Nicolas Sarkozy a dévoilé le 8 février à l'Elysée ce qu'il a retenu du plan « Espoir banlieues » préparé par la secrétaire d'Etat chargé de la politique de la ville, Fadela Amara, qui avait fait l'objet d'une certaine cacophonie au sein du gouvernement (1). Une série de mesures centrées notamment sur l'éducation, la formation et l'emploi dans les quartiers en difficulté, accueillies d'autant plus fraîchement par les acteurs de terrain que, à une exception près, le président de la République n'a pas détaillé les moyens financiers nécessaires à leur mise en oeuvre (voir ce numéro, page 49). Tour d'horizon des propositions du chef de l'Etat pour « réinventer la ville ».
Première cible de la « nouvelle politique en faveur des banlieues » présentée par Nicolas Sarkozy : les jeunes sans emploi ou sans qualification vivant dans les quartiers sensibles. Affichant l'objectif d'accompagner vers l'emploi plus de 100 000 d'entre eux dans les trois prochaines années, le chef de l'Etat a annoncé qu'il entendait notamment proposer à ces jeunes de signer, avec un organisme de placement, un « contrat d'autonomie » afin de leur apprendre « les codes nécessaires à l'insertion dans l'entreprise ». Le dispositif sera dans un premier temps expérimenté dès le mois de juin auprès de 45 000 jeunes, durant trois ans, dans une soixantaine de départements (dont l'outre-mer) comptant des quartiers particulièrement marqués par le chômage. « Si cette expérience est probante, nous pourrons la généraliser à toute la France », a indiqué le président. Seront visés tous les jeunes de moins de 26 ans sans emploi des quartiers difficiles, qu'ils soient ou non inscrits à l'ANPE ou dans une mission locale, précise-t-on à l'Elysée. Au moins un tiers des jeunes pris en charge par les opérateurs devront être sans aucune qualification. « Les meilleurs entreprises ou organismes spécialisés dans l'insertion professionnelle » seront choisis sur la base d'un appel d'offres lancé par l'Etat. Ils seront rémunérés selon les résultats obtenus et devront respecter un cahier des charges « très rigoureux ».
Le contrat d'autonomie comportera « des droits et des devoirs » pour les jeunes. L'intéressé s'engagera ainsi à suivre les actions de formation et d'insertion définies conjointement avec l'opérateur et devra respecter un certain nombre de clauses (assiduité, recherche active d'un emploi, etc.). L'opérateur s'engagera, pour sa part, à mettre en place un accompagnement individualisé du jeune et à mobiliser un ensemble de moyens en faveur de son insertion sociale et professionnelle. A l'issue de cette période de soutien intensif - « qui pourra durer quelques semaines ou quelques mois selon les cas », selon Nicolas Sarkozy - « tous les efforts seront faits » pour que le jeune soit placé dans un emploi durable, un contrat d'apprentissage ou une formation vraiment qualifiante. En outre, l'opérateur continuera de suivre l'intéressé pendant six mois.
Partant du constat que l'envie de créer une entreprise est très forte dans les quartiers en difficulté et particulièrement chez les jeunes, le président de la République a par ailleurs annoncé une « réforme de l'aide à la création d'entreprise » qui débutera dans ces quartiers, « où les structures d'accompagnement [...] sont aujourd'hui moins présentes ». « Les professionnels de la création d'entreprise vont être là encore sélectionnés », a-t-il déclaré, et ils seront chargés d'accompagner les intéressés « aussi bien avant qu'après la création de l'entreprise » et de « leur dire quelles actions de professionnalisation, quelles expertises sont nécessaires, comment avoir accès à la médiation bancaire ou à des financements privilégiés ». Objectif affiché : accompagner 20 000 créateurs d'entreprise habitant dans les quartiers sensibles sur quatre ans.
A noter : le chef de l'Etat a lancé un appel aux entreprises françaises afin qu'elles se mobilisent pour l'emploi des jeunes des quartiers. 30 grandes entreprises « ont d'ores et déjà fait connaître leur accord et sont prêtes à formaliser des objectifs concrets et chiffrés », indiquait quelques heures plus tard Christine Lagarde dans un communiqué. Elles devaient signer un « engagement national » en ce sens le 15 février, à Bercy. Il devrait porter « globalement sur plus de 7 000 emplois en 2008 », selon la ministre de l'Economie et de l'Emploi.
Autre grand axe du plan : la lutte contre l'échec scolaire dans les quartiers sensibles. Nicolas Sarkozy souhaite s'appuyer en la matière notamment sur les Ecoles de la deuxième chance, organismes de statut privé destinés aux jeunes de 18 à 26 ans qui ont décroché du système scolaire (2). Ces structures accueillent aujourd'hui 4 000 jeunes dans 24 départements. Le chef de l'Etat souhaite qu'elles soient généralisées sur tout le territoire et qu'elles se multiplient en particulier dans les quartiers les plus difficiles. « Ce sera l'une des priorités de mon quinquennat », a-t-il insisté. Objectif : 15 000 à 20 000 jeunes accueillis dans ces écoles à l'horizon 2012. Au passage, le président a souhaité qu'elles puissent accueillir des jeunes dès 16 ans.
« L'autre grande priorité, c'est que la première chance puisse être réellement saisie », a-t-il encore expliqué. Ainsi, afin d'aider les éléves qui connaissent des difficultés dans leur vie familiale ou dans leurs conditions de logement s'avérant préjudiciables à leur réussite scolaire, « au moins 4 000 nouvelles places d'internat de réussite éducative seront créées d'ici à trois ans », a promis le chef de l'Etat. Instituées par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 (3), ces structures accueillent actuellement 680 lycéens et collégiens fragilisés par leur environnement.
Par ailleurs, afin de « casser les ghettos scolaires », le président a annoncé l'expérimentation en primaire de la scolarisation d'élèves de quartiers défavorisés dans des établissements d'autres quartiers. Des transports scolaires seront mis en place sur le modèle de ce qui existe dans certains pays, connu sous le nom de « busing ». Ce système sera expérimenté pendant trois ans avec des élèves de CM1 et CM2. Concrètement, les inspecteurs d'académie identifieront les écoles primaires qui concentrent les plus grandes difficultés sociales et scolaires et proposeront aux maires des communes concernées d'expérimenter le « busing ». De plus, une aide spécifique au déplacement et à la restauration des élèves sera mise en place quand l'éloignement du domicile familial créera une nouvelle dépense pour la famille.
Enfin, Nicolas Sarkozy a annoncé la création de 30 « sites d'excellence » dans les collèges et lycées des quartiers prioritaires, afin d'y améliorer les conditions d'enseignement et d'apprentissage. Jumelés avec des établissements d'enseignement supérieur de renom ou des entreprises, « ils auront des classes d'élite regroupant les meilleurs élèves de chaque niveau et bénéficiant d'un enseignement d'excellence capable de rivaliser avec les meilleurs établissements », indique l'Elysée. Ils bénéficieront, en outre, d'un encadrement renforcé par la mise en place d'une équipe de soutien. De plus, une banque de stages sera mise en place dans chaque établissement. Parmi les 30 sites figureront au moins six lycées professionnels qui seront labellisés « lycées des métiers ».
Elle est la seule mesure du plan présenté par Nicolas Sarkozy à bénéficier clairement d'un financement exceptionnel : afin de désenclaver les quartiers sensibles et de rendre ainsi les bassins d'emploi accessibles à leurs habitants, l'Etat va se réengager pour aider les collectivités à y construire des voies de bus et des tramways et à les sécuriser, a indiqué le pensionnaire de l'Elysée, promettant une enveloppe de 500 millions d'euros, prélevés sur les financements du « Grenelle de l'environnement ».
Le chef de l'Etat a également évoqué le délicat dossier de la répartition des dotations aux collectivités locales, annonçant que le Premier ministre et la ministre de l'Intérieur conduiraient une « réflexion » sur le sujet et qu'un « projet de réforme » serait préparé d'ici à l'été pour être traduit dans la prochaine loi de finances.
Il a aussi confirmé que l'Etat s'engagera désormais systématiquement à l'égard des associations sur plusieurs années... ce qui permettra de mener avec elles « un véritable dialogue sur leurs résultats ». « Ce seront aussi des relations simplifiées », a-t-il ajouté, promettant que l'Etat réglera dorénavant les petites dépenses en 48 heures, avec un simple chéquier.
Autre mesure à retenir : Nicolas Sarkozy a demandé « aux ministres responsables des politiques touchant la vie des habitants des quartiers de [lui] présenter, chacun, un programme sur trois ans de mobilisation de leurs services sur les quartiers qui sont vraiment en difficulté ». « Chacun devra présenter des objectifs ambitieux de réduction des écarts entre ces quartiers et l'ensemble du territoire », a-t-il expliqué, ajoutant que le conseil interministériel des villes deviendra « le lieu de décision et de suivi des résultats obtenus ». Un « lieu de travail où seront examinés par les ministres des dossiers précis, quartier par quartier ».
Par ailleurs, pour matérialiser l'engagement des services publics à reprendre pied dans les quartiers en difficulté, le président a annoncé l'implantation, dans chacun d'entre eux, d'un représentant de l'Etat à temps plein, « doté d'une véritable autorité sur les services de l'Etat dans le quartier pour pouvoir leur imposer la mise en oeuvre des objectifs définis au niveau national et pouvoir les obliger à travailler ensemble ». Et ce, d'ici au 1er septembre prochain.
En matière de sécurité, le président a évoqué le déploiement de 4 000 policiers d'ici à trois ans dans les zones sensibles, ce qui est la traduction de l'annonce de Michèle Alliot-Marie de créer 200 « unités territoriales de quartier » consacrées au maintien de l'ordre. Parallèlement, les habitants seront impliqués dans la sécurité de leur propre quartier à travers le recrutement de « volontaires citoyens de la police nationale ».
Enfin, pour combler les postes de fonctionnaires qui restent vacants dans ces quartiers, Nicolas Sarkozy attend du ministre de la Fonction publique, Eric Woerth, qu'il lui propose « rapidement des solutions innovantes » pour inciter « les agents les plus expérimentés et les plus motivés » à s'y porter candidats.
(2) Les Ecoles de la deuxième chance dispensent une formation de remise à niveau dans les savoirs fondamentaux, en alternance avec des stages en entreprise, sur une durée maximale de 48 mois.