En rouvrant le débat sur le statut juridique du foetus, la Haute Juridiction ouvre une « brèche aux dérives potentielles remettant en cause le droit à l'avortement pour l'ensemble des femmes », a aussitôt dénoncé le Mouvement français pour le planning familial (MFPF). Estimant que « la détresse de certaines femmes est ainsi instrumentalisée », le MFPF appelle à contrer « l'offensive des groupes anti-avortement », s'appuyant notamment sur une décision de la Cour européenne des droits de l'Homme de juillet 2004. Selon cette instance, « il n'est ni souhaitable, ni même possible actuellement de répondre dans l'abstrait à la question de savoir si l'enfant à naître est une «personne» » (1). Rappelons que, en vertu de l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ».
Pour d'autres, la Cour de cassation entend avant tout pousser le législateur à fixer les règles dans un texte qui aura une valeur juridique plus forte qu'une simple circulaire. C'est dans ce sens que le médiateur de la République a accueilli les trois décisions. Il a ainsi souligné la nécessité de légiférer pour « clarifier et améliorer le régime juridique des enfants nés sans vie, en donnant notamment une définition légale et objective de la viabilité », qui s'appuierait sur les seuils définis par l'OMS. Jean-Paul Delevoye préconise également, « au nom de l'équité », de reconnaître des droits identiques à tous les parents dont l'enfant est décédé avant la déclaration de naissance tout en étant viable, comme par exemple l'inscription sur le livret de famille quel que soit le statut du couple (2).
D'un point de vue strictement juridique, la position adoptée par la Cour de cassation n'a pas vocation à remettre en cause le droit à l'avortement dans la mesure où elle porte sur l'établissement d'un acte d'enfant sans vie, document qui n'accorde ni le statut de personne ni des droits au foetus, mais facilite le processus de deuil des parents en leur permettant de faire inhumer le corps, en leur offrant la possibilité de donner un prénom (mais pas un nom, ni une filiation) et en leur ouvrant certains droits sociaux. Sur ce dernier point, ces décisions sont en revanche source d'incertitude juridique. Le congé de maternité est-il susceptible d'être accordé à la suite d'une fausse-couche après seulement quelques semaines de grossesse ? Même question s'agissant du congé de paternité récemment ouvert aux pères d'un enfant mort-né à la condition de produire la copie de l'acte d'enfant sans vie et un certificat médical d'accouchement d'un enfant né mort et viable (3). Quid, également, des éventuelles demandes d'acte d'enfant sans vie présentées à la suite d'une interruption volontaire de grossesse (thérapeutique ou non) ?
La question du respect de la volonté des parents concernant le devenir du corps du foetus reste elle aussi en suspens. Actuellement seuls les foetus ayant atteint le seuil de 22 semaines peuvent faire l'objet d'une inhumation, les autres étant incinérés avec les « déchets hospitaliers ». Le député (UMP) Philippe Gosselin, rapporteur de la proposition de loi relative à la législation funéraire (4), a suggéré, lors de son examen en commission le 30 janvier dernier, d'y introduire une disposition visant à permettre l'inhumation des foetus morts après plus de 12 semaines. Une proposition contestée au sein même de la commission des lois de l'Assemblée nationale au motif que « relancer le débat sur le statut du foetus à l'occasion de cette proposition de loi [est] une mauvaise méthode, risquant [...] d'ouvrir une polémique, alors même que des consultations sont lancées pour trouver un consensus ». C'est donc la révision de la loi « bioéthique » de 2004, programmée en 2009, qui devrait offrir au législateur l'occasion de clarifier les règles et d'apaiser les craintes.
(1) Voir ASH n°2368 du 16-07-04, p. 17.
(2) Les parents non mariés d'un enfant mort-né et sans autre enfant ne peuvent inscrire cet événement sur leur livret de famille puisqu'ils n'en possèdent pas.
(4) Adoptée à l'unanimité en première lecture par le Sénat le 22 juin 2006 puis redéposée sur le bureau de l'Assemblée nationale à l'ouverture de la présente législature, cette proposition de loi porte notamment sur le statut et le devenir du corps après la mort.