Non seulement la loi sur le droit au loge-ment opposable (DALO) du 5 mars 2007 pourrait rester un leurre sans construction massive de logements sociaux, mais elle risque de renforcer les inégalités sociales et spatiales déjà à l'oeuvre. Dans son rapport annuel 2008 (1), rendu public le 1er février, la Fondation Abbé-Pierre pointe les dangers d'une politique du logement qui, malgré les réformes intervenues en 2007, ne répond toujours pas aux besoins sociaux.
« Il y a une nouvelle ligne de fracture qui s'opère et s'accroît à chaque mobilité entre les ménages qui peuvent choisir leur logement et ceux qui ne peuvent pas, constate Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Cette nouvelle source d'inégalité est insuffisamment prise en compte. »
Moins de 24 % de l'ensemble des logements produits en 2006 étaient destinés à des personnes relevant des plafonds du logement véritablement social (PLUS), soit environ 70 % des ménages. Malgré la poursuite de la redynamisation de l'offre, la tendance ne s'arrange pas : « Si, en 2007, la construction devrait se maintenir à un niveau élevé avec la mise en chantier de plus de 430 000 logements, il n'y a jamais eu si peu de logements nouveaux destinés à des ménages modestes ! » La part des logements attribués sous conditions de ressources est passée à 42 % des mises en chantier en 2007, contre plus de 65 % en 2000. Pendant ce temps, le nombre d'opérations destinées à des ménages qui peuvent se loger sans aide a plus que doublé. Seulement 6 % des logements mis en chantier en 2006 étaient accessibles à des ménages relevant des plafonds PLAI (logements très sociaux), alors que ces derniers représentent un tiers des ménages. Ce chiffre semble à la hausse pour 2007, mais principalement en raison de PLAI construits en logements collectifs. Au total, 39 300 PLAI et PLUS ont été mis en chantier en 2007, soit 8 % des logements commencés.
Conséquence de ce décalage entre l'offre et la demande : les ménages modestes, qui vivent un « véritable parcours du combattant » pour se loger, sont contraints à ce que Patrick Doutreligne nomme « une double peine » : un accroissement de leur taux d'effort, en plus d'une réduction de leurs exigences pour la qualité de leur logement. La « spécialisation sociale des zones urbaines sensibles », où les logements sociaux représentent plus de 60 % du parc immobilier, s'en trouve accentuée. Et la fragilisation des familles apparaît avec encore plus d'acuité dans ces quartiers « où se joue l'avenir du logement social, sa capacité à demeurer une «machine à insérer» ou finalement à devenir un «parking social»». Sur ce point, « il est faux de dire que l'on a plus investi sur les zones urbaines sensibles ces 30 dernières années, estime Patrick Doutreligne. Certes, il y a davantage d'argent, mais pas à niveau des besoins : par rapport au nombre d'habitants, les fonds consacrés à l'école, à la voirie, à l'accès aux transports sont toujours en dessous de ceux consentis en centre-ville. »
La mobilisation du seul contingent préfectoral pour appliquer la loi DALO apparaît dans ce contexte comme une « arme à double tranchant », qui pourrait aggraver la paupérisation du peuplement de certains territoires. Le contingent permet en outre chaque année 700 attributions, alors que plus de 20 000 ménages peuvent désormais déposer un recours amiable en commission de médiation ! L'opposabilité du droit au logement risque donc, faute d'un élargissement de l'offre, de demeurer incantatoire.
Deuxième réserve à propos de la loi : le danger est grand d'assister à la « transformation progressive des structures d'hébergement en «logement pour les pauvres» ». La restructuration du dispositif induite par le plan d'action renforcé pour les sans-abri (PARSA), qui repose notamment sur la création de places d'hébergement de stabilisation, intervient alors que « la sortie par le haut » n'est plus garantie. « Tout se passe comme si, faute de pouvoir assumer cette ambition, les politiques en direction du secteur de l'hébergement multipliaient les formules de première ligne », s'inquiète le rapport.
Si, commente Christophe Robert, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre, la loi DALO est une avancée indéniable, « toutes les mesures prises ne sont pas à la hauteur du constat pour inverser la crise ». En d'autres termes, on ne peut parler de politique de rupture en matière de logement. La fondation le répète : « le droit au logement ne sera effectif qu'à condition que le déficit de logements estimé aujourd'hui à 800 000 soit résorbé et qu'entre-temps l'équilibre entre le type de logements produits et la demande sociale soit rétabli », le besoin en logements à vocation sociale étant estimé à 500 000. « Le gouvernement mise sur la relance, la confiance, ce qui sous-tend la logique de l'accession à la propriété. Mais si on ne sort pas ces logements de terre, il n'y aura pas de miracle », prévient Patrick Doutreligne. D'où le premier « pilier » des propositions de la fondation (dont certaines reprennent celles de son rapport précédent ou les 13 mesures demandées au gouvernement par les associations) : produire et « capter » des logements à loyers accessibles.
Outre l'augmentation de la construction sociale, le parc privé devrait être mobilisé, afin de capter 5 % de ses mises en location (soit 100 000 logements). L'Etat et les collectivités locales paieraient alors le différentiel entre le coût du marché et le coût supporté par les ménages, à l'image d'une expérience dans le Grand Londres. Tous les réservataires de logements sociaux devraient contribuer au logement des ménages reconnus prioritaires par les commissions de médiation, ajoute la fondation.
Deuxième « pilier » : « intégrer la dimension territoriale de l'habitat dans un esprit d'équilibre et de justice sociale ». Il faudrait pour cela renforcer la loi SRU, mais aussi élargir la taxe sur la vacance à toutes les communes comprises dans une agglomération de plus de 50 000 habitants et veiller à ce que les opérations de renouvellement urbain ne se traduisent pas par une réduction de l'offre de logements à loyer accessible (le nombre de démolitions soldées en 2006 atteint 4 558, contre 268 constructions).
La fondation souhaite en troisième lieu « permettre au secteur de l'hébergement de jouer pleinement son rôle », notamment par la création des nouvelles places nécessaires à l'application de la loi DALO et le maintien d'un nombre de places suffisant pour un accueil immédiat.
L'ensemble des mesures nécessaires ne pouvant être pris sans effort budgétaire de l'Etat et des collectivités locales, elle demande que l'engagement financier de la collectivité publique dépasse 2 % du PIB, contre 1,78 % aujourd'hui. La construction de logements économiquement accessibles devrait, réclame-t-elle, atteindre 50 % de la production annuelle. « Une fois tous les constats mis bout à bout, on observe que le logement social est pour le ménage moyen la seule solution possible pour se loger de façon convenable et protégée », ajoute Patrick Doutreligne. Toutefois, alors que l'insuffisance de la production, le poids des démolitions et la diminution de la mobilité tendent à rétrécir cette porte d'entrée, le logement social subit plusieurs menaces, notamment dans son financement, par la réforme du livret A. « Il ne s'agit pas d'avoir une lecture dogmatique et corporatiste du système, mais simplement une lecture sociologique » qui, elle, est sans appel, conclut le délégué général de la fondation.
(1) L'état du mal-logement en France - Rapport annuel 2008 - Fondation Abbé-Pierre : 3/5, rue de Romainville - 75019 Paris - Tél. 01 55 56 37 00 - Disponible sur