« Pas touche au Livret A ! » C'est le slogan de la campagne de sensibilisation lancée le 31 janvier par un collectif du même nom (1), composé de l'Intersyndicale du secteur semi-public économique et financier, de la Fédération CGT-Finances, de la FSU, et de plusieurs associations comme la Confédération nationale du logement, le DAL, AC ! et le Réseau d'alerte sur les inégalités. Le thème de cette mobilisation collective, qui rejoint celle de l'Union sociale pour l'habitat, de la Caisse d'Epargne et d'autres organisations comme l'Uniopss ? Les menaces qui pèsent sur le financement du logement social, bien sûr, mais pas seulement. Car, comme le souligne le compte rendu de l'audition des responsables de La Banque postale, le 16 janvier devant la commission des finances de l'Assemblée nationale : « Quand on évoque la banalisation de la distribution du Livret A, le logement social est la première préoccupation des élus, qui ont tendance à sous-estimer la question de l'accessibilité du réseau bancaire à certaines catégories. »
Le Premier ministre, suivant en cela une préconisation du rapport Camdessus, a annoncé le 17 décembre que la distribution du Livret A - aujourd'hui réservée à La Banque postale et aux Caisses d'Epargne - serait bientôt étendue à toutes les banques (2), à un coût moindre pour les finances publiques car le commissionnement des réseaux serait réduit. Cette réforme devrait intervenir au premier semestre 2008 dans le cadre d'une loi de modernisation de l'économie. Mais c'est oublier qu'en plus d'être un produit financier, le Livret A remplit une mission de service public reconnue par Bruxelles : participer à la lutte contre l'exclusion bancaire. Compte courant, gratuit, ouvert sans condition de ressources, il assure une fonction importante de retrait et de dépôt au guichet à partir de 1,50 € pour les personnes en difficulté financière. Selon le rapport d'audition de la commission des finances, la moitié des minima sociaux est versée sur ce livret. Par dérogation à la loi bancaire, La Banque postale, comme d'ailleurs la Caisse d'Epargne, autorise l'ouverture d'un Livret A aux personnes disposant d'un titre de séjour provisoire - demandeurs d'asile ou étrangers en instance de régularisation. « Sur 21 millions de Livrets A à La Poste, 12 millions ont un encours inférieur à 150 € », relève Nicolas Galepides, administrateur SUD-PTT (3) du groupe La Poste. Près de 1,5 million de ces petits épargnants utiliseraient le Livret A comme un compte courant.
Seul problème : cette mission d'accessibilité, dont le coût est estimé à 428 millions d'euros, est financée par les commissions sur encours. Et si les petits comptes représentent la moitié des opérations, ils totalisent seulement 0,7 % des encours. Cette mission est donc financée grâce aux bénéfices tirés de la commission sur les encours des livrets les mieux remplis. Le rapport de la commission d'audition du 16 janvier est sans ambiguïté : avec la banalisation du Livret A, « la péréquation naturelle actuelle entre les gros et les petits clients est appelée à disparaître en raison de la fuite des gros clients vers les organismes bancaires, sans que l'on dispose pour autant d'un projet de substitution au Livret A pour financer cette accessibilité ».
Outre la fragilisation du système de solidarité, d'autres propositions du rapport Camdessus pourraient dénaturer la mission du Livret A : le relèvement du seuil de retrait de 1,50 € à 10 € , la fin des opérations numéraires et du versement des prestations publiques sur les comptes. « Cette mesure drastique signerait la fin du Livret A comme outil de bancarisation, souligne Nicolas Galepides. Monsieur Camdessus ne sait-il pas que des personnes vivent avec 4 € par jour ? 200 000 détenteurs de Livret A font plus de deux retraits au guichet par mois. Il y a ceux qui ont tout retiré au distributeur et souhaitent prendre les quelques euros qui leur restent, et ceux qui ne disposent pas de carte de retrait, comme les étrangers sans titre de séjour et les gens du voyage, qui retirent régulièrement de petites sommes au guichet. » Si les propositions de Michel Camdessus étaient reprises par le gouvernement, le Livret A ne pourrait plus servir de « porte-monnaie » pour les personnes en situation de précarité. « Sans compter que ce sont des publics à qui, au guichet, il est important de parler, ajoute Nicolas Galepides. Sait-on par ailleurs que les tiroirs de certains bureaux de poste sont remplis de papiers de sans-domicile qui ne sont pas en mesure de les conserver eux-mêmes ? Quelle banque accepterait de faire ça ? On parle de proposer le Livret A à tous les réseaux bancaires, mais pas tout ce qu'il est aujourd'hui. »
Reste que le droit actuel au compte bancaire n'est pas assez satisfaisant pour se substituer à cette mission d'accessibilité. Seules 30 000 personnes y auraient eu recours en 2006. « Il faut que le Parlement ait le courage de voter un véritable service universel bancaire », demande Nicolas Galepides, La Banque postale ne pouvant non plus être estampillée comme la « banque des pauvres ». Le projet de loi comprenant la réforme du Livret A pourrait être déposé au Conseil d'Etat au mois de février. En attendant, le collectif « Pas touche au Livret A ! » va faire circuler une pétition à l'attention du président de la République.
(1) Contact :
(3) SUD-PTT est membre du collectif « Pas touche au Livret A ! ».