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Gratification des stagiaires : les formations en travail social menacées ?

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Le cabinet du ministre du Travail, Xavier Bertrand, a fait savoir que le dispositif de gratification minimale versée aux étudiants effectuant un stage de plus de trois mois en entreprise (1) s'applique également, depuis le 1er février, aux étudiants en travail social (voir ce numéro, page 5). Cette annonce inquiète le secteur. En témoignent ces réactions de Laurent Ott et Francisco Mananga, tous deux formateurs.
Laurent Ott

Educateur et formateur en centre de formation au travail social

Des difficultés accrues pour trouver des terrains de stage

« L'annonce de la probable confirmation de l'extension au secteur social de la loi portant sur la rémunération des stages professionnels au-delà de trois mois n'a probablement pas fini de provoquer quelques remous. Même si, à ce stade, la prudence s'impose encore pour évaluer l'impact financier réel de ces mesures et présager de leur mise en pratique et d'une compensation éventuelle, des conséquences sont déjà perceptibles quand on écoute les étudiants en travail social, qui témoignent de refus de plus en plus fréquents et de craintes exprimées de la part des terrains.

La formation des éducateurs spécialisés repose, on le sait, sur une stricte alternance des périodes de formation et de stage ; le stage n'est pas dans ce dispositif de formation (l'ancien comme le nouveau) un simple lieu de mise en pratique ou de validation d'éléments théoriques, mais également la source et la base même du travail d'élaboration et de réflexion produit dans les centres de formation.

Même si, depuis quelques années, il semble parfois plus difficile pour tous les étudiants de trouver un lieu de stage, ce dispositif a, bon an, mal an, pu se prolonger malgré les graves crises qu'a pu connaître par exemple la gestion du stage des assistants sociaux. L'annonce de l'application sous une forme ou une autre de la loi sur l'indemnisation des stages dans le cadre de la formation des éducateurs spécialisés est visiblement de nature à compromettre cet équilibre, au demeurant précaire.

Bien entendu, l'impact de cette réforme probable ne sera pas le même en ce qui concerne les stages dans le cadre de structures gérées par des grandes associations. Celles-ci pourront peut être négocier un mode de prise en compte de cette nouvelle charge dans le cadre des dotations budgétaires. Pour autant, l'inquiétude demeure : quel pourrait être l'intérêt de maintenir l'accueil des stagiaires, alors que celui-ci se complexifie (nouvelles exigences dans le cadre de la réforme) et donne lieu à des démarches supplémentaires, si en plus il engage des procédures de financement plus ou moins complexes ou aléatoires ?

L'impact risque par contre d'être bien plus négatif pour les petites structures engagées dans des pratiques innovantes et qui connaissent une situation financière et budgétaire précaire ! On voit pourtant combien la possibilité d'exercer des stages dans de tels dispositifs, en lien avec des nouveaux champs ou terrains d'intervention, est importante au regard des enjeux de la formation et de positionnement de la fonction.

Je suis responsable d'une association qui développe un programme de développement social communautaire. Nous devons chaque année nous débattre pour assurer un emploi aidé (dans un cadre de réduction du nombre des postes de ce type pour le secteur associatif). Alors comment pourrions nous envisager l'accueil d'un stagiaire si la «gratification légale» représente un reste à charge encore plus onéreux ?

La profession d'éducateur spécialisé souffre depuis des années d'une progression insuffisante du nombre de places ouvertes en centres de formation ; le poids de cette profession dans l'ensemble du travail social est en régression et la perspective de la multiplication des formations vers les métiers de services à la personne n'augure certes pas d'un changement de cap. Le risque de difficultés accrues d'accueil et d'accompagnement des stagiaires engendrées par cette nouvelle réforme ne constitue-t-il pas une source de danger supplémentaire de limitation de la possibilité de se former à ce métier ? Ou alors faudra-t-il craindre un remaniement de l'équilibre entre temps de stage et temps théorique qui mettrait en cause toute la spécificité des centres de formation aux métiers du social, au profit de formules scolaires ou universitaires ? »

Contact : Laurent.ott@orange.fr.

Francisco Mananga

Educateur spécialisé, juriste dans un organisme à vocation sociale et médico-sociale dans le Nord, chargé d'enseignement à l'IRTS de Loos (Nord)

Bientôt des quotas pour l'accueil des stagiaires « gratifiables » ?

« Si cette décision semble en adéquation avec le principe de l'égalité en général, elle risque néanmoins de remettre en cause l'accueil des travailleurs sociaux en formation dans les établissements et services, et ce pour deux raisons.

La première est liée à la capacité d'accueil. Depuis de nombreuses années, certains étudiants en travail social éprouvent des difficultés dans la recherche des stages, soit parce que les «terrains» d'accueil sont saturés, soit parce que les professionnels du secteur n'ont plus le temps nécessaire pour encadrer efficacement les stagiaires.

La seconde est relative à l'impact financier. Les établissements sociaux et médico-sociaux sont soumis à des enveloppes budgétaires. Ils ne peuvent gratifier les stagiaires qu'en fonction du budget dont ils disposent, ce qui limiterait nécessairement le nombre des stagiaires à accueillir chaque année, au-delà même des difficultés de leur accompagnement ou encadrement. Le stage de la troisième année pour un éducateur spécialisé pouvant durer jusqu'à six mois (ce qui pourrait coûter près de 2 400 € à l'établissement), toutes les associations ne pourraient pas se permettre d'accueillir plusieurs stagiaires dans la même année... A supposer que les autorités publiques décident de prendre en charge financièrement ces stages (ce qui est probablement le cas), dans quelle proportion serait-ce ? N'assisterons-nous pas à l'instauration des quotas pour l'accueil des stagiaires «gratifiables» ? Ou à la réduction des places offertes aux concours d'entrée en formation afin de limiter financièrement les effets des dispositions relatives à la gratification ?

Certes, le principe de l'égalité des chances et de non-discrimination doit s'appliquer à tous. Au nom desdits principes, l'on peut comprendre le souci de tendre vers la rétribution des travailleurs sociaux en formation. Mais les textes auraient dû être clairs en ce sens, et les autorités de financement doivent mettre les moyens nécessaires à la réalisation de cet objectif et ce, de manière non restrictive.

Notons que certaines entreprises et associations n'ont pas attendu la loi pour gratifier des stagiaires de manière volontaire. Par ailleurs, nombreux stagiaires attendent des établissements d'accueil un encadrement efficace, leur permettant d'appréhender le sens de l'accompagnement des usagers et n'accordent pas nécessairement d'importance à une gratification.

En tout cas, le fait d'imposer aux associations du secteur social et médico-social la gratification de tous les stagiaires de plus de trois mois par un montant fixé par le législateur tendrait à les mettre en difficulté financière et/ou à les inciter à ne plus accueillir un nombre «raisonnable» des stagiaires. Plusieurs établissements ne seront plus à même d'accueillir ces étudiants alors que la formation pratique est indispensable non seulement pour la validation du diplôme préparé, mais également pour la préparation du futur travailleur social. La réflexion est ouverte. »

Contact : f.mananga@infonie.fr.

Notes

(1) Voir ASH n° 2544 du 8-02-08, p. 17.

TRIBUNE LIBRE

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