« Les mineurs isolés étrangers, qui arrivent sur le territoire français sans papiers et sans représentant légal, sont pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) au titre de l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, dès lors que leur minorité est prouvée, le plus souvent par expertise osseuse. Dans le département où j'interviens, le président du conseil général est désigné tuteur par le juge des tutelles. Les mineurs sont pris en charge par des maisons d'enfants à caractère social (MECS) financées par l'ASE. Ils bénéficient des même droits et devoirs que les autres jeunes confiés à l'ASE, à la différence qu'ils demandent l'asile et qu'ils n'ont pas de papiers d'identité.
« C'est à la majorité que leur situation se complique puisque certains conseils généraux refusent de maintenir la prise en charge par l'ASE de ces jeunes devenus majeurs alors qu'ils ont été accueillis parfois pendant plus de deux ans. Les raisons de ce refus sont multiples. Les départements arguent que c'est à l'Etat d'assumer la prise en charge des étrangers. Pourtant le nombre de jeunes concernés est assez limité dans les départements ruraux comme celui où je travaille : dix environ en même temps, au maximum. Les responsables politiques et institutionnels appréhendent en outre un exode majeur provoqué par un « appel d'air ». La question du coût de cette prise en charge, enfin, est au centre des débats.
« Les jeunes étrangers isolés sont donc pris en charge avant leur majorité, mais rarement après. Quel accompagnement les travailleurs sociaux peuvent-ils mener dans ces conditions ? Les éducateurs d'internat, notamment, ne peuvent préparer à quoi que ce soit. Doit-on, par exemple, commencer l'apprentissage du français si le jeune ne peut entamer des études ou s'il ne peut pas les finir ?
« Cet arrêt brutal de la prise en charge plonge de toute évidence les jeunes dans des doutes importants. Leur situation n'est déjà pas confortable puisqu'ils ont vécu une histoire difficile avant leur arrivée en France (guerre, décès de parent(s), violence, abus sexuel...). La décision des conseils généraux d'arrêter tout à 18 ans ne fait qu'accentuer leur sentiment d'être rejetés.
« Comment peuvent-ils s'en sortir ensuite ? Ils se retrouvent seuls, ne peuvent pas travailler ni aller à l'école faute de ressources. Ils ne sont plus aidés par les MECS dans leurs démarches de demande d'asile. Ainsi, ils s'installent dans la clandestinité lentement. Leur seule solution pour survivre est le travail illégal ou bien la délinquance.
« Pourquoi certains départements sont-ils favorables aux «accueils provisoires jeunes majeurs» et d'autres non ? Comment doit-on interpréter ces disparités entre les conseils généraux ? Les mineurs isolés étrangers ont-ils les mêmes chances d'insertion selon qu'ils habitent Perpignan ou Paris ? Il me semble que l'on atteint les limites de la décentralisation quand les départements manifestent une vision à court terme, la clandestinité ayant un coût plus élevé pour la société. Avec le maintien des prises en charge, les jeunes pourraient finir leur scolarité, obtenir des diplômes, puis trouver un emploi plus facilement.
« Il y a, en la matière, une différence de point de vue importante entre nos responsables et les travailleurs sociaux. Les responsables suivent des consignes venues de plus haut qu'il faut appliquer quelles que soient leurs conséquences sur ces jeunes. A contrario, les éducateurs s'investissent dans la prise en charge de ces jeunes, et lorsqu'elle s'interrompt à leur majorité, vivent mal la négation du travail qu'ils ont effectué.
« L'égalité des chances dans notre pays est-elle une réalité ou bien un fantasme ? Est-ce que nous traitons ces jeunes avec dignité ? Les travailleurs sociaux qui côtoient les étrangers sont-ils prêts à s'engager dans une résistance face aux pouvoirs publics ? »
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