Qui va prendre en charge la gratifi cation mensuelle des stagiaires en travail social accueillis pour plus de trois mois dans les établissements et services du secteur social et médico-social ? Comment les centres de formation vont-ils pouvoir continuer à mettre en oeuvre une alternance de qualité, alors que les récentes réformes ont promu et formalisé les sites qualifiants comme des acteurs coproducteurs de la formation avec les instituts de formation ? Dans un contexte où les besoins en personnels qualifiés sont très importants, ces questions expliquent l'émoi suscité par la décision des pouvoirs publics de rendre applicable le décret du 31 janvier relatif à la gratification des stagiaires de l'enseignement supérieur aux étudiants en travail social (1). Un émoi qui est loin d'être apaisé par la circulaire que vient d'adresser la direction générale de l'action sociale (DGAS) à ses services déconcentrés (voir ce numéro, page 5).
Attendue de longue date, celle-ci n'apporte en effet aucune garantie sur la prise en charge financière de la gratification et donc sur l'avenir du dispositif de formation. C'est ce que dénoncent, dans une position commune qu'ils comptent faire circuler au sein de leurs réseaux respectifs, le GNI (Groupement national des instituts régionaux du travail social), l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social), le Snasea (Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social) et le SOP (Syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif). La circulaire ne vise, de fait, que la tarification du secteur médico-social relevant de l'Etat et, de plus, elle ne donne aucune assurance sur un abondement spécifique des budgets des établissements. Or, jugent les signataires, la dépense liée aux gratifications - estimée à près de 20 millions d'euros en année pleine - ne saurait être couverte dans le cadre des enveloppes actuelles. « Elle doit être intégrée au coût de la formation et, en ce sens, être distinguée des dépenses de fonctionnement des institutions sociales et médico-sociales. »
Pas de quoi donc rassurer les employeurs des établissements financés par l'Etat. En outre, qu'en est-il des autres financeurs que sont les départements, les municipalités, la protection judiciaire de la jeunesse, les organismes de sécurité sociale ? La circulaire est bien évidemment muette sur la question. Et c'est là aussi l'une des raisons de la colère soulevée par le décret. Si personne ne conteste le principe de la gratification, juste socialement, comment expliquer que celui-ci n'ait fait l'objet d'aucune concertation préalable avec l'ensemble des parties concernées : régions, conseils généraux, employeurs, centres de formation, etc. ? Rien d'étonnant à ce que la décision du ministre du Travail soit vécue « comme une injonction dont les effets commencent à se faire sentir », comme le dénoncent les quatre organisations, qui rappellent que nombre d'associations ont décidé de suspendre l'accueil de nouveaux stagiaires. « Si cela se généralisait, ce serait tout le système de formation qui serait remis en cause ! »
Cette « injonction » n'est d'ailleurs pas du tout appréciée par l'Assemblée des départements de France (ADF), qui déplore une nouvelle fois de se voir mise devant le fait accompli à la suite d'une décision unilatérale de l'Etat. « Voilà qui va compliquer les relations tarifaires entre les établissements et les conseils généraux, alors qu'on n'en avait vraiment pas besoin ! », explique-t-on, tout en soulignant que les départements ont toujours fait beaucoup d'efforts, « sans demander de contrepartie », en termes d'accueil, d'accompagnement et de services offerts aux stagiaires. Mais au-delà de cette nouvelle charge financière imposée, l'ADF s'interroge sur les risques que cette gratification modifie la relation pédagogique entre l'établissement d'accueil et l'étudiant. Ne va-t-on pas exiger plus de lui ? Le traiter davantage comme un salarié que comme une personne en formation ?
Hormis ces questions de méthode, de financement, voire ces interrogations de fond sur la fonction même du stage qui témoignent d'un défaut d'anticipation, le décret du 31 janvier pose des problèmes de discrimination. Sont visés les stages effectués au sein d'une association, d'une entreprise publique ou d'un établissement public à caractère industriel et commercial, mais sont dispensés les établissements publics administratifs et les fonctions publiques. « Un traitement injuste et inéquitable », soulignent les quatre signataires, car il exclut nombre de lieux de stages, pour certains quasi obligatoires, comme la polyvalence de secteur pour les assistants de service social. En outre, comment comprendre que les formations de travail social de niveau IV (DETISF, DEME, BPJEPS (2)), qui obéissent pourtant au même principe de l'alternance et peuvent comprendre des périodes de stage obligatoires, soient exclues de la gratification ? « Est-ce bien là l'esprit de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances » qui est le cadre du décret du 31 janvier ?, s'interrogent les organisations. Enfin, ces dernières veulent aussi aller au bout de la logique induite par les nouveaux textes, qui consacre les formations de niveau III du travail social comme des titres de l'enseignement supérieur. Dans ce cas et en toute logique, celles-ci doivent être reconnues dans le système européen LMD.
Représentants des centres de formation et employeurs n'ont donc pas dit leur dernier mot pour obtenir une gratification équitable pour l'ensemble des stagiaires en travail social et faisant l'objet d'une prise en charge financière spécifique. Les bureaux de l'Aforts et du GNI devaient se réunir le vendredi 7 mars et examiner les actions nationales et régionales à mener rapidement et de façon concertée avec les organisations employeurs.
(2) Respectivement diplôme d'Etat de technicien de l'intervention sociale et familiale, diplôme d'Etat de moniteur-éducateur, brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport.
(3) Une interprétation que contestait le Snasea.