Le revenu de solidarité active (RSA) sera-t-il mis en oeuvre au cours de l'année 2009, comme le souhaite le gouvernement ? Le projet de loi devrait en tout cas « être présenté à l'automne 2008 au Parlement », indique le « livre vert » rendu public le 2 mars par le Haut Commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté (1). Un texte sorti un dimanche, à l'arraché, à peine à temps pour lancer « dix semaines » de consultation, puisque les contributions sont attendues d'ici au début de mai, une synthèse étant promise pour le milieu de ce même mois. La consultation se veut très large : le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) est saisi, de même que les groupes de travail du « Grenelle de l'insertion » et, plus largement, tous les acteurs de terrain, personnes et organisations concernés.
Selon le principe même d'un « livre vert », le document laisse ouvertes de nombreuses questions soumises au débat, mais il ne s'interroge pas sur le fondement de la réforme, « l'idée selon laquelle la sortie de la pauvreté passe principalement par le travail ». Le RSA « apporte une simplification considérable », affirme-t-il aussi d'entrée (ce qui apparaît moins évident à la lecture du document, surtout quand il s'inquiète, légitimement, des « effets de seuil »). Il est « plus équitable ». Il augmente le taux d'emploi. Enfin, il permet, dès sa mise en place, à « près de un million de personnes de franchir immédiatement le seuil de pauvreté », soit à 15 % des 7,1 millions de pauvres actuellement recensés.
Autant d'affirmations que l'expérimentation préalable sur le terrain, voulue par Martin Hirsch, ne permet pas encore de vérifier (voir encadré, page 6). Il est vrai que les conditions mises au lancement de ces exercices grandeur nature n'ont pas permis un démarrage rapide et que seuls dix départements testaient effectivement le RSA à la fin 2007. 26 autres collectivités les ont rejoints en janvier, cinq en février et ils devraient être 35 au total à la fin mars (sur 40 candidatures exprimées). Mais sera-t-il possible d'en tirer des leçons concrètes avant l'automne ? qui feront consensus ? Sur cette question de temps, la méthode Hirsch a sans doute dû laisser place à l'impatience de Nicolas Sarkozy...
Alors, quels sont les contours actuellement arrêtés du projet et les questions qui restent ouvertes au débat ? Il est d'abord clair que la cible du RSA, ce sont les travailleurs pauvres et les inactifs qui reprendront un travail rendu plus attractif « dès la première heure ». Pour eux, en effet, la nouvelle prestation sera cumulable avec des revenus d'activité, sa dégressivité étant étudiée de telle sorte que lorsque l'activité augmente, le revenu du ménage augmente aussi, même faiblement. Le contraire de ce qui se passe actuellement avec le revenu minimum d'insertion (RMI), qui reste une allocation différentielle, malgré le système d'intéressement mis en place depuis 1998, trop temporaire pour inciter sérieusement à la reprise d'emploi.
En revanche, précise le « livre vert », le RSA ne changera rien à la situation de ceux qui ne travaillent pas. Un revenu minimum leur restera garanti en fonction de leur situation familiale, « au niveau actuel des minima sociaux », assure-t-il.
Seconde certitude : la nouvelle prestation est appelée à remplacer, pour le moins, le RMI, l'allocation de parent isolé (API) et leurs mécanismes d'intéressement, ainsi que la prime pour l'emploi (PPE). Première grande question posée : ce périmètre doit-il être élargi ? Doit-il aussi couvrir les chômeurs en fin de droit, en englobant l'allocation de solidarité spécifique (ASS), dont le montant est très proche de celui du RMI ? Les différences dans les modalités de calcul des prestations et dans la nature de l'accompagnement rendent les rapprochements « complexes », explique le « livre vert », qui avance néanmoins deux pistes pour englober cette population « aux problématiques très voisines à l'égard de l'emploi ». Les jeunes de 18 à 25 ans, actuellement exclus du RMI s'ils n'ont pas de charge de famille mais qui connaissent un fort taux de chômage, peuvent-ils relever du RSA ? La question est également mise sur la table, sachant qu'il faudrait sans doute, si la réponse était positive, trouver des modalités particulières d'adaptation, suggère le texte. Qu'en est-il alors pour les personnes qui perçoivent l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ? Le rapport se montre nettement plus embarrassé par ce public qui connaît « une relation à l'emploi altérée » et des problèmes d'employabilité, auquel la logique du RSA est de ce fait difficilement transposable. Ce point est renvoyé au groupe de travail ad hoc du comité de suivi de la politique du handicap. Le « livre vert » ne se prononce pas non plus sur les habitants des départements d'outre-mer, actuellement exclus du futur dispositif bien que la situation rendrait sans doute sa mise en oeuvre « plus urgente et nécessaire qu'ailleurs » mais « d'autant plus complexe ».
Deuxième question déterminante : celle du barème à retenir, notamment le taux de cumul entre les revenus d'activité professionnelle et la prestation, et la courbe de sa dégressivité. Les tests en cours portent sur des taux de 60 % à 70 %. Plus le taux est élevé, plus grand est le nombre de bénéficiaires, mais plus coûteux est le dispositif. Pour se prononcer, il faudrait avoir un chiffrage de ces répercussions. Un tableau intéressant à cet égard figurait dans une précédente version du texte. Il indiquait qu'avec un taux de cumul de 60 %, une personne seule sortait du dispositif au niveau du SMIC net, que 2,5 millions d'allocataires étaient concernés pour un coût de 1 à 1,5 milliard d'euros et que le taux de pauvreté (actuellement à 12 %) diminuait de 0,5 à un point. Avec un taux de cumul à 70 %, une personne seule sort du dispositif à 1,3 SMIC net, 4,5 millions d'allocataires sont concernés, le coût de la réforme passe de 1,5 à 3,5 milliards et le taux de pauvreté diminue de 1,5 à 2,5 points.
Mais ce tableau ne figure plus dans le « livre vert » tel qu'il est sorti des arbitrages interministériels, lequel manque cruellement du minimum d'estimations. Pourquoi ? Interrogé, le Haut Commissariat laisse entendre que les chiffres sont remis sur le métier. Les premiers étaient-ils trop approximatifs ? Ne tenaient-ils décidément pas assez compte de l'augmentation du taux d'activité entraînée par la nouvelle prestation ? Ou bien est-il interdit d'envisager une réforme qui ait un coût alors que les « caisses sont vides » ? Tel qu'il est livré à la concertation, le « livre vert » peut laisser le sentiment qu'il ne s'agit plus que de redistribuer autrement les sommes actuellement dépensées pour l'ensemble RMI (6 milliards) + API (1 milliard) + PPE (4 milliards), soit 11 milliards d'euros et, pour l'essentiel, de concentrer sur les « travailleurs pauvres » la manne de la PPE aujourd'hui « diluée sur un trop grand nombre de bénéficiaires », sans effet mesurable sur le retour à l'emploi. Hypothèse fondée ou fausse impression ?
Un autre point important qui reste à trancher est la marge de manoeuvre qui pourra être laissée aux départements, « sans toutefois créer de rupture caractérisée d'égalité sur le territoire national ». L'expérimentation a laissé beaucoup de liberté aux conseils généraux. Il faudra sans doute l'encadrer par la loi. Mais jusqu'où ? Le « livre vert » propose deux scénarios : dans le premier, chaque conseil général pourrait fixer le barème du cumul, entre deux points fixes : le minimum garanti et le point de sortie du dispositif ; dans le second, le RSA aurait deux étages : l'un, de base, monétaire, l'autre complémentaire, sous forme de prestations en nature ou de services (mobilité, garde d'enfants, formation...), attribuées par le biais de plans d'aide avec des barèmes de référence nationaux. Cette seconde variable suppose de faire évoluer les nombreuses aides locales actuellement attachées au statut des bénéficiaires des minima sociaux, qui peuvent constituer jusqu'à 20 % de leurs ressources, et qui provoquent des effets de seuil décourageant la reprise du travail, indique le document.
Autre question connexe mais pas annexe : qui financera le RSA ? « Aucune des solutions extrêmes de recentralisation complète du RSA ou de décentralisation totale n'est satisfaisante », indique le « livre vert » (comme l'inspection des finances avant lui, voir encadré ci-dessous). Il penche donc pour une solution mixte, dont il laisse le dessin à la négociation avec les conseils généraux. Il fixe cependant deux bornes : les départements devraient être intéressés financièrement à la conduite de politiques d'insertion dynamiques, et ils ne doivent pas porter toute la charge supplémentaire en cas d'augmentation du nombre de bénéficiaires, comme c'est actuellement le cas pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) des personnes âgées. « Les hypothèses qui ménagent le plus de marges de manoeuvre locales ne peuvent être conçues que si la répartition de ressources fiscales entre conseils généraux fait l'objet d'une péréquation beaucoup plus vigoureuse qu'actuellement », ajoute le « livre vert ».
Comment accompagner les allocataires du RSA vers un emploi de qualité, c'est à dire pérenne et à temps choisi ? Comment éviter l'effet d'aubaine pour les employeurs qui verront le (bas) salaire complété par une prestation ? La question est posée, mais le « livre vert » s'emploie surtout sur ce point à « relativiser les risques ». Il précise que le montant de la prestation ne sera pas connu de l'employeur et ne figurera pas sur la feuille de paye, contrairement à une hypothèse parfois évoquée. Il suggère néanmoins d'inventer des négociations de branche grâce auxquelles les entreprises se verraient restituer une partie des économies réalisées sur les prestations à mesure de la diminution des temps partiels et de l'augmentation des salaires. Simplification ou nouvelle usine à gaz ?
Lorsque le RSA est versé aux personnes qui travaillent, faut-il le limiter dans le temps ? ou le rendre plus dégressif ? Autre question laissée ouverte. Les allocataires du RSA doivent-ils systématiquement être inscrits comme demandeurs d'emploi, avec les obligations de réponse aux convocations et de démarches de recherche que cela entraîne ? Là le « livre vert » est très tenté de répondre déjà « oui ». Il se montre d'ailleurs très fortement soucieux de « rendre crédible l'équilibre des droits et des devoirs » des allocataires, et estime que la « logique de contrepartie » devrait s'appliquer même aux personnes percevant le revenu minimum garanti, quitte, faute de travail, à en inventer « de nouvelles formes ». Ce problème des contreparties, de même que celui de l'articulation du RSA avec l'assurance chômage, fait d'ailleurs partie des points sur lesquels le COE est prié de se prononcer, lui aussi pour le mois de mai (2).
Le « livre vert » insiste encore sur la nécessité d'articuler le RSA aux diverses aides ou allocations pour qu'il puisse produire son plein effet d'incitation au travail. Selon lui, point n'est besoin de revoir le barème des prestations familiales ou des aides au logement. Au contraire, le RSA permettrait d'en corriger certaines insuffisances, par exemple en prévoyant une majoration de ressources dès le premier enfant. En revanche, il invite à lisser les effets du dégrèvement de la taxe d'habitation et de l'exonération de la taxe audiovisuelle dont bénéficient les actuels allocataires du RMI. Enfin, la création du « bouclier sanitaire » prôné par Martin Hirsch devrait aider à réduire aussi les effets de seuil liés à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), indique le « livre vert » qui, sur ce point, fournit déjà la réponse avec la question.
Place aux débats ?
Le « livre vert » fera l'objet d'une analyse approfondie de l'Assemblée des départements de France (ADF), promet son président (PS) Claudy Lebreton. D'emblée, cependant, celui-ci se dit préoccupé de voir le RSA généralisé dès la fin de 2008, avant que soit connu le bilan de l'expérimentation. « Cette précipitation risque de multiplier les problèmes de mise en oeuvre dont certains sont déjà signalés dans le «livre vert» », estime l'association.
Autre sujet d'inquiétude, inévitable après le précédent du RMI qui s'est traduit à ce jour « par une charge supplémentaire non compensée de 1,8 milliard d'euros » pour les départements : la question du financement. « La prise en charge du surcoût ne peut donc être envisagée sans une mise à plat complète et préalable des relations financières entre l'Etat et les conseils généraux. »
Avec son « livre vert », le Haut Commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté livre un premier bilan de l'expérimentation lancée par dix départements en 2007 (3) et amorcée par 21 autres, dont le règlement est arrêté. Dans ce cadre, chaque collectivité est libre de choisir le territoire élu et le champ des bénéficiaires concernés au sein du dispositif du RMI (4) et de déterminer son barème de cumul. L'Etat finance 50 % du surcoût engagé.
Les choix ont été très divers. Mais tous les départements sauf deux (la Haute-Corse et la Creuse) ont retenu l'idée de travailler sur une partie de leur territoire, avec un autre « territoire témoin » permettant les comparaisons. La taille de l'échantillon varie de 1 000 allocataires potentiellement concernés à plus de 40 000.
Pour le public retenu, la moitié des collectivités a choisi tous les bénéficiaires du RMI en situation d'emploi ou en reprise d'emploi, huit ont préféré ne retenir que les personnes entrant en emploi durant la période, sept ont rendu éligibles les allocataires reprenant un emploi ou augmentant leur temps de travail. Sept départements ont écarté de l'exercice les personnes entrant en contrat aidé, un autre, l'Aisne, n'a au contraire retenu que celles-là.
L'Aisne a fixé une incitation financière forfaitaire, tandis que 18 départements ont choisi le taux de cumul de 70 % retenu par l'Etat pour les titulaires de l'API, après les trois mois de cumul intégral qui existent déjà aujourd'hui au titre de l'intéressement. Deux ont placé la barre à 65 %, quatre à 60 %. Six enfin ont adopté un barème non linéaire, certains avec une aide plus forte pour les faibles durées de travail, l'accent étant alors mis sur la lutte contre la pauvreté, les autres au contraire ont privilégié les emplois de plus d'un mi-temps, l'accent portant alors sur l'incitation au travail.
Partout le dispositif cherche aussi à resserrer les liens entre tous les intervenants dans le domaine de l'insertion, sociale et professionnelle, et à mobiliser les divers leviers susceptibles de lever les obstacles à l'emploi (garde d'enfants, mobilité, aide à l'équipement...).
Avec quels premiers résultats chez les dix pionniers ? En janvier, leurs champs d'expérience comptaient 23 000 allocataires du RMI, dont 3 000 ménages payés au titre du RSA. Combien ces derniers ont-ils perçu ? En Charente, 192 € en moyenne. Dans l'Eure, 252 € . Avec quel type d'emploi ? En Charente, 28 % des bénéficiaires ont un CDI ou un CDD de plus de six mois, 44 % en Côte-d'Or, 11 % dans l'Eure. 27 % sont embauchés en contrat aidé en Charente, 35 % en Côte-d'Or, 41 % dans l'Eure.
Quel impact sur les prélèvements obligatoires ? Telle était la question posée à l'Inspection générale des finances (IGF), saisie en urgence, le 9 novembre 2007, à propos du revenu de solidarité active (RSA). Elle était priée d'examiner « en préalable » si l'idée consistant à fusionner des minima sociaux avec un mécanisme de crédit d'impôt (la prime pour l'emploi) pour en faire une nouvelle prestation sociale était bien judicieuse, car elle augmente le taux de prélèvements obligatoires, et s'il ne fallait pas lui préférer une solution alternative comme un crédit d'impôts ou un crédit de cotisations sociales.
A cette question, plus idéologique que pratique, l'IGF répond, dans un rapport remis en décembre - et rendu public le 3 mars (5)-, que le choix de la nature juridique du dispositif (comptabilisé soit en dépenses, soit en atténuation de recettes) n'a pas d'impact sur le solde des comptes publics mais qu'en revanche le profil du barème en a un, qu'elle évalue entre 0,1 et 0,3 point de PIB selon les choix réalisés. Le rapport indique en outre que seul le versement d'une prestation sociale permet de répondre à l'objectif de fusion. Le « livre vert » s'en tient clairement à cette seule hypothèse.
L'IGF devait aussi éclairer la réflexion sur le « pilotage alternatif ou commun du dispositif par l'Etat ou les collectivités ». Quelle que soit la solution retenue, le RSA doit être l'occasion de clarifier les compétences et les financements en matière d'insertion sociale et professionnelle, estime l'inspection, en rappelant qu'actuellement le RMI et son dispositif d'intéressement sont à la charge des départements mais avec des barèmes nationaux, tandis que l'Etat finance l'API et la prime pour l'emploi. Entre la recentralisation et la décentralisation intégrales, le rapport propose plutôt une troisième voie de « RSA national avec un système de cofinancement », lui même subdivisé en deux pistes : la spécialisation des financements qui mettrait à la charge des départements le RSA versé aux personnes sans emploi et à celle de l'Etat celui versé aux personnes en emploi, ou bien une répartition dégressive entre les deux. L'inspection privilégie la première solution, qui suppose de décentraliser l'API et de recentraliser l'intéressement du RMI. Le « livre vert » ne tranche pas encore sur ces questions, tout en penchant lui-aussi pour un cofinancement.
Enfin, l'IGF plaide fortement pour le versement du RSA par un guichet unique. Après avoir éliminé ceux du Trésor public et du futur opérateur issu de la fusion ANPE-Assedic, il retient celui des caisses d'allocations familiales, certes « éloignées du marché de l'emploi » mais qui connaissent déjà une bonne partie du public concerné et capables de réactivité. A ce guichet unique pour les bénéficiaires, l'Etat et les départements pourraient apporter leurs financements respectifs. Le « livre vert » retient les CAF (et la MSA) comme les prestataires « les plus naturels » pour verser la prestation.
(1) Le texte est disponible sur le site
(2) Eure, Charente, Côte-d'Or, Oise, Val-d'Oise, Vienne, Loir-et-Cher ont ouvert le feu entre juin et novembre, Hérault, Loire-Atlantique et Marne les ont rejoints en décembre.
(3) Une expérimentation se déroule par ailleurs dans le champ de l'allocation de parent isolé (API). 31 départements ont été habilités à y procéder par des arrêtés publiés entre le 2 novembre et le 4 mars.
(4) Le COE est également interrogé sur la prise en compte de la bi-activité dans un barème qui devrait évoluer en fonction de la composition de la famille et sur le problème de l'impact du RSA sur la qualité de l'emploi.