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« Nous manquons de systèmes d'observation et d'indicateurs communs »

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Permettre aux enquêtes statistiques de mieux rendre compte des réalités sociales des départements et mettre de la cohérence dans les multiples données existantes, qui n'ont pas forcément les mêmes bases de calcul, tel est l'enjeu du groupe de travail sur l'information statistique que l'Assemblée des départements de France vient de lancer. Pas question, en effet, que chacun construise son système dans son coin, explique son responsable, Patrick Mareschal, président (PS) du conseil général de Loire-Atlantique (1).

Actualités sociales hebdomadaires : Pourquoi ce groupe de travail ?

Patrick Mareschal : Les départements ont beaucoup de chemin à faire pour avoir un système d'information utile au pilotage des politiques publiques. Même s'ils sont des lieux où d'importantes données sociales sont produites, leur culture en matière de statistique est assez faible. Nous disposons potentiellement de beaucoup d'informations mais nous manquons de systèmes d'observation et d'indicateurs communs.

Nous venons de loin car la décentralisation ne date finalement que de 1982 ! En attendant, les enquêtes statistiques nationales ne permettent pas de rendre compte de la réalité sociale d'un département. Nous avons besoin de données plus fines afin de savoir ce qui se fait au nord, à l'est, à l'ouest et au sud du territoire, ce qui se passe en zone urbaine ou rurale.

Quel est l'enjeu de disposer de statistiques départementales performantes ?

- Tout d'abord, pour mieux évaluer nos politiques sociales, nous devons pouvoir compter sur des analyses statistiques plus poussées. Je pense notamment au revenu minimum d'insertion. C'est bien de connaître les taux d'entrée et de sortie du dispositif, mais il faudrait aussi parvenir à savoir pourquoi on y entre et comment on en sort. Est-ce le fruit des aides, de la conjoncture ? On pourrait par exemple mesurer l'impact du développement des chantiers d'insertion : est-ce une bonne solution ou d'autres sont-elles plus efficaces ? Par ailleurs, disposer de telles statistiques permettrait une comparaison entre les départements, de manière à repérer les bonnes pratiques.

Mais ne craignez-vous pas qu'une telle comparaison n'entraîne des effets de concurrence entre des départements qui n'ont pas forcément les mêmes atouts ?

- Je parlerais plutôt d'une saine émulation... Nous avons mené une enquête au sein de l'Assemblée des départements de France (ADF) qui montre que les départements sont demandeurs de tels outils de comparaison [voir encadré, page 42].

Quel regard portez-vous sur les statistiques publiques produites par l'Etat ?

- Nous ne voulons pas créer un système d'information statistique concurrent de celui de l'Etat, mais mettre en place des conventions de production et de mise à disposition des statistiques publiques. On dit souvent que l'information, c'est le pouvoir. Quand l'ADF dialogue avec l'Etat sur les transferts financiers, il n'est pas normal que l'administration centrale ait en main toutes les données statistiques et pas les départements. Disposer d'informations communes nous permettrait de négocier de manière plus efficace.

Qu'attendez-vous des organismes comme l'INSEE ou la DREES (2) ?

- Ils peuvent nous apporter des réponses, car le gisement de statistiques de base existe. Il s'agit moins de lacunes dans l'information que de la manière dont ces institutions peuvent entendre nos besoins. Il faut en finir avec ces organismes qui produisent de la statistique pour produire de la statistique !

Je suis sûr que les statisticiens publics seront ravis de travailler avec les collectivités qui ont besoin de leur contribution. Collaborer avec les départements leur permettrait de mettre leurs compétences au service de l'action. Ainsi, de même que l'INSEE délègue ses cadres et statisticiens dans les ministères, il pourrait en mettre à disposition des collectivités territoriales.

Pensez-vous que l'administration centrale voit cela d'un bon oeil ?

- Il y aura toujours, ici ou là, des tentatives de différer la publication de tel ou tel chiffre. Mais l'Etat a aussi intérêt à disposer d'informations fiables et homogènes fournies par les collectivités.

Comment définir des indicateurs communs aux départements et à l'Etat ?

- Il faut faire se rencontrer les praticiens du travail social, leurs directions et les statisticiens pour identifier les endroits où des problèmes de définition se posent. On peut déjà commencer par harmoniser les indicateurs les plus couramment utilisés. Je pense par exemple au taux de contractualisation des bénéficiaires du RMI. Le ministère et les départements ne le mesurent pas de la même manière.

Il existe également des disparités de calcul entre les départements. Ainsi, d'un conseil général à l'autre, l'évaluation de la dépendance des personnes âgées sur les grilles AGGIR, permettant le calcul de l'allocation personnalisée d'autonomie, peut se révéler sensiblement différente. Or il faudrait employer les mêmes définitions et pouvoir mesurer nos données au même moment, de manière à disposer d'informations fiables et fraîches.

C'est un travail de longue haleine...

- Il y a effectivement un formidable travail à faire pour se mettre d'accord sur des nomenclatures et des définitions communes. Mais le colloque organisé le 23 janvier dernier à Nantes (2) nous a permis de constater que nous ne sommes pas dans une guerre de religion entre l'administration centrale et les départements sur ce sujet. Chacun a besoin de coopérer.

Beaucoup d'expériences intéressantes de collaboration entre les collectivités locales et des organismes comme l'INSEE existent déjà [voir encadré, ci-contre]. Mais c'est encore très aléatoire. Or, si on ne construit pas un système organisé dans la durée, on va rester dans le bricolage et l'anecdotique.

Que pensez-vous de la multiplication des observatoires au sein des départements ?

- Le bon côté, c'est qu'il existe une certaine prise de conscience du besoin de disposer d'informations pour agir. Mais il ne suffit pas de brasser des bases de données pour que cela fonctionne. L'important, c'est la mise à jour, l'entretien régulier des données et l'animation au niveau de l'analyse. Il est probable qu'avec un peu de naïveté, des départements se lancent sans savoir que ces données sont déjà disponibles ailleurs. Mieux vaut organiser une réflexion concertée sur ce sujet, et je pense que l'ADF peut jouer un rôle d'animation en la matière. Si chacun fait son petit système dans son coin, ce sera un désastre !

Votre démarche nécessitera forcément davantage de moyens...

- Bien sûr. Nous allons devoir créer des équipes, former des gens. Mais quand on veut assurer une nouvelle fonction, on a forcément besoin de moyens supplémentaires. Nous pouvons déjà commencer à travailler en réseau par l'intermédiaire de l'ADF et nous partager les chantiers entre les départements. C'est ce que nous allons faire après les élections municipales et cantonales au sein de ce groupe de travail.

L'observation sociale, un besoin qui émerge au sein des départements...

90 % des départements disposent d'une fonction « observation », assurée dans 60 % des cas par leur direction de la solidarité. C'est ce qui ressort d'une enquête menée en juillet 2007 par l'Assemblée des départements de France (ADF), à laquelle la moitié des conseils généraux ont répondu (3). Pour ces derniers, la présence d'un système d'information statistique offre plusieurs avantages : aide à la décision (95 %), optimisation de la gestion (84 %), prospective (79 %), maîtrise des coûts (67 %), développement d'une culture du « rendre compte » (65 %). Les départements mentionnent deux sources principales d'information : leurs données internes mais aussi des données externes provenant principalement de la caisse d'allocations familiales. Les données de l'INSEE sont parfois évoquées dans les champs de la démographie, de l'emploi et de la pauvreté. D'autres fournisseurs (ANPE, Assedic, DDTEFP, etc.) sont plus rarement cités, « ce qui semble témoigner de l'inorganisation de la diffusion des données », souligne l'enquête.

Au chapitre des difficultés figurent le manque de culture partagée sur l'observation, l'hétérogénéité des systèmes d'information et l'absence de compétences et de moyens dédiés. L'ADF constate par ailleurs que « les attentes vis-à-vis des services de la statistique publique sont fortes ». Elle évoque notamment une volonté de connaître les informations disponibles et de pouvoir y accéder facilement, de disposer d'un système d'indicateurs « labellisés » pour l'ensemble des départements, de prendre en compte les besoins des départements dans les programmes d'études établis nationalement et enfin, de développer des partenariats locaux (statistique publique/conseil général).

...Tandis que la Basse-Normandie et le Rhône, expérimentent l'évaluation partagée

La direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) de Basse-Normandie est partie d'un constat : de nombreuses informations sociales utiles à la définition des politiques publiques sont détenues par les acteurs locaux. Mais ces données sont dispersées, tout comme les moyens nécessaires pour leur analyse. La DRASS a donc lancé, en février 2002, le comité régional de coordination de l'observation sociale (CRCOS). Cette instance réunit les services de l'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de protection sociale et les associations (4). Tous s'engagent à mettre en commun les données sociales dont ils disposent et à conduire, selon les besoins, des évaluations partagées. L'INSEE est étroitement associé aux travaux. Cet observatoire produit chaque année une base de données réactualisées, sous forme de CD-Rom, qui rassemble une centaine d'indicateurs sociaux et médico-sociaux (personnes âgées, personnes handicapées, RMI, enfance, etc.). Les zonages se veulent les plus fins possibles et vont parfois jusqu'au niveau de la commune. Depuis sa création, le comité a réalisé plusieurs analyses (« Facettes de la précarité en Basse-Normandie » ou « Personnes âgées dépendantes à l'horizon 2015 ») et il travaille actuellement sur « Les conséquences de la précarité des familles sur les conditions de vie des enfants ».

Le conseil général du Rhône a, pour sa part, installé en 2005 un observatoire départemental auprès du directeur général des services (5). Principal objectif : restructurer et améliorer la qualité du système d'évaluation des politiques publiques. « Notre premier travail a été de remettre en forme les données internes au département, explique Claude Ducos-Mieral, directrice de l'observatoire. Ce dernier intègre également des données externes provenant de l'INSEE et de la caisse d'allocations familiales. Il produit notamment des tableaux de bord sur l'activité du département (intégration sociale, personnes âgées, personnes handicapées, culture...), réactualisés tous les mois et disponibles sur l'intranet du conseil général. L'observatoire travaille également à la production de données plus fines, à l'échelle des 50 unités territoriales du département. « Les opérateurs pourront relire leurs propres actions tous les mois, avec une possibilité de comparaison entre unités territoriales », précise Claude Ducos-Mieral.

Notes

(1) Cet ancien statisticien vient par ailleurs d'être nommé au Conseil national de l'information statistique comme représentant des collectivités locales.

(2) Institut national de la statistique et des études économiques et direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques.

(3) Intitulé « Connaître pour agir », ce colloque, organisé par le conseil général de Loire-Atlantique, l'ADF et le Conseil national de l'information statistique, visait à présenter les enjeux d'un meilleur partage des connaissances statistiques - www.cg44.fr.

(4) ADF : 6, rue Duguay-Trouin - 75006 Paris - Tél. 01 45 49 60 20.

(5) CRCOS : Tél. 02 31 70 96 54.(2) Observatoire départemental : Tél. 04 72 61 79 55.

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