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Les parents, responsables, victimes ou partenaires ?

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Les parents sont de plus en plus systématiquement pointés du doigt lorsqu'il est question de délinquance juvénile et une kyrielle de dispositifs a été créée en vue de les responsabiliser en cas de dérapage de leurs enfants. Les familles ne sont pourtant pas les seuls acteurs de la socialisation des jeunes et, si responsabilité il y a, elle ne peut être que partagée. Face à des parents en perte de légitimité, souvent accablés par les difficultés socio-économiques, nombre d'acteurs appellent à un accompagnement plutôt qu'à une sanction.

« Etre parent d'enfant délinquant n'a vraiment rien d'enviable. Cela signifie être harcelé par les huissiers, sans cesse convoqué par les juridictions. Il y a peu de bénéfices secondaires... hormis dans de rares cas, très particuliers, de parents pouvant profiter de la délinquance de leurs enfants », tient à rappeler François Sottet, premier substitut du procureur au tribunal de grande instance de Paris en charge du parquet des mineurs. « Les parents ont, par ailleurs, en général un désir sincère de réussite pour leurs enfants », affirme l'ancien juge des enfants, également passé par les affaires familiales. Des évidences qu'il est toujours bon d'évoquer, à l'heure où croissent les velléités de responsabilisation des parents, de plus en plus considérés fautifs lorsque leurs enfants adoptent des comportements déviants ou délinquants. Aujourd'hui, dans les discours politiques comme dans l'opinion publique, la délinquance juvénile est en effet, de façon croissante, « associée à un défaut d'éducation, de direction ou de surveillance des parents, souligne Laetitia Delannoy, chargée de mission au département « questions sociales » du Conseil d'analyse stratégique (CAS) (1). On parle facilement de défaillance, de démission parentale. Plus que jamais, la famille serait le lieu où se construisent les trajectoires individuelles. » Une étude menée par le parquet de Paris sur les mineurs les plus réitérants atteste pourtant que rien ne caractérise les parents de ces jeunes. « Certains sont démissionnaires, d'autres non. On ne trouve pas de constantes dans les attitudes vis-à-vis des enfants », assure François Sottet.

S'il y a perte d'autorité, cela vaut pour tous les milieux. « Les parents sont déboussolés. Ils ne se sentent plus légitimes à imposer quoi que ce soit à leurs enfants, de peur de perdre leur confiance. On est dans une société d'adultes qui craint de mal faire », déplore Philippe Jeammet, chef du service de psychiatrie des adolescents et des jeunes adultes à l'Institut mutualiste Montsouris-Jourdan, à Paris. Divers facteurs viennent cependant aggraver la situation dans certaines familles, ce qui ne doit pas pour autant entraîner de stigmatisation. « Des parents rencontrent deux types d'impuissances : l'une, objective, fondée sur des conditions matérielles et sociales très défavorables (pauvreté, logement précaire, discriminations - par l'école, la police, la justice... -, perspectives négatives sur le marché du travail...) ; l'autre, plus subjective, en découle en partie. Quand on doit éduquer des enfants dans des conditions pareilles, il est normal qu'on soit découragé », analyse Lode Walgrave, professeur émérite de criminologie de la jeunesse à l'université catholique de Louvain, en Belgique. Et de s'exclamer : « Ce sont ces parents-là que l'on voudrait responsabiliser ? C'est un peu trop facile. Il est impossible d'être un bon éducateur dans certaines circonstances. Même Zinedine Zidane jouerait mal s'il devait le faire dans un champ de patates ! »

Conscients des problèmes, ces parents ne savent surtout pas comment modifier le cours des choses. « Ils n'ont de prise ni sur les circonstances ni sur leurs enfants », estime Lode Walgrave, qui souligne également le décalage existant dans l'interprétation des problématiques. La vision des professionnels diffère en effet du ressenti des familles. « Lorsque des jeunes traînent dans la rue, pour les premiers, il s'agit d'un problème de sécurité ; pour les seconds, d'un manque de motivation pour aller à l'école faute de perspectives, de l'absence d'un lieu de rencontres... », illustre le chercheur. En tout cas, il est faux de dire que les familles ne s'impliquent pas. Dans le cadre d'une thèse sur les bandes de jeunes, Marwan Mohammed, post-doctorant au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip-CNRS), constate en effet que, « lorsque la délinquance émerge, les parents s'investissent : ils cherchent à agir, ils multiplient les partenariats ». Cela marche ou pas. Lorsque la délinquance persiste, leur conduite dépend de la manière dont ils anticipent le résultat et ce n'est que lorsqu'ils pensent avoir tout tenté qu'ils baissent les bras. Mais pour le chercheur, si la question de la supervision ou du contrôle des parents compte - et qu'il conviendrait d'ailleurs de s'interroger sur leurs conditions (temps disponible, problèmes domestiques...) -, elle n'est pas centrale. Malgré des pressions très fortes, les conduites délinquantes peuvent parfois se poursuivre. Le problème essentiel est ailleurs. Dans toutes les familles rencontrées, le sociologue a en effet observé un phénomène de disqualification. « Pour que l'éducation, les objectifs familiaux, la feuille de route que les parents donnent à leurs enfants en termes de comportements soient acceptés, il faut qu'ils soient légitimes. Ceci est d'ailleurs valable pour tous les acteurs éducatifs : enseignants, travailleurs sociaux, etc. », explique-t-il. Symbolique, cette déligitimation est temporaire et sélective - elle ne concerne que la dimension normative - et apparaît sous deux formes. L'une correspond à une vision misérabiliste des parents liée à leur statut social, à leur image publique. « La façon dont notre société, et notamment les institutions, traite ces parents-là, est alors tout à fait déterminante », affirme avec force Marwan Mohammed. L'autre est dite « défiante ». « On est alors dans le contentieux, pas celui lié à la renégociation des règles à l'adolescence, mais à un passif lourd. Du fait de sa violence envers la mère, le père peut par exemple être l'objet d'un rejet. » Enfin, le sociologue pointe le poids des ruptures sociales dans la disqualification : perte d'emploi, divorce, déménagement, décès... Dans de telles configurations, peuvent alors s'opérer un transfert d'autorité, de légitimité, de la sphère familiale vers les bandes et un glissement des normes parentales ou scolaires vers les conduites déviantes, la rue.

En fait, les parents ne peuvent rien seuls. D'autant plus qu'ils ne sont pas les uniques acteurs de la socialisation et des apprentissages de leurs enfants. « Il faut tout un village pour élever un enfant », disent les Ivoiriens. Outre l'influence des pairs, il y a celle de la fratrie, de l'école, de la télévision, et plus largement de la société, qui valorise aujourd'hui la consommation, la compétition... « Les parents sont importants, leur attitude est déterminante et il faut le leur dire. Mais, interroge Philippe Jeammet, comment vouloir qu'ils posent seuls des limites qui ne sont plus socialement soutenues ? » La question de la responsabilisation des parents doit, de fait, être regardée dans le cadre d'une réflexion plus large, renouvelée, sur « la coproduction de l'insécurité », estime René Sève, directeur général du CAS. La responsabilité pourrait ainsi être également envisagée pour la parentèle, le voisinage, les associations, les institutions publiques, voire, suggère-t-il, « les entreprises privées, dans la mesure où certaines, par leurs biens ou services, multiplient les occasions de délinquance ou, au contraire, les limitent ». Si beaucoup d'intervenants inscrivent ainsi les familles dans une responsabilisation partagée avec d'autres et estiment qu'elles ne sont qu'un maillon de la prévention de la délinquance, on assiste pourtant à l'émergence de multiples dispositifs visant à les responsabiliser. « Initiés dans les années 80 en Amérique du Nord, la tendance se confirme depuis la fin des années 90 en Europe et au-delà », souligne Laetitia Delannoy (2). Toutefois, se réjouit Christine Lazerges, directrice de l'école doctorale de droit comparé de l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, « les textes internationaux continuent à être porteurs du modèle protectionniste. Il n'y a pas de transfert de la responsabilité des enfants sur les parents. Ils n'accordent qu'une très petite place aux responsabilités de ces derniers et à leur responsabilisation. »

En France, depuis 2002, on assiste à une véritable inflation des textes sur la question de la responsabilisation parentale, et, observe Francis Bailleau, directeur de recherche au CNRS, « une pression croissante s'exerce sur les tribunaux pour que cette responsabilité puisse être davantage interrogée et que soient sanctionnés les manquements constatés ou que soit apporté un soutien à la fonction de surveillance des parents ». Une pression à mettre en relation « avec le désengagement de l'Etat de certaines responsabilités sociales, expression des orientations libérales actuelles » (3).

En septembre 2002, la loi d'orientation et de programmation pour la justice a ainsi permis aux juridictions des mineurs d'infliger des amendes aux responsables légaux de ces jeunes qui ne répondaient pas aux convocations devant le juge ou le tribunal. Elle a également modifié l'article 227-17 du code pénal, qui punit désormais de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende le fait pour le père ou la mère « de se soustraire sans motif légitime à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur ». Alors qu'auparavant le parent devait les compromettre « gravement ». En 2002, puis 2004, des circulaires ont préconisé l'emploi du stage parental dans le cadre des alternatives aux poursuites sur la base de l'article 227-17, avant que ce dispositif ne soit légalisé en 2007, sous l'intitulé « stage de responsabilité parentale » par la loi relative à la prévention de la délinquance. Celle-ci a aussi autorisé son emploi en tant que peine complémentaire. En 2006, la loi pour l'égalité des chances a créé, quant à elle, le contrat de responsabilité parentale, lequel est conclu pour six mois au maximum entre le conseil général et les parents. En cas de refus ou de non-respect, ces parents « défaillants » peuvent voir leurs allocations familiales suspendues ou le procureur de la République peut être saisi. Enfin, en mars 2007, la loi relative à la prévention de la délinquance a également instauré le conseil pour les droits et devoirs des familles, que préside le maire. Lorsqu'un défaut de surveillance ou d'assiduité scolaire d'un mineur est constaté, celui-ci peut proposer un accompagnement, dont le non-respect peut être sanctionné par la saisine du président du conseil général en vue de la mise en place d'un contrat de responsabilité parentale.

Un tel empilement de dispositifs ne peut, pour François Sottet, que « nuire à leur lisibilité ». Le magistrat s'avoue par ailleurs « perplexe » devant ces évolutions. En effet, explique-t-il, « faire intervenir un éducateur de milieu ouvert auprès de familles en difficulté, c'est tenter d'apporter un soutien à la parentalité. Or, aujourd'hui, on considère que ce type d'intervention ciblée et individualisée ne suffit plus pour amener cette responsabilisation des parents que tout le monde semble appeler de ses voeux. En même temps, force est de constater que tous ces textes restent lettre morte. » Les stages parentaux ne sont ainsi pas mis en pratique. Première explication avancée par François Sottet : « leur conception apparaît relativement infantilisante et traumatisante pour les parents ». Seconde raison évoquée par Christine Lazerges : « On ne sait pas qui doit les mettre en place ni quel doit être leur contenu ». L'ancienne députée (PS) souligne une autre aberration : « Les textes avancent l'idée saugrenue que ces stages sont à la charge des parents, alors même que, dans la tête des législateurs, ils s'adressent d'abord aux personnes les plus démunies... » L'article 227-17 n'est pas plus employé par les parquets. « Lorsque l'on supprime le terme «gravement» à un texte déjà contestable, l'incrimination devient tellement large et floue que l'on ne s'en sert jamais. Elle pourrait même s'adresser à tout le monde : qui ne s'est jamais soustrait un jour à ses obligations parentales ? Il s'agit là d'une loi émotive ou simplement déclarative », s'insurge Christine Lazerges. Laquelle dénonce au passage le fait qu'il semble qu'il n'y a que les mères élevant seules leur enfant qui soient poursuivies sur la base de cet article.

Des élus peu enthousiastes

Le contrat de responsabilité parentale ne semble pas susciter davantage l'engouement des conseils généraux. « Nous n'avons connaissance aujourd'hui que d'une dizaine de signatures de contrats et nous n'avons recensé aucune suspension d'allocations familiales depuis 2004, malgré l'élargissement du champ permettant d'aboutir à une sanction (4) », affirme Aymeric de Chalup, responsable du pôle prestations familiales à la caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Le dispositif ne recueille pas plus l'enthousiasme des maires. « Ce contrat n'est appliqué nulle part car il est inapplicable. Sans misérabilisme, on sait qu'on touche là le monde de la pauvreté et ce n'est pas la solution que de supprimer l'une des rares ressources tombant dans le ménage. Les maires y sont très hostiles car alors, inévitablement, ces familles iraient au centre communal d'action sociale ce qui grèverait les finances locales... », résume Charles Gautier, sénateur-maire de Saint-Herblain (Loire-Atlantique) et président du Forum français pour la sécurité urbaine. L'évaluation de l'ancien dispositif de suspension des allocations familiales de la CNAF avait par ailleurs démontré qu'il manquait d'équité. « La sanction ne pouvait toucher que les familles concernées par les allocations et il existait une grande hétérogénéité des pratiques selon les départements », détaille Aymeric de Chalup. Il était de surcroît « inefficace », notamment du fait du délai, estimé à deux mois, entre la sanction et le cas avéré d'absentéisme scolaire. Le principe de contractualisation inscrit dans la nouvelle formule suscite également les réticences de la CNAF. « Nos dispositifs d'accompagnement sont plutôt axés sur la notion de partenariat. Une action se déroulant sous la contrainte n'a pas forcément les mêmes effets. Notamment, cela joue sur la relation familles-intervenants sociaux », résume Aymeric de Chalup.

D'ores et déjà, pour améliorer la situation en matière de prévention de la délinquance juvénile et d'implication parentale, quelques orientations sont à suivre. Cela passe d'abord par davantage de cohérence. « Dans la foulée de la revue générale des politiques publiques qui se déroule actuellement, il me semble éminemment souhaitable que l'accent soit porté sur la mise en cohérence réelle de tous les dispositifs. Il faut donner davantage de clarté et d'efficacité à l'action. C'est ce qu'attendent les professionnels comme les populations concernées et cela permettra d'améliorer l'emploi des sommes engagées », estime Dominique Barella, magistrat détaché à l'inspection générale des affaires sociales. Il faut également veiller à ne pas créer le désordre. « La volonté d'ouvrir les magasins le dimanche est emblématique. On demande aux parentséducateurs que l'on veut responsabiliser de s'occuper de leurs enfants et on limite encore leurs possibilités d'échanges entre eux », s'enflamme-t-il. Sortir du grippage des institutions est également souhaitable pour Charles Gautier qui a « l'impression que cela ne s'articule pas » ; comme « ne pas laisser l'Etat se désengager », pour Christine Lazerges, qui alerte sur le manque d'infirmières ou d'assistantes sociales en milieu scolaire. Pour mieux intervenir, l'une des priorités est aussi, selon elle, de s'intéresser à la vision des spécialistes. « En France particulièrement, les acteurs politiques ont une mauvaise réception des préconisations de ceux qui ont l'expérience et la connaissance du sujet, des experts de la famille, de la délinquance des mineurs... » A ce titre, les travaux du canadien Ross Hastings, professeur de criminologie à l'université d'Ottawa et codirecteur de l'Institut pour la prévention de la criminalité, mériteraient qu'on s'y attarde. Ce dernier préconise en effet de centrer le système pénal sur les jeunes les plus ancrés dans la délinquance. Une proposition saluée par Christine Lazerges qui estime que cela « exigerait un changement d'orientation fondamental du fonctionnement actuel de la justice pénale des mineurs, laquelle perd aujourd'hui une très grande partie de son temps et de sa force à apporter une réponse à chaque acte de délinquance, aussi petit soit-il » (voir encadré, ci-contre). Enfin, il convient, tout en étudiant les expériences de responsabilisation des parents qui se développent à l'étranger, en Belgique (voir encadré, page 42) ou au Canada notamment, d'évaluer les dispositifs déjà existants et, plutôt que de durcir les sanctions, de promouvoir une responsabilité positive et non culpabilisante. « Les textes internationaux vont dans ce sens et il faut veiller à ce que les législations nationales n'en décrochent pas », défend Christine Lazerges. La parentalité positive consiste à donner confiance aux parents et à ne pas marginaliser les enfants. L'école a sur ce point, selon elle, de grands progrès à faire.

Comment construire avec les parents ou l'expérience de la justice réparatrice néo-zélandaise version belge

Inventées en Nouvelle-Zélande à partir des méthodes de résolution des conflits des autochtones et introduites dans la loi en 1989, les « family group conferences » gagnent aujourd'hui la Belgique, après avoir séduit, de façons variées, quelques pays anglo-saxons. Dans les Flandres, des projets-pilotes tentent en effet de développer fidèlement cette approche qui a permis, tout en étant dans une logique de justice réparatrice, de réduire spectaculairement la récidive des mineurs et les placements en milieu fermé en Nouvelle-Zélande. Alors, en quoi consistent ces conférences ? « Dans ce pays, dès qu'un délit, même grave, est commis par un mineur, même multirécidiviste, une conférence doit être organisée. Aucune mesure, aucune sanction, ne peut être prise par un juge ou un tribunal sans en avoir réuni au moins une. Seule exception : les jeunes impliqués dans un homicide volontaire sont envoyés vers le tribunal pour adultes », explique Lode Walgrave, professeur émérite de criminologie de la jeunesse à l'université catholique de Louvain. Dans ce cadre, une rencontre est organisée entre la victime et le mineur et chacun fait venir qui il veut : parents, enfants, proches, avocats... Notamment, les délinquants convient souvent un enseignant, un entraîneur sportif ou un travailleur social. La présence de la police est obligatoire pour représenter l'ordre public et rappeler les faits, et la conférence est animée par un modérateur professionnel. L'objectif est de parvenir, après que chacun a exprimé son ressenti, à un accord en vue de réparer les dommages et d'apaiser les souffrances vécues. « En Nouvelle-Zélande, les résultats sont très positifs. Les accords sont exécutés correctement et on constate que les risques pour la sécurité publique ne sont pas plus grands », résume le criminologue.

Lors de leur expérimentation en Belgique par des services privés déjà spécialisés dans la médiation victimes-déliquants ou

l'accompagnement de mesures de travail d'intérêt général, ces dispositifs, dits « conférences restauratives en groupe », ont été accompagnés d'un suivi scientifique intensif (en 2001-2003, puis en 2004-2005). Seuls des jeunes ayant commis des délits graves (vols à main armée, cambriolages, atteintes physiques sérieuses, viols, etc.) ont été concernés. Affichant de bons résultats, les conférences ont été légalisées en 2006. « Les professionnels - modérateurs, juges, avocats, officiers de police... - se sont révélés satisfaits et 100 % des déclarations d'intention auxquelles ont abouti les conférences ont été confirmées par le tribunal », assure Lode Walgrave. Les participants ont également apprécié la mesure et « plus de 90 % trouvent qu'une telle proposition devrait être faite à tout le monde », poursuit-il. En matière de récidive, des problèmes méthodologiques empêchent encore d'obtenir des résultats fiables. En tout cas, se réjouit le criminologue « ce n'est pas pire ! ». Et les victimes ne sont pas moins satisfaites que celles faisant l'expérience des procédures judiciaires classiques. Qu'en est-il enfin des parents ? Dans l'approche traditionnelle, ces derniers sont souvent considérés comme des co-accusés et donc comme une partie du problème. « Avec les conférences, ils deviennent une partie de la solution », estime Lode Walgrave. Notamment, ils jouent un rôle crucial dans la génèse des accords et dans leur suivi. « Ils se désolidarisent de ce que le jeune a fait mais ne rejettent pas leur enfant. Ils disent : «oui, c'est crapuleux», mais aussi «cet enfant n'est pas si mauvais que cela», etc. Il devient dès lors plus difficile pour le jeune de s'enfermer dans une attitude défensive. Ce dernier peut se laisser davantage aller car il se sent soutenu. Cela lui permet de mieux accepter qu'il a mal fait et de formuler des excuses. Ce sont en outre souvent les parents qui font le lien avec les victimes, lesquelles évoquent alors parfois la difficulté d'éduquer », explique-t-il. Par ce biais, les parents se sentent bien traités, respectés dans leur rôle, et de fait sont plus motivés pour coopérer. « On leur dit : «Qu'allons-nous faire ensemble ?» et non «Mais, qu'est-ce que vous avez fait !» », résume le chercheur pour qui, dans une optique d'empowerment, « il faut davantage soutenir et encourager les parents que leur reprocher leurs défaillances ».

Une priorité : les délinquants persistants

Dans presque tous les pays, moins de 20 % de la délinquance est commise par des jeunes (5). « L'essentiel de la criminalité concerne donc les adultes », relativise Ross Hastings, professeur de criminologie à l'université d'Ottawa et codirecteur de l'Institut pour la prévention de la criminalité (6). Quasiment tous les jeunes ont en réalité des expériences de délinquance mais, pour la très grande majorité, celles-ci sont passagères, « des effets de maturation venant régler le problème », observe le criminologue. Il en déduit ainsi que « très souvent, on est porté à intervenir auprès de jeunes qui ne tireront pas vraiment bénéfice de ce travail ». Troisième constat, « une petite minorité de jeunes est responsable de la majorité de la délinquance commise ». La priorité devrait donc, selon lui, être accordée aux « délinquants persistants ». « Ces derniers sont en fait ceux qui ont tendance à entrer le plus tôt dans la délinquance, à y rester le plus longtemps et à commettre les actes criminels les plus sérieux. Si nos interventions pouvaient cibler efficacement ces jeunes, on aurait un retour sur investissement bien plus intéressant. »

Ces délinquants persistants partageraient, selon divers travaux, certaines caractéristiques : capacités cognitives moins élevées que leurs homologues non persistants (davantage de difficultés à calculer, à résister au stress...), moindre contrôle de soi et impossibilité à se projeter dans le futur - ils agissent dans l'idée du présent. Par ailleurs, on constate « l'énorme importance du rôle de l'identité dans les enjeux de décision. Cette délinquance est en effet souvent commise non par désir de passage à l'acte mais par celui de faire preuve d'une identité collective, d'être membre d'une bande... », développe Ross Hastings. Le défi reste, dès lors, de « décider comment pallier les besoins de ces jeunes et de leur famille, trouver quels mécanismes sociaux, quelle politique sociale, nous aideront à faire ce travail ».

Une façon de concevoir la situation est de considérer que ces délinquants persistants « ne sont pas des accidents de parcours » et d'avoir recours aux recherches développementales. De plus en plus, celles-ci aident « à identifier les genres d'expériences qui produisent des enfants ayant les trois caractéristiques repérées sur le plan des capacités cognitives, du contrôle de soi et du besoin identitaire », soutient le chercheur, qui rappelle par ailleurs combien jouent « le niveau intermédiaire, c'est-à-dire le local : lieu de dissidence, quartier, qualité de l'école... » et la question des inégalités sociales. Cela dessine en creux les besoins spécifiques de ces enfants et devrait appeler à une prévention précoce. « Plus haut est le niveau de besoins de l'enfant, plus on devrait intervenir », résume Ross Hastings. Le criminologue préconise donc de suivre deux pistes : « favoriser l'accès universel de l'enfant à des programmes développementaux surtout à un très jeune âge, voire à la période prénatale » et « demander au système pénal de se spécialiser sur les cas les plus sérieux ».

Notes

(1) Le CAS a organisé, le 21 janvier 2008 à Paris, un colloque intitulé « La responsabilisation des parents, une réponse à la délinquance des mineurs ? » - CAS : 18, rue de Martignac - 75700 Paris cedex 07 - Tél. 01 42 75 60 00.

(2) Sur le site du CAS : www.strategie.gouv.fr, une « note de cadrage » recense les principales stratégies d'intervention auprès des familles existantes, depuis le soutien à la fonction parentale jusqu'à la pénalisation.

(3) Voir ASH n° 2508 du 18-05-07, p. 33.

(4) Jusque-là, seul un défaut d'assiduité scolaire pouvait impliquer une sanction. Aujourd'hui, cela est aussi possible en cas de carence de l'autorité parentale ou de trouble au fonctionnement d'un établissement scolaire.

(5) En France, le taux avoisinerait 18 %.

(6) www.socialsciences.uottawa.ca/ipc/.

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