« Ce n'est plus tellement une question politique, mais une contestation du projet de société que l'on nous propose. Pour la première fois, on veut enfermer des personnes non pas pour leurs actes mais pour ce qu'elles sont et ce qu'elles pourraient faire. » C'est ainsi qu'Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), résume ce qui a incité avant tout une centaine d'organisations, et plus de 10 000 personnes, à signer l'appel contre le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à l'irresponsabilité pénale, lancé le 7 janvier (1) par le SM, le Snepap (Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire)-FSU et le Genepi (Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérés) (2). Adopté le 9 janvier à l'Assemblée nationale, le texte, sur lequel l'urgence a été déclarée, poursuivait son examen au Sénat le 30 janvier. L'occasion, pour tous les signataires de l'appel, de redonner de la voix pour sensibiliser les parlementaires. D'autant que le délai est court, le texte pouvant, en cas d'accord entre les deux chambres, être définitivement adopté le 6 février.
Les amendements apportés par les députés n'ont pas franchement rassuré les détracteurs du projet de loi : la rétention de sûreté dans un centre socio-médico-judiciaire à l'issue de la peine, initialement conçue pour les condamnés jugés encore dangereux ayant commis un crime à caractère pédophile, est désormais étendue « aux personnes condamnées à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime majeure, d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé ou d'enlèvement ou de séquestration aggravés ». La commission des lois du Sénat, elle, a refusé de s'affranchir du « principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère » et a proposé d'introduire en contrepartie deux nouvelles obligations réservées aux individus les plus dangereux : « l'assignation à domicile » sous le régime de la surveillance électronique et la mesure de « déplacement surveillé ». Elle a en outre introduit l'interdiction, pour une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité, de bénéficier d'une libération conditionnelle sans l'avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
En instaurant un enfermement à caractère préventif pour une durée non limitée, le projet de loi contrevient selon les organisations à plusieurs principes de droit, dont ceux de la légalité des délits et des peines et de la responsabilité pénale. Il viole également, souligne notamment Act Up, le secret médical en permettant à l'administration pénitentiaire d'accéder au dossier médical des détenus. « Le principe constitutionnel veut que seul le juge peut porter atteinte à la liberté individuelle en application du droit, ajoute Jean-Yves Le Borgne, président de l'Association des avocats pénalistes. Or on veut créer une sorte de «commission bidule» qui décidera de l'inopportunité de la présence en liberté de certains individus. On parle de 20 à 30 criminels concernés. Mais a-t-on besoin d'une quelconque nouvelle loi pour les mettre à l'abri ? »
C'est aussi en ces termes que le débat se pose : pour certains, dérive politique d'un texte « dicté par l'émotion », le projet de loi servirait également de cache-misère à l'indigence de la psychiatrie. Ne fallait-il pas mieux renforcer ses moyens, ainsi que ceux consacrés à la lutte contre la récidive pendant l'incarcération ? La rétention de sûreté risque pour les personnels pénitentiaires d'avoir en outre la grave conséquence d'hypothéquer tout projet de réinsertion : « Elle va créer une incertitude sur la sortie, qui va entraîner une tension, un désespoir contre-productifs pour une quelconque réinsertion sociale, explique Sophie Desbruyères, secrétaire nationale du Snepap-FSU. Avec ce projet de loi, on abandonne l'idée que l'on pouvait donner du sens à la peine. »
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