« «Protéger les savoirs contre les pouvoirs, considérer l'excellence comme la forme la plus haute de l'égalité, voir en chaque citoyen un sujet rationnel de droit, se garder d'assujettir l'instruction publique aux volontés particulières et à l'utilité immédiate... Instruire n'est ni informer, ni conformer...» Condorcet (1743-1794).
A ce jour, toutes les personnes consultées nous ont assuré de leur plein accord avec cette pensée. Et pourtant...
Cette citation, placée en exergue du catalogue du Centre de formation de l'Essonne (CFE), énonce très clairement les objectifs vers lesquels nous voudrions être assurés que tendent toutes les actions que nous conduisons et renseigne sur l'esprit qui doit y présider.
La mise en oeuvre des trois idées maîtresses que nous en retenons impose que soient notamment interrogés de façon quasi permanente : le pourquoi, c'est-à-dire les fondements des enseignements dispensés ; le comment, c'est-à-dire la manière employée, la pédagogie et la méthodologie utilisées ; la relation établie par le formateur, la qualité des éléments de réponse eu égard à la spécificité de l'objet même de l'action de formation et des attentes, curiosités et questions des participants ; les critères devant permettre de porter une appréciation fondée sur la qualité des enseignements d'une part et sur la nature et le niveau d'assimilation et d'appropriation par les stagiaires d'autre part (si l'«indice de satisfaction» des participants est un élément à prendre en compte, il ne saurait à lui seul renseigner sur la qualité) ; et enfin les principes éthiques présidant à la mise en oeuvre de l'action de formation, notamment ce qu'ils énoncent à l'endroit du respect et de l'accompagnement du stagiaire.
Déclinons ces trois idées maîtresses.
«Protéger les savoirs contre les pouvoirs»
Le respect de cette recommandation est d'une extrême difficulté. Elle requiert, pour être observée, que la «bonne distance» soit constamment recherchée. Il ne saurait en effet être question soit d'ignorer la demande des employeurs, soit de s'y soumettre, car bien évidemment, et comme l'affirmait déjà Robespierre, «malheureux les peuples qui sont éduqués par leur maître, c'est comme si on chargeait les chefs d'entreprise d'enseigner l'arithmétique à ceux qui devront vérifier leurs comptes». Toutefois, le caractère de plus en plus manifestement commercial de l'«entreprise de formation» peut parfois faire pencher la balance en faveur d'une adaptation aux préconisations de l'employeur.
Ce dernier s'estime de plus en plus fréquemment fondé à déterminer l'objet et les modalités de l'action de formation. A titre indicatif, il nous est arrivé, à plusieurs reprises, de devoir refuser de satisfaire des demandes d'employeurs - publics ou privés - souhaitant voir modifier le contenu de certaines unités de formation, afin de l'adapter au mieux aux réalités spécifiques au public accueilli et à l'organisation de leur établissement, bien qu'il s'agisse, en l'occurrence, d'une formation qualifiante ouvrant sur un diplôme d'Etat.
Actuellement ce pouvoir des employeurs est porté à son apogée avec la mise en oeuvre de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Ce dispositif pérennise la possibilité pour le salarié d'accéder au métier sans pratiquement aucune formation et concrétise l'idée - d'ailleurs tout à fait contraire au discours officiel - que la formation n'est pas nécessaire puisqu'un certain nombre d'années d'exercice professionnel, de «faisant fonction», la remplace qualitativement aisément, et financièrement très opportunément.
Si l'on peut comprendre, selon une récente déclaration d'un membre du Medef, qu'aucun chef d'entreprise ne puisse accepter de confier une machine de plusieurs millions d'euros à un salarié non formé, comment ne pas être indigné d'observer qu'aujourd'hui comme hier, dans le secteur éducatif, il est toujours imposé de travailler, donc de devoir accompagner des personnes en difficulté, avant même d'être formé ? Le respect de cette obligation est d'ailleurs le plus souvent, l'un des critères de sélection à l'entrée en formation. Cette pratique donne à penser que dans le monde actuel, on accorde beaucoup plus d'importance à une machine qu'à un être humain en difficulté... Cette absence de formation préalablement à l'entrée dans la profession impose au salarié débutant de solliciter, hormis les conseils de ses collègues, son bon sens et son histoire personnelle et sociale pour acquérir des qualités professionnelles. On imagine volontiers que l'acquisition de ces qualités expose tout particulièrement les personnes accompagnées, sachant qu'en l'occurrence il s'agit d'exercer la fonction éducative, celle dont tout le monde s'accorde à reconnaître que son exercice présente les plus grandes difficultés.
Et puis, il suffit de patienter car, quelques temps après, ce salarié non formé se trouve qualifié et diplômé par l'effet du travail répété. D'ailleurs la VAE ne serait-elle pas la formulation contemporaine de la célèbre maxime «c'est en forgeant qu'on devient forgeron» ? Cet apprentissage «sur le tas» renvoie, au plus près de nous, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. A l'époque, l'adaptation du salarié à son poste de travail était l'exclusif objectif de l'employeur, communément désigné, alors, du terme de «patron». Est-ce donc ainsi que nous devons aujourd'hui comprendre la nouvelle conception de la formation que les pouvoirs publics, évidemment au plus grand bénéfice de tous, entendent mettre en oeuvre, notamment dans le secteur médico-social ? Les éventuelles heures d'enseignement théorique, dont peut décider le jury de la VAE pour compléter la pratique, dispensées pour moderniser un processus de formation prétendument suranné, risquent malheureusement de n'y rien changer.
«Se garder d'assujettir l'instruction publique aux volontés particulières et à l'utilité immédiate... Instruire n'est ni informer, ni conformer...»
L'exercice de ce pouvoir des employeurs conduit le plus souvent, ces dernières années, à traiter essentiellement, voire exclusivement, de la question du «comment faire», et à en traiter parfois dans une trop grande ignorance de l'objet même de la mission à accomplir et éventuellement de ses caractéristiques et singularités ou encore du contexte. Aussi convient-il le plus fréquemment de travailler d'abord sur l'énoncé même de l'objet de l'action souhaitée afin qu'il soit abordé, si possible, dans toute son amplitude.
En effet, s'il est banal d'affirmer que l'action et la réflexion doivent se conjuguer, il nous semble relever de notre responsabilité de centre de formation de veiller à ce qu'il en soit vraiment ainsi.
Peut-être en contrepoint d'un certain passé, la question de la «rapidité» et de l'«utilité immédiate» de l'«action à court terme», sous différentes formes et sous différentes formulations, nous paraît actuellement très nettement dominer la demande de formation en travail social. Dominer à un point tel que la mise en place du «protocole» apparaît de plus en plus la référence absolue. Il est parfois à craindre que l'engouement scientiste n'aboutisse à tout «protocoler» là où il s'agit surtout de penser, d'expliciter, de nuancer, d'individualiser, de respecter.
Il est à déplorer que les pouvoirs publics mettent souvent en avant la notion d'«équité» qui impose de traiter d'une manière identique des situations d'une extrême diversité. L'application de cette conception de l'«équité républicaine» conduit d'ailleurs pratiquement toujours, observons-le, à réaliser des économies budgétaires.
«Considérer l'excellence comme la forme la plus haute de l'égalité»
Dès sa création, le CFE a développé une politique de promotion sociale, destinée à aider celles et ceux qui le souhaitaient à obtenir le plus haut niveau possible de qualification en travail social. La poursuite de cet objectif a conduit le centre à mettre en place une organisation et un fonctionnement adaptés au mieux aux difficultés culturelles rencontrées par certains stagiaires, afin de leur assurer un soutien et/ou un accompagnement leur permettant de satisfaire aux épreuves d'examen concluant la formation suivie.
Au-delà des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de cette option, il est à souligner l'importance et la qualité du travail effectué par nombre de stagiaires ayant eu une scolarité parsemée d'embûches et parfois même d'échecs. La majorité de ces candidats est issue de milieux sociaux défavorisés, notamment culturellement. L'espoir d'un succès, là où précédemment il y a toujours eu défaite, ou encore d'une ascension professionnelle, jusqu'alors inenvisageable, est l'un des éléments essentiels de la motivation de certains élèves, qui les conduit à produire un travail dont ils se disaient eux-mêmes incapables. La nature et l'intensité de la satisfaction ressentie est alors le plus souvent en étroit rapport avec la longueur du chemin parcouru jusqu'à l'obtention de ce diplôme préalablement considéré comme inaccessible. Cette réussite conduit fréquemment à reconsidérer sa propre représentation de soi-même, laquelle dans certains cas, a ensuite des effets très positifs dans l'exercice du métier, et induit à transmettre «sa réussite» aux enfants ou adolescents accompagnés. Sans prétendre bien évidemment en faire une règle, il n'est pas rare d'observer que l'histoire personnelle et sociale de certaines de ces personnes contribue à les doter de qualités humaines très appréciées dans l'exercice des métiers relevant du secteur sanitaire et social.
Toutefois pour accomplir ce parcours, les personnes concernées doivent être tout à fait assurées de la confiance qui leur est témoignée, de la détermination des formateurs à les aider et de la mise à disposition des moyens adaptés. Il ne saurait s'agir de les conduire vers un éventuel diplôme correspondant à leurs difficultés et à leur niveau culturel, mais bien de leur assurer que ces difficultés et ce niveau culturel ne leur interdiront pas de satisfaire aux exigences d'une formation de qualité, ni d'envisager d'atteindre une certaine forme d'excellence. »