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Des équipes mobilisées pour aller au-devant des adolescents en souffrance

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La demande de soins des jeunes est rarement exprimée, et plus rarement encore aux jours et heures d'ouverture des consultations de psychiatrie en milieu hospitalier ou en ville. Certaines équipes vont donc à leur rencontre. En intervenant, sans différer, à l'appel de proches des intéressés, qui se font les porte-parole de leur souffrance, ces cliniciens parient sur l'effet mobilisateur de leur démarche pour conduire les jeunes à se soigner.

Violence, dépression, retrait scolaire, conduites addictives, attitudes suicidaires... Au travers de comportements bruyants ou silencieux, les adolescents ont de multiples manières de faire connaître leur mal-être. Mais ils sont plus rarement en capacité de formuler clairement un besoin de soins - qu'en revanche ils récusent explicitement souvent d'emblée. De son côté, entre dramatisation et banalisation de la « crise » adolescente, l'entourage du jeune est souvent démuni pour décrypter ses signaux de détresse. Et, quand il les repère, il lui faut trouver - rapidement - l'oreille de spécialistes qui acceptent d'entendre une demande d'aide qui leur est adressée par tiers interposé. Voire qui n'hésitent pas à sortir de leur posture clinique traditionnelle et de leurs lieux de consultation habituels pour aller porter assistance aux jeunes en souffrance.

Quelques équipes de psychiatrie publique se sont donné les moyens de développer cette accessibilité des soins - chacune avec ses modalités propres et son ingéniosité particulière. Deux dispositifs mobiles novateurs fonctionnent dans le Nord et en Ille-et-Vilaine : ce sont les seuls, actuellement, à être dédiés à la prise en charge de pré-adolescents et d'adolescents (1). Se rendre rapidement auprès d'un jeune en crise, pour éviter que sa situation ne se dégrade, voire tenter, par un repérage précoce des troubles qui se font jour, de prévenir l'installation de comportements inquiétants : tels sont les objectifs qui les animent. Renfort et relais des différentes ressources sanitaires existant dans leur rayon d'action, ces deux structures mobiles de pédopsychiatrie facilitent l'accès des adolescents en difficulté aux lieux de soins adaptés. Pour cela, chacune emprunte des chemins assez différents.

Basée à Armentières (Nord), l'équipe dirigée par Vincent Garcin, responsable du pôle de psychiatrie pour enfants et adolescents de l'Etablissement public de santé mentale de Lille-Métropole (2), couvre un vaste territoire, essentiellement urbain et suburbain. Diligentée au bénéfice des 12-18 ans, la structure ne répond qu'à l'appel de professionnels de santé : praticiens hospitaliers des services de pédiatrie ou de psychiatrie générale, où les plus de 16 ans peuvent avoir été d'emblée hospitalisés, cliniciens des centres médico-psychologiques (CMP), lorsque le délai de réponse de ces derniers s'avère inadapté à l'urgence de la situation, médecins scolaires et généralistes libéraux.

Les familles et les institutions socio-éducatives peuvent également requérir l'intervention de la structure, mais uniquement par l'intermédiaire d'un membre du corps médical. Ce choix a été fait dans un souci de garder le cap de la réactivité : soit l'engagement d'aller dans les 24 heures, sauf le samedi après-midi et le dimanche, auprès des jeunes dont la situation préoccupe l'un des partenaires. « Nous ne voulions pas être débordés par la demande, ni assaillis de sollicitations qui ne correspondent pas à ce que nous pouvons apporter », commente Thierry Antoine, cadre de santé de l'équipe.

De fait, les interventions, toujours réalisées à deux, n'ont cessé de croître depuis la création du dispositif en 2003 : de 40 cette année-là, elles ont été multipliées par dix en 2005. Environ 600 devraient être recensées en 2007, à raison d'une moyenne un peu inférieure à deux rencontres par adolescent. Trop peu pour un « accrochage thérapeutique » solide ? Vincent Garcin en est le premier - heureusement - surpris : les jeunes consentent rapidement aux soins, dès lors qu'on sait leur tendre une perche. 13 personnes s'y emploient, qui assurent l'équivalent de quatre temps plein, en plus de celui de Thierry Antoine : deux psychiatres, un assistant généraliste, un interne en psychiatrie, six infirmiers, deux psychologues et une assistante sociale. Sauf exception, le premier binôme à se porter au-devant de l'adolescent est constitué parmi les professionnels non médicaux - qui peuvent contacter en permanence un médecin référent en astreinte téléphonique.

Outre l'expertise de tous les membres du dispositif en matière de psychopathologie de l'adolescence - et l'importance d'un double regard pour évaluer les situations difficiles qui valent à l'équipe d'être interpellée -, un autre argument plaide en faveur de cette première ligne non médicale. « Plutôt qu'à un psychiatre, les adolescents préfèrent avoir affaire, par ordre décroissant, à des infirmières ou à l'assistante sociale, puis aux psychologues », souligne Vincent Garcin. Cette entrevue avec le jeune ainsi que, le cas échéant, la ou les suivantes peuvent se tenir en présence de ses parents. Cependant, quel que soit le lieu où intervient l'équipe, celle-ci a pour principe de répondre à l'inquiétude des familles, mais elle ne leur parle qu'à condition que l'adolescent l'accepte et assiste à leurs échanges.

La plupart du temps - dans 72 % des cas en 2005 -, la rencontre avec le jeune se produit à l'hôpital. Elle fait suite à une demande de services de pédiatrie, pour des adolescents souvent entrés dans l'établissement hospitalier par la porte des urgences. Pas de gyrophare, en revanche, pour annoncer la venue du tandem : « Nous répondons à un état de crise, mais pas dans l'urgence », explique Thierry Antoine. Après un passage à l'acte, notamment une tentative de suicide, « ce léger différé dans la réponse nous permet d'être plus efficaces : au bout de 24 heures, l'adolescent a déjà pu prendre un certain recul par rapport à son geste ».

Quasiment toutes les autres interventions de l'équipe se déroulent dans les centres médico-psychologiques du secteur. Même si les délais de rendez-vous de ces derniers sont nettement inférieurs à bien d'autres constatés ailleurs (3), certains jeunes ont besoin d'être plus vite reçus. L'entretien peut aussi être organisé par et chez le médecin de la famille ou au domicile de cette dernière en présence du praticien. Jusqu'à ce jour cependant, les consultations dans l'un de ces deux cadres restent très rares : selon le décompte exhaustif portant sur 2005, quatre des 422 interventions effectuées l'ont été chez le médecin traitant et trois au domicile de jeunes refusant d'en sortir. Pourquoi si peu de rencontres dans le lieu de vie des adolescents ? « Probablement est-ce un signe du bon fonctionnement de ce dispositif, dont le projet a été élaboré avec les généralistes - à qui nous en rappelons, d'ailleurs, régulièrement l'existence », avance Vincent Garcin. « De savoir que nous pouvons intervenir dès le lendemain, à leur cabinet ou au centre médico-psychologique, permet sans doute aux médecins de s'autoriser davantage à anticiper sur les situations problématiques. » Le spécialiste pense qu'ainsi de nombreux adolescents n'ont pas à consulter tardivement, c'est-à-dire pas forcément, non plus, en urgence. Et si, le jour venu, le jeune ne se présente pas au rendez-vous - classique ou accéléré - pris au centre de santé mentale, « c'est nous qui recontactons le généraliste, pour qu'il réinterpelle le jeune dont on est sans nouvelles », précise le pédopsychiatre.

Des liens ont également été noués avec d'autres membres de l'entourage des adolescents, appelés à renforcer leur vigilance et étayés pour ce faire. Une convention, rédigée avec le service médical de l'inspection académique, établit un partenariat avec les 35 collèges et lycées du secteur et un travail du même type a été engagé avec une dizaine d'établissements socio-éducatifs (maisons d'enfants à caractère social et instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques). En vertu de ces collaborations, tout adolescent, accompagné de l'infirmière scolaire ou de son référent dans l'institution, est reçu sans délai dans l'un des trois CMP du service dirigé par Vincent Garcin. Les professionnels, qui ont à faire face à des situations difficiles, y gagnent en sérénité. D'autant plus qu'eux-mêmes peuvent se voir apporter le soutien d'intervenants de la structure mobile - alors différents de ceux qui rencontrent le jeune. Apparemment, les magistrats sont également tranquillisés par ce modus operandi. « Les juges des enfants nous adressent aujourd'hui les rares responsables de foyers qui leur demandent encore une ordonnance de placement provisoire destinée à hospitaliser un jeune sous contrainte, se félicite Vincent Garcin. Ils savent que, dans la quasi-totalité des cas, le résultat du travail conduit avec les adolescents débouche sur leur engagement libre dans le suivi que nous leur proposons, en ambulatoire ou pas. »

Un mobil-home aménagé

Ni dans un lieu de soin, étiqueté psy ou pas (hôpital, CMP, cabinet du généraliste), ni forcément au sein du foyer familial : c'est en terrain neutre que les parents et les enfants, à partir de l'âge de 10 ans, peuvent rencontrer l'équipe de Sylvie Tordjman, professeure en pédopsychiatrie, chef du service hospitalo-universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de Rennes. Celle-ci se déplace à l'intérieur de son outil de travail : un mobil-home aménagé en bureau de consultation qui, du lundi au vendredi, depuis début 2006, sillonne les départementales rurales du secteur de Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine). Ni logo, ni inscriptions ne signalent à la curiosité l'utilitaire bleu pâle qui croise au sud de la capitale de la région bretonne (4) A son bord, protégé des regards par des stores blancs, une salle d'attente, un espace d'entretiens suffisamment grand pour accueillir sept personnes et des toilettes. Confort pour les deux co-équipiers qui, ce jour-là, sont à la manoeuvre : la latitude qu'ont les familles d'ouvrir, ou pas, leur porte aux soignants évite à ces derniers de se sentir intrusifs. Et, bien évidemment, confort aussi pour les habitants du lieu qui restent maîtres du jeu.

La plupart des jeunes rencontrés se trouvent « dans une non-demande, réelle ou apparente », mais c'est également très souvent vrai de familles en situation de précarité sociale et/ou psychique, explique Sylvie Tordjman. Aussi, les premiers à s'inquiéter se révèlent fréquemment être d'autres proches de l'enfant ou de l'adolescent : soit un médecin, même si le passage par la case sanitaire n'est pas une condition sine qua non de l'intervention ; soit un professionnel de la protection judiciaire de la jeunesse, avec laquelle la structure entretient des liens étroits ; soit, comme c'est majoritairement le cas, un enseignant ou un autre membre de la communauté scolaire des établissements publics et privés du secteur (écoles primaires, collèges, lycées). Placés aux avant-postes, ces médiateurs ont un rôle essentiel de repérage des situations potentiellement préoccupantes et de mise en relation des soignants avec le jeune et ses parents : ils leur conseillent d'appeler l'équipe, puis, si cette suggestion reste lettre morte, ils leur demandent l'autorisation de communiquer leur numéro de téléphone aux soignants.

Au terme de cette prise de contact téléphonique - souvent longue -, il revient à la famille de décider du lieu de rendez-vous : bureau mobile garé devant chez elle, un peu plus loin, ou à proximité de l'école de l'enfant, rencontre à son domicile, dans l'établissement scolaire du jeune, ou bien encore au cabinet du généraliste ou dans l'un des cinq CMP du service. Certains entretiens avec les parents peuvent d'ailleurs se dérouler chez eux, cependant que l'adolescent se réserve l'usage du camping-car. Chaque fois, le lieu de la prochaine entrevue est rediscuté avec les protagonistes, et il évolue souvent au fil des interventions - dont le maximum est de dix. La première d'entre elles peut se déclencher dans les 48 heures qui suivent le contact télépho-nique initial avec la famille. Voire tout de suite après celui-ci. Ainsi, récemment alertée par le principal d'un collège, l'équipe a reçu sur-le-champ au CMP un jeune de 13 ans qui avait brandi un couteau dans son établissement. Mais vitesse ne signifie pas précipitation : c'est escorté de sa maman, immédiatement prévenue, que le collégien s'était rendu à la consultation. D'autres situations relèvent d'une moins grande urgence, ce qui ne signifie pas forcément qu'il s'agit de jeunes en moindre difficulté, fait observer Sylvie Tordjman. Mais les adolescents dont la pathologie est plus silencieuse ne déclenchent pas toujours une réaction rapide de leur entourage.

150 jeunes de 10 à 18 ans ont été rencontrés par l'équipe lors de la première année de fonctionnement du dispositif, qui poursuit sa montée en charge. Tous, bien sûr, n'ayant pas les mêmes besoins, ne susciteront pas le même nombre d'interventions. Trois ou quatre sont souvent suffisantes pour déjouer les difficultés du groupe familial et, éventuellement, actionner les relais socio-éducatifs à même de l'aider - cependant que la structure reste à la disposition de la famille et se tient informée de l'évolution de sa situation, explique Sylvie Tordjman. Lorsqu'en revanche, « nous sommes plus dans une mission d'accès aux soins que de prévention, dix interventions s'avèrent fréquemment nécessaires pour mettre en place un suivi adapté des jeunes ».

Echelonnées dans le temps à un rythme variable, les différentes consultations ne réunissent pas toujours l'ensemble de la famille. Mais « on proposera, systématique-ment, à un moment donné, de rencontrer le jeune en présence de ses parents : à cette période charnière où les adolescents sont en train de s'autonomiser, il est indispensable d'appréhender la dynamique familiale », souligne la pédopschychiatre. Outre trois internes en psychiatrie, son équipe compte 12 membres permanents, tous formés à la thérapie familiale - qui assurent, grosso modo, l'équivalent de sept temps plein : deux pédopsychiatres, deux psychologues cliniciens, un assistant de recherche en thèse de psychologie sociale, un cadre de santé, une secrétaire médicale, deux travailleurs sociaux, une infirmière spécialisée dans l'observation du nourrisson et un infirmier ayant exercé à la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse (5). Propice au métissage des regards, cette pluridisciplinarité donne lieu à une succession de pas de deux soigneusement orchestrée.

Si toutes les équipées sont en effet réalisées à deux - dont toujours un médecin lors de la première d'entre elles -, ces binômes tournent au fil des expéditions. Seul l'un des deux professionnels ayant participé à la précédente rencontre revient à la suivante, l'autre laisse place à un nouvel entrant. Celui-ci n'est pas choisi en fonction des commodités de l'organisation du travail, mais parce que l'abord qu'il peut avoir de la problématique semble alors mieux approprié. « Généra-lement, d'ailleurs, nous n'intervenons pas simultanément, pour que l'approche socio-éducative puisse s'affiner progressivement », précisent Catherine Pérot et Servane Corlay, l'assistante sociale et l'éducatrice spécialisée de l'équipe.

Obligeant les professionnels à réfléchir ensemble, « cette façon de travailler permet aussi d'avoir accès à des facettes diversifiées du jeune : il ne se présentera pas sous le même jour à tous ses interlocuteurs, cependant que nous-mêmes pouvons mobiliser et renvoyer à cet adolescent et à ses parents, des représentations également différentes de la situation », explique Sylvie Tordjman. Partant, c'est la famille qui reste seule détentrice du lien de continuité, comme elle l'est des clés de son histoire. Elle ne se voit pas imposer leurs hypothèses thérapeutiques par des soignants, qui débarqueraient auprès d'elle dans une position de savoir, souligne la pédopsychiatre. Profil bas, donc, mais haute ambition : en allant vers le jeune et sa famille, la spécialiste estime possible d'initier un mouvement de cet adolescent vers les autres. Autrement dit, résume-t-elle, le message véhiculé à l'intéressé par l'acte de se déplacer jusqu'à lui n'est pas : « tu es demandeur, mais tu ne le sais pas encore - ce qui reviendrait à penser à sa place. Mais plutôt : c'est nous qui sommes demandeurs parce que tu ne vas pas bien. C'est notre fonction de soignants de ne pas te laisser comme ça, et tu vaux la peine qu'on vienne vers toi. » Ce message, apparemment, est reçu cinq sur cinq : aussi réticent soit-il au départ, il n'est encore jamais arrivé qu'un jeune ne finisse pas par accepter de voir l'équipe.

Un parcours d'obstacles

Dans le rapport qu'elle a remis en novembre aux pouvoirs publics (6), la défenseure des enfants multiplie les constats témoignant que l'accès aux soins des jeunes en souffrance psychique tient du « parcours d'obstacles ». Et Dominique Versini de relater une situation n'ayant « malheureusement rien d'exceptionnel ». Celle d'un adolescent qui habite une grande ville, dont le service hospitalo-universitaire de pédopsychiatrie comprend une unité de 16 lits. Fermée le week-end pour des raisons budgétaires, celle-ci doit répondre aux besoins d'hospitalisation de trois départements. Aussi faut-il patienter plusieurs mois avant d'y être admis. Le jeune, lui, est déscolarisé depuis plus de deux mois : suicidaire, il vit claquemuré dans sa chambre. Lorsque sa mère se tourne vers des psychiatres libéraux, elle se voit signifier une fin de non-recevoir : certains « ne sont pas des spécialistes de cette pathologie ou de cette tranche d'âge », d'autres n'ont pas de rendez-vous libre avant deux mois. Résultat : aucune structure ne peut proposer au jeune « une prise en charge dans des délais raisonnables ». Sauf « s'il passe à l'acte, ce qui déclenchera une hospitalisation... »

Des services tout public à l'écoute des familles

Sans bénéficier exclusivement à ce public, d'autres services ont une proportion notable de jeunes parmi leurs patients. C'est le cas du centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA) de l'hôpital Sainte-Anne, à Paris, et de l'équipe rapide d'intervention de crise (ERIC), dans les Yvelines.

Pionnier du travail « ambulatoire » dans la cité, où ce sont les psys qui se déplacent, le service ERIC, initié par le docteur Serge Kannas en 1994, est une grosse structure mobile d'urgence psychiatrique (7). Disponible 24 heures sur 24, 365 jours par an, celle-ci est basée à l'hôpital Charcot (Plaisir) et compte quatre psychiatres (en équivalent temps plein), trois psychologues, 17 infirmiers, un cadre de santé et une secrétaire. Etat d'excitation ou de très grande angoisse, bouffée délirante, troubles du comportement, menaces suicidaires, violences intrafamiliales..., le service traite quelque 1 200 situations par an, dont environ 20 % concernent des adolescents. L'équipe répond à l'appel des professionnels de santé et du social, des pompiers, de la police et du SAMU-Centre 15 des Yvelines. Ce dernier régule les demandes du grand public à qui le numéro de téléphone de l'équipe n'est - en principe - pas communiqué. S'il s'agit d'une urgence émanant de personnes qui vivent dans les secteurs de psychiatrie du sud du département couverts par le service, ces usagers sont automatiquement renvoyés sur lui par le 15.

Quel que soit l'appelant, ce contact téléphonique est l'occasion d'une première évaluation. Elle aboutit le plus souvent à une intervention immédiate des soignants - toujours réalisée en binôme. Mais la venue de l'équipe au domicile des familles peut aussi être préparée, avec elles, par une rencontre sur l'intersecteur, qui leur est proposée sans différer. Dans un cas comme dans l'autre, « quand on se rend compte qu'il y a une problématique psychotique ou dépressive majeure », explique Frédéric Mauriac, l'un des psychiatres de l'équipe, « on va voir le jeune. Quitte à parler à sa porte s'il reste dans sa chambre et ne veut pas nous recevoir. L'important est de lui envoyer un message fort : lui montrer que ses parents ne sont pas seuls à s'inquiéter, puisque deux professionnels sont là, qui se font aussi du souci pour lui. » Et lesdits professionnels ne lâcheront pas.

L'une des spécificités d'ERIC est en effet de proposer un soutien intensif aux protagonistes, qui ne se limite pas au temps de l'urgence : sa durée peut aller jusqu'à un mois. A raison de nombreux entretiens téléphoniques et de fréquentes visites (une ou deux par jour), qui visent à éviter une hospitalisation - ou à la préparer dans de bonnes conditions -, cette période est mise à profit pour évaluer les ressources du système familial, aider les parents à (re)trouver une parole commune face à leur enfant et enclencher, avec eux, les relais nécessaires à une prise en charge adaptée de l'intéressé. Ne pas confondre les rôles mais partager la réflexion pour chercher, ensemble, une solution : le même travail d'alliance et de mise en synergie des compétences de chacun est conduit avec les équipes socio-éducatives qui font appel à ERIC. Il ne s'agit pas, là non plus, de porter la situation à leur place ni de faire une thérapie de l'adolescent.

« Le but est de créer un contexte tel que celui-ci accepte de se faire aider. Or la crise est peut-être le moment le plus important pour lui permettre de se mettre en mouvement », souligne Frédéric Mauriac.

Répondre à l'inquiétude des proches

Contrairement aux idées reçues, les jeunes ne sont d'ailleurs pas du tout hostiles à la psychiatrie, fait observer Marie-Jeanne Guedj, responsable du Centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA), l'important service intersectoriel d'urgences de l'hôpital Sainte-Anne, à Paris (8). Mais si on dit : tant que l'intéressé n'est pas là, on ne fait rien, « c'est qu'on n'a rien compris - même pas la clinique de la non-demande », estime la psychiatre, qui prône « un interventionnisme raisonné et non neutre » pour venir en aide aux adolescents en difficulté. A cet effet, elle propose, depuis 2003, une consultation d'urgence pour les familles sans le patient (quel que soit l'âge de ce dernier). L'urgence, c'est l'urgence de répondre à l'inquiétude pressante des proches. Pas l'urgence réglée par les pompiers. « La personne qui est au bord de la fenêtre et dit qu'elle va sauter, nous ne savons pas faire », précise la psychiatre. En revanche, à minuit comme le 15 août, toute famille qui se présente au CPOA en demandant à consulter pour un membre de son entourage est reçue sur-le-champ. Ou se voit fixer un rendez-vous au plus tard le lendemain si elle a commencé par téléphoner au centre.

Environ 200 familles soucieuses pour un adolescent sont accueillies chaque année dans ce cadre. Au fil de trois ou quatre jours, elles y ont plusieurs autres entretiens qui permettent d'approfondir la situation et contribuent aussi à modifier l'abord du jeune par son entourage. Plus de neuf fois sur dix, celui-ci vient alors consulter dans la foulée. Eventuellement furieux qu'on parle de lui derrière son dos, souvent intrigué par la lettre illisible que la spécialiste lui a fait parvenir et, en général, « finalement très content de savoir que ses parents se sont déplacés et s'inquiètent pour lui », note Marie-Jeanne Guedj. Restent les cas de jeunes qui vivent complètement reclus chez eux : ils n'en sortiront à aucun prix. Pour rompre ce huis clos, les spécialistes du centre peuvent proposer aux parents d'aller voir leur enfant. Il ne s'agit pas d'une hospitalisation à domicile, mais d'entrer en contact avec l'adolescent afin d'évaluer ses besoins de soins.

Cette visite ne se réalise qu'avec l'accord formel de la famille - et en sa présence. Elle mobilise quatre professionnels : un praticien hospitalier, un cadre de santé et deux infirmiers. Ceux-ci peuvent ainsi se scinder en deux duos d'interlocuteurs quand, du fait des tensions en jeu, un entretien groupé avec le jeune et ses parents n'est pas envisageable. Généralement, il y aura, tout au plus, trois ou quatre visites à domicile. La plupart du temps, leur issue est positive : l'adolescent accepte d'être suivi, ou ses parents sont d'accord pour l'hospitaliser sous contrainte. Mais, parfois, ces derniers trouvent que leur enfant va beaucoup mieux : il ne reste plus dans sa chambre, il va dans le salon... Les psys ne l'entendent pas toujours de cette oreille. Ils ont dû, l'hiver dernier, signaler une situation au juge des enfants.

C. H.

Notes

(1) Deux journées de rencontre sur l'intervention en équipes mobiles auprès d'adolescents sont organisées les 27 et 28 mars prochain à Lille, à l'initiative du Dr Vincent Garcin - Rens. et inscriptions sur www.psy-enfant-ado.com.

(2) Dispositif équipe mobile - EPSM Lille-Métropole - Centre Robert-Vullien : 88, rue des Murets - BP 10 - 59487 Armentières cedex - Tél. 03 20 10 23 72.

(3) Le délai moyen du premier rendez-vous est de 19 jours, et plus de 75 % des jeunes, en 2005, ont été reçus en moins de 30 jours.

(4) Service du Pr Sylvie Tordjman : 154, rue de Châtillon - 35200 Rennes - Tél. 02 23 31 21 67.

(5) A ces intervenants, s'ajoutent une psychanalyste avec laquelle ils ont, tous les 15 jours, une séance de supervision, ainsi qu'une psychologue et une praticienne hospitalière, toutes deux à mi-temps, qui sont chargées de vérifier la bonne marche du dispositif : à échéance de un, trois et six mois, puis un an après la fin de l'intervention de l'équipe, elles recontactent d'une part la famille, d'autre part le médiateur qui s'était préoccupé de sa situation.

(6) Adolescents en souffrance : plaidoyer pour une véritable prise en charge - Voir ASH n° 2532 du 23-11-07, p. 7.

(7) Service ERIC - Hôpital Charcot : 30, avenue Marc-Laurent - BP 20 - 78375 Plaisir cedex - Tél. (pour les professionnels) 01 30 81 87 87.

(8) CPOA - Hôpital Sainte-Anne : 1, rue Cabanis - 75014 Paris - Tél. 01 45 65 81 09 ou 01 45 65 83 70 (uniquement pendant la journée).

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