Il n'aura fallu qu'une dizaine de jours au Conseil consti tutionnel pour se prononcer sur la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pour cause de trouble mental adoptée le 7 février dernier par le Parlement (1). Le 21 février, les « sages » de la rue Montpensier l'ont ainsi validée partiellement, censurant notamment les dispositions permettant d'appliquer la mesure de rétention de sûreté aux personnes condamnées avant son entrée en vigueur. Réagissant à cette décision, le président de la République a malgré tout réaffirmé que l'« application immédiate de ce [dispositif] aux criminels déjà condamnés, qui présentent les mêmes risques de récidive, reste un objectif légitime pour la protection des victimes ». Et a demandé au premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, d'examiner cette question et de faire, d'ici à trois mois, toutes les propositions utiles d'adaptation du droit pour l'atteindre. Un « coup de force inacceptable » pour les syndicats de magistrats (voir ce numéro, page 45) car, selon eux, constitutif d'une violation du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958 selon lequel les décisions de la Haute Juridiction ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Vincent Lamanda a d'ailleurs fait savoir que s'il accepte « le principe d'une réflexion sur le problème de la récidive et de la protection des victimes », « il n'est pas question de remettre en cause la décision du Conseil constitutionnel ».
Les « sages » se sont tout d'abord prononcés sur la nature de la mesure de rétention de sûreté. Considérant notamment qu'elle n'est « pas décidée par la cour d'assises lors du prononcé de la peine, mais à l'expiration de celle-ci », qu'« elle repose, non sur la culpabilité de la personne condamnée, mais sur sa particulière dangerosité appréciée par la juridiction régionale [de la rétention de sûreté] à la date de sa décision », qu'« elle n'est mise en oeuvre qu'après l'accomplissement de la peine » et qu'« elle a pour but d'empêcher et de prévenir la récidive par des personnes souffrant d'un trouble grave de la personnalité », ils ont estimé que la rétention de sûreté « n'est ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d'une punition [et] la surveillance de sûreté ne l'est pas davantage ». En conséquence, la mise en oeuvre immédiate de la peine de sûreté ne contredit pas, a priori, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale édicté à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.
Toutefois, souligne la Haute Juridiction, « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction », la mesure de rétention de sûreté ne peut être appliquée aux personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure pour des faits commis antérieurement. Une exception néanmoins : si, dans le cas de la surveillance de sûreté - applicable, elle, dès la publication de la loi -, la méconnaissance par le condamné des obligations qui lui ont été imposées fait de nouveau apparaître sa particulière dangerosité, il pourra être placé, en urgence et de façon provisoire, en rétention de sûreté dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté.
Plus globalement, le conseil a estimé que la loi présentait toutes les garanties nécessaires quant à l'adéquation, la proportionnalité et la nécessité de cette nouvelle mesure. Sur ce dernier point, les magistrats ont apporté une précision importante : la rétention de sûreté sera considérée comme nécessaire si « le condamné a pu, pendant l'exécution de sa peine, bénéficier de soins ou d'une prise en charge destinés à atténuer sa dangerosité mais que ceux-ci n'ont pu produire des résultats suffisants, en raison soit de l'état de l'intéressé, soit de son refus de se soigner ».
La Haute Juridiction a par ailleurs estimé que, ne revêtant pas le caractère d'une sanction, l'inscription au casier judiciaire de la déclaration d'irresponsabilité pour cause de trouble mental portait une « atteinte grave et excessive à la protection de la vie privée sauf dans le cas où des mesures de sûreté ont été prononcées à l'encontre de l'intéressé », comme le permet désormais le texte. Concrètement, seules les déclarations d'irresponsabilité assorties de mesures de sûreté peuvent donc figurer au bulletin n° 1 du casier judiciaire.
Enfin, le Conseil constitutionnel s'est penché sur la disposition de la loi qui prévoit que les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle à perpétuité ne peuvent bénéficier d'une libération conditionnelle qu'après un avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. « En subordonnant à l'avis favorable d'une commission administrative le pouvoir du tribunal de l'application des peines d'accorder la libération conditionnelle, le législateur a méconnu tant le principe de séparation des pouvoirs que celui de l'indépendance de l'autorité judiciaire », ont considéré les magistrats, qui ont donc déclaré contraire à la Constitution le mot « favorable », limitant ainsi le rôle de la commission à celui d'un simple avis.