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LE CADEAU EMPOISONNÉ DE LA GRATIFICATION DES STAGIAIRES

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Les étudiants en travail social bénéficient, depuis le 1er février, du décret imposant une gratification minimale des stages. Une décision juste socialement, mais dont l'impact financier n'a guère été anticipé et pourrait fragiliser le système de l'alternance.

Les dispositions du décret du 31 janvier sur la rémunération des stagiaires de l'enseignement supérieur, pris en application de l'article 9 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances (1), sont applicables, depuis le 1er février aux étudiants en travail social. C'est ce qu'indique le Snasea (Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social), qui a été informé le 12 février de cette décision du cabinet du ministre du Travail, Xavier Bertrand.

Tous les stagiaires accueillis pour une durée supérieure à trois mois consécutifs au sein des établissements et services gérés par des associations sociales et médico-sociales, dans le cadre de conventions signées avec les instituts et les écoles de formation en travail social, bénéficient donc d'une gratification minimale, fixée à 12,5 % du plafond horaire de la sécurité sociale (soit 398,13 € par mois en 2008). En outre, selon l'information transmise par le Snasea à ses adhérents, cette gratification s'applique à compter 1er février pour les stages en cours ayant démarré avant cette date.

Le cabinet du ministre du Travail a donc tranché, brutalement, sur le périmètre d'application du décret, sur lequel beaucoup, pourtant, attendaient des précisions et l'interprétation de la direction générale de l'action sociale (DGAS). En effet, si aucune organisation représentative des centres de formation ou des employeurs ne conteste bien sûr le principe d'une gratification des stagiaires, en particulier dans un contexte où la précarité des étudiants augmente (2), certains comme le GNI (Groupement national des instituts régionaux du travail social) ou le Snasea - et à la différence du SOP (Syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif), qui disait « avoir pris acte de la loi » - défendaient l'idée que les diplômes professionnels en travail social de niveau III, n'entrant pas dans le champ de l'enseignement supérieur, n'étaient pas visés par l'obligation de gratification des stagiaires. Une interprétation, « qui ne préjugeait, bien évidemment, nullement de ce qui pourrait se faire ultérieurement pour ces formations organisées en alternance », précise aussitôt le Snasea, qui persiste à penser que la décision du ministre « n'est nullement confortée sur un plan purement juridique ».

S'il paraît légitime de ne pas discriminer les étudiants en travail social des autres stagiaires, on ne saurait pourtant ignorer l'impact financier d'un tel décret sur les enveloppes budgétaires des établissements et services gérés par des associations sociales et médico-sociales. « Cette charge devra bien évidemment être imputée aux comptes administratifs 2008 comme une charge supplémentaire non prévue et imposée par les pouvoirs publics », réagit le Snasea.

La pilule est d'autant plus amère que certains syndicats d'employeurs et l'Unifed (Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social), mais aussi le GNI et l'Aforts (Asso-ciation française des organismes de formation et de recherche en travail social), avaient sollicité, bien avant la parution du décret et à plusieurs reprises, la DGAS sur les répercussions financières de la loi pour le secteur et les mesures qu'elle envisageait pour y faire face. Des interpellations qui n'avaient reçu jusqu'à présent aucune réponse. « Cette situation risque rapidement de poser des difficultés aux établissements de formation dans la mise en oeuvre d'une alternance de qualité, à l'heure où les réformes des diplômes associent de plus en plus les établissements et leurs équipes aux apprentissages professionnels », avertissait pourtant Christian Chassériaud, président de l'Aforts et directeur de l'Institut du travail social de Pau, dès le 4 juin dernier, dans une lettre adressée à la DGAS. Il soulignait, déjà, qu'un nombre croissant d'établissements sociaux et médico-sociaux hésitaient, voire refusaient, d'accueillir en stage des étudiants en travail social.

Des employeurs hésitants

De fait, selon, Jean-Michel Godet, secrétaire général du GNI et directeur de l'Institut régional du travail social de Basse-Normandie, de nombreux courriers d'employeurs arrivent aux centres de formation et font état de leurs inquiétudes et de leurs interrogations sur leur capacité à accueillir des étudiants. Des inquiétudes d'autant plus légitimes que les stages de fin d'année des élèves préparant le DEASS (diplôme d'Etat d'assistant de service social) ou le DEES (diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé) peuvent durer six mois, d'octobre à avril, et représenter une charge non négligeable. Pour l'ensemble des étudiants de troisième année, le coût total de la gratification se chiffrerait entre 15 et 20 millions d'euros, hors frais de gestion, a calculé l'Aforts. En outre, si l'ensemble des formations de niveau III sont concernées, celles de niveau II et I (Cafdes, Caferuis, DEIS) pourraient l'être aussi. C'est donc bien une dizaine de formations sociales qui pourraient être bloquées dans leur mise en oeuvre si aucune mesure d'accompagnement n'était décidée. « Si les grosses associations pourront peut-être négocier la prise en compte de cette nouvelle charge, le secteur des centres d'hébergement et de réinsertion sociale et de l'accueil d'urgence, qui a des moyens de fonctionnement souvent très limités, risque d'être fortement pénalisé. Or il constitue un lieu de stage particulièrement intéressant pour les étudiants », s'inquiète Jean-Michel Godet, qui précise que le GNI sera très attentif à ce secteur. D'une façon plus générale, ce sont tous les petits établissements et les lieux de stage atypiques, en situation financière souvent fragile, qui risquent d'être mis en difficulté (voir notre « Tribune libre », page 39). Qu'en sera-t-il alors de la diversité et de la richesse des terrains d'accueil ? Ne va-t-elle pas disparaître au profit de lieux de stage uniformisés, que pourront seules proposer les grosses associations ?

Pour l'heure, le Snasea conseille à ses adhérents, pour la nouvelle campagne de stages, qui va débuter d'ici à l'été, « la plus grande prudence » quant à l'accueil des étudiants pour des stages de plus de trois mois et il les invite à saisir, avec les organismes de formation, leurs autorités de tarification. L'Aforts et le GNI ont d'ailleurs aussi déjà incité les établissements de formation à alerter l'ensemble des financeurs du secteur : directions départementales des affaires sanitaires et sociales, conseils généraux, organismes de sécurité sociale, ministère de la Justice, etc. Ils les ont enjoints également à adresser des courriers aux conseils régionaux, qui ne peuvent plus désormais se désintéresser du bon déroulement des formations sociales. Car il y a maintenant urgence à obtenir, tant pour les centres de formation que pour les employeurs, des garanties sur les modalités financières d'accompagnement du décret et le maintien de la qualité de l'alternance. « Les établissements prennent leur responsabilité dans la formation, aux financeurs de prendre les leurs. La loi s'impose à tous », résume Jean-Luc Durnez, directeur général du SOP. La Fegapei (Fédération nationale des associations de parents et amis employeurs et gestionnaires d'établissements et services pour personnes handicapées mentales) a, pour sa part, décidé qu'elle ne communiquerait à ses adhérents sur la question de la gratification que lorsqu'elle connaîtra la position de la DGAS. Une position qui se fait toujours attendre, bien que cette administration ait assuré en début de semaine aux ASH qu'elle étudiait les modalités d'application de la mesure.

Décidée à accélérer les choses, l'Unifed devait adresser en fin de semaine une lettre à Xavier Bertrand pour l'interpeller sur la question de la gratification et lui faire part de ses inquiétudes sur les risques de blocage du système de formation en travail social. L'Aforts, qui avait sollicité la semaine dernière sur le sujet le directeur de cabinet de la secrétaire d'Etat à la solidarité, Valérie Létard, devait rencontrer le 22 février le GNI et le Snasea afin d'envisager une stratégie commune. Le GNI, qui, la veille, devait également réunir son bureau, envisageait également d'interpeller Xavier Bertrand. D'autant qu'un certain nombre de questions sur le périmètre exact du décret reste, selon lui, en suspens : les étudiants bénéficiaires des Assedic sont-ils concernés par la mesure ? La gratification s'ajoute-t-elle aux bourses ? Les stages effectués au sein des collectivités locales ou des hôpitaux sont-ils visés ? « Autant d'incertitudes, précise Jean-Michel Godet, qui doivent être levées afin que nous puissions informer correctement nos étudiants et ne pas créer des désillusions. » Quant aux voies de sortie possible de la situation actuelle, l'une des pistes que souhaite explorer le GNI serait de s'inspirer du système de gratification des formations paramédicales, transférées elles aussi aux régions. Pourquoi l'Etat, suivant ce modèle, ne compenserait-il pas la gratification due aux stagiaires auprès des régions, qui redistribueraient les sommes aux centres de formation, à charge pour eux de les répartir auprès des bénéficiaires, quel que soit leur terrain d'accueil ?

Notes

(1) Voir ASH n° 2544 du 8-02-08, p. 17.

(2) Voir l'enquête « Pauvres étudiants », ASH Magazine n° 25, janvier-février 2008, p. 14.

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