Saint-Cloud : « L'intérêt, c'est que les enfants puissent découvrir l'altérité, non seulement lors des manifestations organisées à l'extérieur des institutions, comme les Ellipsiades, mais aussi en allant dans d'autres établissements spécialisés. Pour les enfants, comme pour les professionnels, ces échanges sont très stimulants : ils donnent envie d'inventer, de créer. »
Progressivement, l'équipe a voulu travailler en complémentarité avec les établissements et services médico-sociaux. Réunions avec les institutions pour développer des accompagnements aux loisirs qui soient en phase avec leur projet éducatif, élaborations de bilans et comptes rendus réguliers... Les responsables ont cherché à renforcer leur action sur le plan du partenariat pour ne plus être considérés comme de simples prestataires.
Au-delà de son expertise dans le domaine des activités socioculturelles et sportives adaptées aux personnes handicapées (partenariats et conventions avec des clubs de loisirs, des fédérations sportives, des collectivités locales, écoute des attentes et des projets de chacun, recherche de solutions aux problèmes financiers ou de transports pour permettre l'accès au plus grand nombre, etc.), l'association s'est dotée de certains outils de la loi 2002-2, tels que le livret d'accueil, le conseil de la vie sociale ou le projet d'établissement. « Les projets mis en place avec les différents établissements spécialisés nous montrent que nous avons besoin de nous «institutionnaliser», de nous rapprocher d'eux pour développer une prise en charge plus partenariale », souligne Thomas Bonnin.
Reste que cette volonté de resserrer les liens institutionnels se heurte à certaines réticences sur le terrain. « Ellipse est un nouveau maillon dans le partenariat des institutions et les gens ne sont pas habitués », explique Olivier Froment. Et celui-ci d'évoquer, par exemple, la difficulté de l'association à faire entendre certaines suggestions aux équipes éducatives des établissements. « Au départ, nous avons fait un peu le «forcing» en envoyant systématiquement des comptes rendus aux institutions. Si les observations que nous pouvons apporter sont aujourd'hui globalement bien accueillies, certaines équipes de structures spécialisées ont encore du mal à les accepter », reconnaît Patricia Rousseau. Elle explique ainsi comment la proposition d'orienter un enfant montrant de grosses difficultés de langage vers un orthophoniste a été peu appréciée par les responsables d'un foyer : « Notre intervention a été perçue comme une démarche intrusive et le responsable du service nous a demandé à l'avenir de faire des comptes rendus plus «soft». »
L'équipe souhaiterait encore aller plus loin dans le partenariat en étant associée au projet individuel des personnes handicapées afin d'être au plus près du travail mené au sein des établissements. S'il est ouvert au dialogue et aux échanges à propos de la situation des publics accueillis, prévient le directeur d'IME Patrick Dubois, pas question toutefois de marcher sur les champs d'intervention de chacun. « L'association est un partenaire dans le sens où nous allons faire avec elle des réunions de bilan au cours desquelles nous allons parler aussi des enfants. Dans ce cadre, nous pouvons tout à fait nous approprier certains de ses éclairages. En revanche, il y a des identités professionnelles très fortes et des compétences bien définies dans nos métiers et vouloir introduire dans nos paramètres toutes les interventions extérieures serait ingérable. C'est notamment la raison pour laquelle nous ne pouvons pas associer directement l'équipe d'Ellipse au projet individuel de l'enfant. »
A l'avenir, l'association souhaiterait travailler avec d'autres petites associations de loisirs adaptés, portant des valeurs similaires, afin de mutualiser les ressources humaines et matérielles et d'être une force de proposition plus importante. Elle cherche également à sortir de l'expérimentation en étant reconnue comme un service social et médico-social et non pas comme un simple sous-traitant de loisirs. Dans cette optique, les responsables ont adressé l'an dernier au conseil général des Yvelines un projet de création d'un nouveau service de loisirs adaptés pour les personnes handicapées dans le cadre de la loi 2002-2 et de la loi du 11 février 2005 (voir encadré ci-contre). Il s'agit, explique Olivier Froment, d'amener la maison départementale des personnes handicapées « à reconnaître la spécificité de notre action en matière d'accès à l'autonomie et à la citoyenneté pour ces publics, en complément de celles menées par les établissements et les services médico-sociaux. Cela signifie aussi créer la case qui manque pour ce type de service. » L'association a également sollicité en septembre dernier le ministère du Travail et de la Solidarité pour que celui-ci étudie sa demande de soutien. Etre considérée comme un service de loisirs adaptés lui permettrait de bénéficier de financements plus pérennes et d'envisager l'avenir plus sereinement. « Pour l'instant, nous avons pu boucler les programmes jusqu'en septembre, mais c'est vrai que nous tirons la langue », soupire Patricia Rousseau.
Locaux et infrastructures sportives ou culturelles prêtés, appel au bénévolat... dix ans après son démarrage, le fonctionnement d'Ellipse, lauréate de la Fondation de France à trois reprises, repose toujours sur l'esprit « militant » de son équipe et sur un bricolage de moyens disparates. En 2007, le budget de l'association s'élevait à 168 000 € et s'appuyait essentiellement sur les contrats aidés et sur la contribution financière des usagers. Avec le projet de création d'un service départemental de loisirs adaptés, l'équipe s'est tournée vers le conseil général des Yvelines pour obtenir un financement plus solide (évalué à environ 200 000 € par an sur trois ans). « Dans la mesure où c'est un service d'utilité sociale, il est normal que la collectivité, et en l'occurrence le département, s'implique financièrement dans le projet. Mais pour l'instant nous ne sommes pas entendus et nous n'avons obtenu à ce jour que 2 500 € au titre de la recherche de gîtes », explique Olivier Froment. Du côté du conseil général, on se défend de vouloir fermer la porte à l'association et on met en avant le calendrier de programmation mis en place dans les Yvelines. « Nous sommes en train de faire le bilan du schéma départemental d'organisation sociale et médico-sociale 2003-2008 et le projet d'Ellipse ne pourra être examiné que dans le cadre du prochain schéma », précise Fabienne Debernard, responsable à la direction de l'autonomie du conseil général. Pour l'équipe d'Ellipse, il faudra donc encore essayer de tenir jusqu'en 2009...
(1) Ellipse : 40, rue de Vindé - 78170 La Celle-Saint-Cloud - Tél. 01 39 18 46 43.
(2) L'association accompagne ses salariés dans des formations diplômantes et qualifiantes (BJEPS, éducateur spécialisé).