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L'animateur social, un travailleur social décalé ?

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Avec la construction d'une filière de diplômes de l'animation sociale, l'animateur entre de plain-pied dans le champ de l'action sociale. Sa place reste néanmoins très spécifique. Porteur d'une culture de la citoyenneté issue de l'éducation populaire, il vient compléter l'action des travailleurs sociaux historiques en effectuant un pas de côté.

Près de 60 000 animateurs interviennent dans l'ensemble du champ social (1). Profession fortement enracinée dans ses valeurs d'éducation populaire, l'animation a fait l'objet d'un début de réorganisation de sa filière en 2001, avec la création du brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (BPJEPS), un nouveau diplôme de niveau V se substituant au brevet d'Etat d'animateur technicien de l'éducation populaire (Beatep). Fin 2005, ce brevet s'est enrichi d'une spécialisation « animation sociale », construite simultanément par le ministère de la Jeunesse et des Sports et celui chargé des affaires sociales, qui a officialisé la singularité des pratiques des animateurs sociaux (2). L'initiative se prolonge par la création annoncée d'une mention « animation sociale » au diplôme d'Etat de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (Dejeps), de niveau III (3). « Après celle du BPJEPS, ce sera la deuxième cosignée par nos deux ministères, indique Didier Léonard, du bureau des professions sociales de la DGAS. Les diplômes restent sous la tutelle de Jeunesse et Sports, mais dès lors que l'animation concerne des publics spécifiques de l'action sociale, ils doivent recevoir en plus l'aval des instances paritaires du travail social. »

Bien que la rencontre entre l'animation et le travail social ne soit pas nouvelle - notamment dans les quartiers, les structures de santé ou les centres de prévention et de réinsertion sociale -, l'identité et le statut des animateurs sont longtemps restés imprécis dans les institutions qui les employaient. « Les qualifications des animateurs qui intervenaient dans le secteur social et médico-social n'ont pas été prises en compte pendant de nombreuses années. Il a fallu faire pression pour aboutir à cette double reconnaissance du ministère chargé des affaires sociales et de celui de la Jeunesse et des Sports, qui jusqu'alors délivrait seul le brevet professionnel », explique Bernard Hervy, président du Groupement des animateurs en gérontologie (GAG) (4).

« L'émergence de l'animation sociale comme lieu de pratiques sociales prend toute son importance dans le contexte de mutations que nous traversons. Depuis l'après-guerre, jamais les problèmes d'exclusion n'ont connu une telle ampleur », estime Guy Cortet, enseignant à l'Institut du travail social de Lyon-Caluire et responsable de la commission « animation » de l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social). De plus, ajoute-t-il, l'attention portée aujourd'hui au handicap et au vieillissement de la population « rend encore plus nécessaire de prendre en compte le maintien du lien social pour les publics en perte d'autonomie sociale ».

En participant, à sa manière, au rétablissement de ce lien, l'animation apporte une plus-value dans les institutions sociales et médico-sociales, défend Guy Cortet. L'animateur social intervient quand la situation peut être considérée comme « source d'exclusion », qu'elle soit due au contexte (établissement fermé, quartier stigmatisé, établissement spécialisé) ou à la situation même des individus qui restreint leur capacité à agir ou à penser (déficiences, vieillissement). Ce qui rompt avec des pratiques d'animation tous publics conçues pour enrichir le quotidien des personnes sous forme d'activités sociales ou de loisirs. « Le travail de l'animateur consiste alors à donner les moyens aux personnes d'agir sur leur environnement en même temps que sur leur potentiel personnel. Mais sa fonction ne se limite pas à l'«entre-soi», précise Guy Cortet. Il doit aussi permettre d'ouvrir l'établissement sur l'extérieur et offrir aux usagers la possibilité de tisser des liens sociaux en dehors de leur groupe d'âge ou de leur statut particulier. »

Une greffe diversement perçue

Autant de compétences qui posent la question de l'articulation d'une filière d'animation sociale avec celles des autres travailleurs sociaux. De fait, les référentiels métier du BPJEPS et du futur Dejeps « animation sociale » insistent sur la capacité de l'animateur à « prendre en compte la globalité de la personne dans une démarche d'intervention sociale » en lien avec des professionnels « ayant une formation et une culture différente ». Or cette greffe est diversement perçue sur les différents terrains de l'intervention sociale. « Dans la prévention spécialisée, de plus en plus d'actions collectives fondées sur les loisirs ou la culture sont conduites conjointement par des éducateurs et des animateurs afin de toucher un public large dans les quartiers. Les éducateurs les utilisent pour renforcer une action éducative, tandis que les animateurs vont plutôt s'inscrire dans le plaisir du partage. Mais les deux registres sont étroitement imbriqués », témoigne Florence Baudier, éducatrice de rue et animatrice, qui intervient sur des quartiers de Massy-Palaiseau (Essonne).

Pourtant, au niveau des établissements, cette conduite d'actions conjointe se heurte aux clivages culturels existant entre les intervenants de l'accompagnement. « Dans le secteur des personnes âgées, on voit ainsi que la demande de partage des compétences de l'animation avec le reste de l'équipe émane des animateurs. En revanche, la majorité des aides médico-psychologiques, qui sont souvent chargés d'animation dans ces établissements, ne souhaite pas ce partage. Ce qui est assez révélateur. Les uns sont dans le social, les autres dans le thérapeutique, qui lui ne se divise pas », observe Richard Vercauteren, sociologue et auteur d'une étude réalisée auprès d'animateurs intervenant en EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) (5).

En outre, dans des milieux institutionnels où chacun des intervenants peut tour à tour faire un peu d'animation, d'éducation ou de soin, l'affirmation de l'identité d'un professionnel de l'animation reste encore difficile, observe David Seguela, animateur travaillant sur la mobilisation des rôles sociaux des résidents dans un EHPAD à Feytiat (Haute-Vienne). « Notre travail consiste à apporter une vision sociale et profondément humaniste dans laquelle l'identité, l'histoire personnelle des individus, leurs potentiels actuels arrivent à prendre du sens dans le cadre d'une démarche d'accompagnement pluridisciplinaire. Il ne s'agit pas d'être le bon contre les méchants, mais si je suis conscient des limites de mon action, j'attends qu'on me reconnaisse une certaine crédibilité quand on aborde la question de la stimulation du lien social et des enjeux qui gravitent autour. »

Un travail de pédagogie et de méthodologie est d'ailleurs entrepris par les instances de la profession pour outiller les animateurs dans leurs relations avec les équipes des structures, notamment à travers le développement de techniques d'évaluation des actions (6). Pour les représentants de l'éducation populaire, la perspective de voir la mention « animation sociale » se développer au sein d'une filière (voir encadré ci-dessous) oblige à clarifier la place de l'animation au sein du travail social. « Il paraît important de préciser que si l'animateur intervient avec les travailleurs sociaux sur les mêmes lieux et avec les mêmes publics, il s'en démarque parce qu'il revendique la mixité sociale et l'expression du lien social sur un territoire, plus que la restauration de ce lien », précise Guy Cortet. Sa spécificité est d'assurer « la jonction entre le suivi individuel des travailleurs sociaux historiques et une approche non spécialisée qui considère l'être humain comme un citoyen avec ses potentialités en interaction avec son environnement, bien avant de prendre en compte ses difficultés. »

Même volonté de retour aux sources du côté des CEMEA (centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active), qui refusent par avance de voir se développer « un illusoire droit de propriété sur l'animation » que les animateurs sociaux pourraient chercher à se faire reconnaître. « Ce que l'on nomme animation sociale n'est autre que des pratiques d'animation qui se développent en direction de publics relevant de l'action sociale, résume Philippe Segrestan, responsable national de la branche animation professionnelle aux CEMEA. Aussi spécifiques soient-elles, ces pratiques ne diffèrent pas de la finalité générale de l'animation qui vise au développement du «vivre ensemble». Et c'est justement ce décalage dont elle est porteuse qui donne à l'animation son intérêt principal pour le travail social. » Pour les CEMEA, depuis toujours des fonctions d'animation ont pu être assumées par des professionnels issus du social, de la santé ou de l'enseignement. « L'anima-teur professionnel ne fait qu'enrichir des équipes déjà plurielles. C'est dans ce cadre qu'il est chargé de concevoir la place de l'animation dans le projet de la structure », insiste Philippe Segrestan. Ce qui pose « la question de l'élaboration d'objectifs communs autour de l'animation par des professionnels de cultures et d'approches différentes ».

Reste que ce rôle de « poil à gratter institutionnel » que peuvent jouer les animateurs avait besoin, pour se développer dans le champ social, de la légitimité conférée par des qualifications. D'ailleurs, la récente enquête réalisée par le sociologue Richard Vercauteren auprès d'animateurs intervenant en EHPAD montre que plus des deux tiers des répondants se sentent aujourd'hui mieux reconnus dans leur rôle. « Il y a deux ou trois ans encore, commente-t-il, les résultats auraient été très différents. »

Une filière qualifiante en construction

La création de la mention « animation sociale » jointe au brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (BPJEPS) et celle annoncée à la fin 2008 pour le diplôme d'Etat de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (Dejeps) s'inscrivent dans le cadre d'une refonte générale de la filière de l'animation. Ces deux diplômes se substituent en effet respectivement au Beatep (brevet d'Etat d'animateur technicien de l'éducation populaire), de niveau V, et au DEFA (diplôme d'Etat relatif aux fonctions d'animation), de niveau III, qui prévalaient jusqu'alors. Des systèmes d'équivalence ont été posés. Dans le champ social, un titulaire de l'ex-Beatep spécialité « activités sociales et vie locale » peut d'ores et déjà bénéficier d'une équivalence avec le BPJEPS « animation sociale ». Un titulaire du DEFA pourra quant à lui bénéficier du Dejeps « animation sociale » dès son entrée en vigueur. Avec deux ans d'activité professionnelle reconnue de niveau II, ce professionnel pourra de plus obtenir le diplôme d'Etat supérieur de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (Desjeps) mention « direction de structures ».

Notes

(1) Ce chiffre, qui date de 2002, englobe l'ensemble des animateurs travaillant auprès des publics d'enfants, de jeunes, de familles ou de résidents d'établissements médico-sociaux, hors animation culturelle ou artistique - In « Les métiers du travail social » - DREES - Etudes et résultats n° 441 - Novembre 2005.

(2) Voir ASH n° 2437 du 6-01-06, p. 24.

(3) Le Dejeps « animation sociale » a reçu l'avis favorable de la commission professionnelle consultative (CPC) des métiers du sport et de l'animation le 13 novembre dernier et a été examiné le 3 janvier par la CPC du travail social et de l'intervention sociale. Sa sortie est annoncée pour le dernier trimestre 2008.

(4) Qui co-organisait le IIe congrès national de l'animation en gérontologie, les 21 et 22 novembre 2007, à Paris - GAG : 5, rue Ernest-de-la-Tour - 94310 Orly - Tél. 06 65 54 65 97.

(5) Enquête réalisée auprès des participants au IIe congrès national de l'animation en gérontologie.

(6) Ce travail est particulièrement avancé dans le secteur des personnes âgées, avec l'action du GAG qui a abouti en 2004 à l'instauration d'une charte de l'animation en gérontologie - Disponible sur www.gag.affinitiz.com.

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