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De l'intérêt des sciences et techniques de gestion...

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Marketing, gestion de projet, évaluation, indicateurs... : certains outils de gestion peuvent être mis au service de l'action éducative, explique Pascal Grand, consultant et formateur en action sociale et médico-sociale. A condition qu'ils ne priment pas sur l'éthique, le sens et les finalités du travail social.

« Travailleurs sociaux, entrez en gestion ! Cet appel pourra sembler des plus curieux à nombre de travailleurs sociaux. C'est pourtant bien à vous que je m'adresse. Educateurs, animateurs, formateurs, votre action s'inscrit dans un contexte nouveau, que vous maîtrisez mal, et où vous manquez cruellement de l'outillage nécessaire.

La mise en oeuvre de la loi 2002-2 et le déploiement des règles issues de la loi organique relative aux lois de finances de 2001 visent un objectif commun : faire entrer l'action sociale et médico-sociale en gestion. Les pouvoirs publics ne cachent pas leur volonté de «reprise en main» du secteur. Faut-il s'y opposer, s'y résigner, faire l'autruche, laisser la direction s'en arranger ?

Et si le recours aux sciences et techniques de gestion permettait au travailleur social de réaffirmer sa légitimé et son utilité sociale pour, au final, mieux afficher une identité professionnelle renouvelée et reprendre en main son propre destin ?

A ce stade, j'ai conscience que de nombreux lecteurs sont tentés d'en rester là, persuadés d'avoir affaire à un dangereux pervers. Je plaide donc ma cause.

L'hypothèse avancée suppose quelques précisions terminologiques. La gestion ne se réduit pas aux affaires économiques et financières. Les sciences de gestion cherchent à décrire, à comprendre et à expliquer le fonctionnement des organisations. La recherche en sciences de gestion est organisée par grandes disciplines (marketing, gestion des ressources humaines, finance, stratégie, gestion de production, systèmes d'information...).

Cette précision donnée, voyons en quoi et comment certaines méthodes de gestion peuvent être utilisées au service de l'action éducative. Quelques exemples de recours au marketing social, à la gestion de projet, à l'évaluation, à la gestion par les processus ou à l'exploitation d'indicateurs socio-éducatifs viennent éclairer le propos.

L'utilisation des outils du marketing au bénéfice de l'action sociale semble encore contre-culturelle. Pourtant, un des enjeux principaux actuels pour tout établissement et service est d'affirmer un positionnement et une mission fondés sur les objectifs qu'il poursuit et les compétences qu'il met en oeuvre. Or l'affirmation de cette identité professionnelle suppose une définition précise des besoins auxquels il répond, tant d'un point de vue territorial que de celui des publics accueillis et accompagnés. Les outils d'analyse quantitative et qualitative, les études de marché, le «benchmarking» peuvent permettre de dépasser des approches souvent empiriques pour finalement mieux revendiquer à qui l'on s'adresse, sur quel territoire et à quels besoins sociaux on répond.

L'évaluation, grand défi actuel

La gestion de projet, technique en voie d'apparition en travail social, peut se révéler un puissant facteur de cohérence, de cohésion et de dynamique, tant au niveau de l'institution que dans le cadre de l'accompagnement individualisé. Elle suppose l'explicitation d'objectifs stratégiques et opérationnels, leur hiérarchisation, la définition d'actions permettant de réaliser ces objectifs, l'attribution de moyens et la mise en place de critères de suivi et d'évaluation. Elle permet également de circonscrire l'action dans le temps. La définition du projet d'établissement, la mise en place de projets individualisés s'inscrivent dans ce mouvement. Il s'agit aujourd'hui de se doter des moyens de maîtriser l'imprévisibilité, la récursivité et la temporalité de l'action sociale. La gestion de projet apporte quelques réponses adaptées.

Introduite dans le domaine de l'action sociale par la loi 2002-2, l'évaluation constitue un des grands défis d'aujourd'hui. Dès lors qu'elle mobilise véritablement les acteurs de terrain, elle fait évoluer les compétences collectives et individuelles, produit des connaissances pour nourrir la décision, renouvelle le dialogue, valorise l'action conduite, permet d'anticiper les besoins sociaux, permet d'interpeller pour contribuer à l'évolution du secteur. Sa réussite suppose quelques compétences et outils adaptés : connaissance des logiques systémiques, développement d'une culture de la «critique constructive», référentiels, programmation, formalisations...

La gestion par les processus peut s'avérer un outil précieux d'affirmation du sens et de cohérence de l'action conduite avec la personne accueillie, de définition du «qui fait quoi», de décloisonnement entre services et structures, de maîtrise des parcours d'accompagnement... Ce mode de gestion, au centre des démarches qualité de type ISO, fait appel à des outils largement développés dans l'industrie et les services. Il s'agit de repenser l'organisation à partir d'une formalisation d'un processus central partant de l'analyse des besoins de la personne accueillie à sa sortie de l'établissement ou du service. La cartographie d'un processus, son évaluation et son amélioration font appel, là encore, à des techniques particulières.

Chantier complexe

Enfin, pour terminer cette rapide illustration de méthodes de gestion possiblement utiles à l'action éducative, la construction et l'utilisation d'indicateurs socio-éducatifs par les travailleurs sociaux compteront parmi les chantiers les plus complexes d'un futur pas si lointain. «Un indicateur est une variable qui décrit un élément de situation ou une évolution. Il s'agit d'un outil d'aide à la décision, dont l'utilisation s'inscrit dans une démarche qui répond à un objectif et se situe dans un contexte donné. L'indicateur n'a d'intérêt que par les choix qu'il aide à faire dans ce cadre», indiquait en 2002 l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) (1). Cette définition délimite ce que l'on peut attendre de tels outils. Mettre en place, avec la personne accompagnée, des indicateurs de suivi, d'évaluation des potentialités ou difficultés, d'acquisitions de compétences sociales ou professionnelles peut permettre d'objectiver des situations, d'observer des parcours, de valoriser des résultats obtenus, de définir des priorités. Ces indicateurs permettent, en outre, de rendre compte aux financeurs non plus seulement à partir d'une justification des moyens attribués mais aussi des résultats de l'intervention sociale.

Ces quelques exemples cherchent à montrer la légitimé et l'utilité des sciences de gestion en action éducative. Sous une forme ou une autre, ces questions sont devenues des préoccupations pour le travailleur social. L'enjeu consiste peut-être à maîtriser cette nouvelle donne pour ne pas subir.

Un écueil considérable doit toutefois être évité. Ces méthodes et outils ne doivent jamais primer sur l'éthique, le sens et les finalités du travail social, ils doivent être à leur service. Leur généralisation en action sociale ne sera sans doute pas neutre sur l'éthique. On peut même penser qu'ils sont un moyen efficace de mieux traduire des valeurs et principes affichés en pratiques, à condition que l'entrée de ces démarches de gestion soit centrée sur la recherche de la satisfaction des besoins et des attentes de la personne accueillie.

Les retours actuels du terrain laissent paraître de larges lacunes du point de vue de la mise en oeuvre de telles techniques. Le formel l'emporte bien souvent sur le fond, la participation des travailleurs sociaux est réduite à une opération de communication ; les décisions, critères, indicateurs sont déconnectés de la réalité vécue des intervenants, les principes théoriques et le sens de ces techniques sont mal maîtrisés... Tout cela discrédite largement les démarches conduites. Or la technique (la gestion) doit servir la politique (le projet), qui elle-même s'inscrit dans un cadre éthique (les valeurs et principes). Cette hiérarchie et l'articulation de ces dimensions dans l'organisation sont incontournables. Elles sont les indicateurs de la cohérence et de la pertinence de l'action éducative. Les difficultés et incompréhensions rencontrées semblent provenir d'une difficulté «culturelle» à appréhender les logiques systémiques et à un manque de compétences. Cette évolution demande de nouvelles connaissances et d'autres apprentissages.

Une nécessaire appropriation

Dans une récente tribune libre des ASH (2), Emmanuel Granger, sociologue, affirmait : «c'est le centre de gravité du travail social qui est légèrement déplacé. Le rapport entre individu et société devient son objet manifeste et l'enjeu principal, ce qui modifie les compétences attendues.» Evoquant les incidences des mutations en cours, il concluait : «cette réforme n'est pas révolutionnaire, elle reflète les transformations de notre société. Elle ne remet pas en cause l'esprit du travail social et son éthique. Au contraire, elle les met en relief.» Pour faire face à ce défi, l'appropriation par les travailleurs sociaux des méthodes et outils de la gestion peut s'avérer une stratégie particulièrement adaptée. La gestion, au sens où nous l'entendons ici, est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls gestionnaires. Qui d'autre que les travailleurs sociaux eux-mêmes est en mesure de mobiliser les méthodes et outils de gestion au profit d'une éthique professionnelle adaptée à notre temps ? Alors, n'hésitez plus, entrez en gestion, votre âme n'en souffrira pas, peut-être même en sortira-t-elle grandie ! »

Notes

(1) Construction et utilisation des indicateurs dans le domaine de la santé, principes généraux - ANAES, mai 2002 - Les missions de l'ANAES ont été reprises en 2004 par la Haute Autorité de santé.

(2) Voir ASH n° 2524 du 28-09-07, p. 39.

TRIBUNE LIBRE

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