Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) vient de condamner la France pour traitement discriminatoire à l'égard d'une femme homosexuelle célibataire souhaitant adopter un enfant. Dans un arrêt du 22 janvier, elle a en effet jugé qu'un refus d'agrément en vue d'adoption justifié par l'absence de référent paternel est contraire à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi qu'à son article 14 qui prohibe les discriminations.
En l'espèce, une institutrice du Jura, vivant en union stable avec une psychologue depuis de nombreuses années, dépose en 1998 une demande d'agrément en vue d'adopter un enfant, conformément à l'article 343-1 du code civil qui ouvre cette possibilité aux personnes célibataires. Durant la procédure, elle fait part de son homosexualité. Sur le fondement des rapports rendus par une assistante sociale et une psychologue, la commission chargée d'examiner les demandes d'agrément rend un avis défavorable, à la suite duquel le président du conseil général prend une décision de refus d'agrément motivée par « l'absence d'image ou de référents paternels susceptibles de favoriser le développement harmonieux d'un enfant adopté » et par l'insuffisante implication de son amie dans le projet d'adoption.
S'estimant victime de discrimination en raison de son homosexualité, elle saisit la justice. Le tribunal administratif de Besançon lui donne raison en jugeant que les motifs opposés par le président du conseil général ne sont pas par eux-mêmes de nature à justifier légalement le refus d'agrément. La cour administrative d'appel de Nancy annule ce jugement, considérant que « le président du conseil général n'a pas fondé son refus d'agrément sur une position de principe à l'égard du choix de vie de l'intéressée ». Son recours en cassation devant le Conseil d'Etat étant rejeté, elle présente une requête devant la CEDH, estimant « avoir subi, à toutes les phases de la procédure de demande d'agrément en vue d'adopter, un traitement discriminatoire fondé sur son orientation sexuelle et portant atteinte au respect de la vie privée ».
La Cour écarte tout d'abord le bien-fondé du motif d'absence de référent paternel dans le foyer car il vide de sa substance le droit qu'ont les célibataires de demander l'agrément. En outre, il conduit « à un refus arbitraire et ser[t] de prétexte pour écarter la demande de la requérante en raison de son homosexualité ». En revanche, s'agissant de l'attitude de la compagne, « rien ne permet d'établir qu'un tel motif serait fondé sur l'orientation sexuelle de la requérante », estiment les juges européens. Au contraire, « il est légitime que les autorités s'entourent de toutes les garanties en vue de l'accueil éventuel de l'enfant dans une famille ». En effet, explique la CEDH, « dès lors que le demandeur ou la demanderesse, bien que célibataire, a déjà constitué un foyer avec un ou une partenaire, la position de ce dernier et la place qu'il occupera nécessairement au quotidien auprès de l'enfant qui viendra vivre dans le foyer déjà formé commandent un examen spécifique, dans l'intérêt supérieur de l'enfant ».
La Cour juge enfin que l'homosexualité déclarée de la requérante a revêtu un caractère décisif conduisant au refus d'agrément. Mais cette différence de traitement par rapport à une personne célibataire hétérosexuelle poursuivait-elle un but légitime susceptible de la justifier ? Avant de répondre à cette question, la Cour rappelle que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme « est un instrument vivant, à interpréter à la lumière des conditions actuelles ». Alors qu'en 2002, elle avait reconnu à la France le droit d'interdire l'adoption par des homosexuels en estimant que la différence de traitement opérée par l'administration poursuivait à l'époque un but légitime (1), elle estime dans cette affaire que les raisons avancées par la France « ne sauraient être qualifiées de particulièrement graves et convaincantes pour justifier le refus d'agrément » et ce, d'autant plus que la législation française reste muette sur la nécessité d'un référent de l'autre sexe et que la requérante présentait « des qualités humaines et éducatives certaines ».
(1) A savoir la protection de la santé et des droits des enfants pouvant être adoptés - Voir ASH n° 2252 du 1-03-02, p. 9.