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La « sédimentation » dans l'urgence et les effets de la mobilisation pour les sans-abri sous la loupe du SAMU social

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Une série de travaux inédits de l'Observatoire du SAMU social (1), résultat de deux années d'enquêtes, pointent les enjeux de la prise en charge des sans-abri. L'une des études, réalisée sur la période 1999-2006 auprès du pôle « généraliste » du 115, qui héberge les personnes seules, met le doigt sur la chronicisation dans l'urgence de plus de la moitié des personnes accueillies en centre d'hébergement d'urgence.

Au cours de la période étudiée, le 115 de Paris a attribué plus de 2 millions de nuitées dans ces structures (et dans une moindre mesure dans des hôtels) à plus de 60 000 personnes. En 2006, il a accordé environ 335 000 places à quelque 9 000 sans-abri. Jusqu'en 2003, il en avait accueilli jusqu'à 12 000 par an. Chaque nuit, ce sont plus de 900 personnes isolées qui ont été hébergées, via le 115 ou les équipes mobiles. Si le volume de nuitées a augmenté de 1999 à 2003, il stagne depuis.

Quelles sont les caractéristiques des personnes prises en charge ? Durant les sept dernières années, la population s'est féminisée (en 2006, un quart des nouveaux entrants sont des femmes), a vieilli (22 % ont plus de 50 ans) et est plus cosmopolite, avec 15 à 25 % de sans-papiers. Un cinquième n'a pas de couverture sociale, un tiers ne bénéficie d'aucun suivi social et la moitié se déclare sans ressources (30 % touchent le RMI, l'allocation aux adultes handicapés ou une prestation sociale et 11 % ont un revenu du travail ou de l'Assedic). Dans 30 % des cas, c'est un départ contraint du logement qui pousse à composer le 115. 25 % évoquent cependant avoir quitté leur pays d'origine, 10 % la province, 13 % ont connu des conflits familiaux, 7 % une maladie et 3 % la prison.

A partir de la date d'entrée des hébergés dans le dispositif, l'observatoire constate que la population « se renouvelle de moins en moins ». En effet, en 2006, plus de la moitié des publics était déjà connue du dispositif un an plus tôt. Un hébergé sur cinq l'est depuis au moins cinq ans et plus de 1 000 ont déjà été accueillis en 1999. Pour mieux analyser cette « sédimentation » dans l'urgence, l'observatoire a distingué quatre grands types de parcours. Ainsi, 49 % des hébergés étaient en 2006 des « primo-arrivants », parmi lesquels beaucoup de jeunes, de femmes, d'étrangers, caractérisés par l'absence de droits et un faible nombre d'hébergements (16 par personne). Le groupe des « habitués » (29 %) rassemble quant à lui des personnes qui ont fréquenté le dispositif chaque année. Elles ont été hébergées plus souvent (71 nuits par personne), sont en moyenne plus âgées, ont davantage accès à des droits sociaux et font face à un nombre de demandes non pourvues assez important (huit en moyenne). Ceux qui ont des parcours à « trous » (18 %) ont pour leur part connu une longue période sans avoir été hébergés via le 115, soit parce qu'ils ont migré géographiquement, soit parce que leur réinsertion a échoué ou qu'ils sortent de l'hôpital ou encore de prison. Enfin, 4 % présentent des parcours en « alternance », avec plusieurs longues périodes pendant lesquelles ils n'ont pas été hébergés. Leur trajectoire se caractérise nettement par leur ancienneté dans le dispositif : 80 % y étaient déjà présents avant 2001. Mieux suivis socialement et disposant de davantage de ressources, le 115 semble être pour eux une « solution de dépannage ».

Les conditions de sortie du dispositif sont clairement insatisfaisantes, tant par le nombre des débouchés que par leur qualité, conclut l'étude, et la population « semble s'engluer dans l'urgence ». La nécessité de « gérer la pénurie » remet ainsi en cause le principe de l'accueil inconditionnel de nouvelles personnes.

Comment mieux adapter les lieux d'hébergement et l'accompagnement social pour permettre une réinsertion durable ? C'est la question sur laquelle le gouvernment s'est engagé à apporter, le 15 janvier, une réponse aux associations (voir ci-contre). Une promesse décrochée après une nouvelle mobilisation des Enfants de Don Quichotte, dont le rôle dans l'action publique fait l'objet d'une analyse très intéressante de la sociologue Agathe Schvartz, sous l'intitulé « Le plan d'urgence hivernal : l'échec d'un pilotage automatique ».

Ce dispositif, fondé sur des critères climatiques, apporte à la question des sans-abri une solution d'ordre technique, explique-t-elle, ce qui correspond à un souci de rationaliser la prise en charge et à la « volonté de minimiser la décision politique dans ce domaine ». Le « pilotage automatique » induit par cet outil n'a malgré tout pas été mis en oeuvre, notamment en raison de la résistance des acteurs et de son caractère inapproprié. Reste que, selon Agathe Schvartz, le fait d'être impliquées dans ce dispositif a atténué la force contestataire des associations, qui s'est déplacée vers les organisations extérieures à la mise en place du plan d'urgence - comme l'asso-ciation des Enfants de Don Quichotte. Ainsi, la mobilisation de ces derniers, durant l'hiver 2006, « choc exogène », a joué un rôle majeur pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de changer de logique dans la prise en charge des sans-abri, d'autant plus porteuse qu'elle a contribué à structurer des arguments jusque-là défendus par les réseaux associatifs. « L'action des Enfants de Don Quichotte conduit à disqualifier définitivement la conception humanitaire encore dominante, mais déjà critiquée, de la prise en charge des sans-abri. » Avec le plan d'action renforcé pour les sans-abri (PARSA) de janvier dernier et la loi sur le droit au logement opposable adoptée en mars, l'inscription dans le droit de la prise en charge des personnes à la rue traduit une nouvelle appréhension du problème, qui passe d'une « conception humanitaire à une conception en termes de justice sociale ». Assiste-t-on enfin, interroge la sociologue, à la fin de la division des politiques de lutte contre l'exclusion, entre « insertion » et « urgence sociale » ?

Notes

(1) Diffusés à l'occasion de sa journée scientifique du 18 décembre dernier - « Diabète : de la prévalence au consensus » ; « Vers une reconnaissance de la vie affective et sexuelle des personnes sans domicile » ; « Le refus d'hébergement : un vrai problème ? » ; « Trajectoires d'hébergement au sein du dispositif 115 : une chronicisation de l'urgence » ; « Signalements au 115 : de la sollicitation morale à l'intervention professionnelle » ; « Les « funambules du tact » ou les équipes mobiles d'aide au travail ; « Le plan d'urgence hivernale : l'échec d'un pilotage automatique » - Disponible sur www.samusocial-75.fr, rubrique « Observatoire » (« Actualités »).

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