Pour beaucoup, la circulaire sur les autorisations de travail accordées aux étrangers sur la base de listes de métiers dits « en tension » (voir ce numéro, page 19) sonne la fin d'une illusion entretenue par la loi sur l'immigration du 20 novembre dernier (1). Un amendement adopté à l'Assemblée nationale, présenté par le député UMP Frédéric Lefebvre (Hauts-de-Seine), avait en effet donné aux préfectures la possibilité de délivrer un titre de séjour aux étrangers exerçant un métier rencontrant des difficultés de recrutement.
Mais les annexes de la circulaire qui permettent l'application de cette disposition dressent en réalité deux listes distinctes de métiers ouverts aux étrangers : tandis que les ressortissants des nouveaux Etats membres de l'Union européenne auront accès à une liste élargie à 150 métiers, dans le bâtiment, la restauration ou la maintenance, les ressortissants des pays tiers ne pourront prétendre qu'à 30 professions, réparties sur des listes différentes selon les régions, dont six - à plus haute qualification (informaticien d'étude, cadre de l'audit et du contrôle comptable et financier...) - sont ouvertes sur l'ensemble du territoire. Qui plus est, les Tunisiens et les Algériens, concernés par des accords bilatéraux, sont exclus de ces nouvelles dispositions. Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile, fulmine : « Je faisais partie de ceux qui pensaient que l'amendement Lefebvre, voté à l'unanimité, était positif. Or la circulaire va couper une grande partie des non-communautaires d'une possibilité de régularisation. Nous sommes repartis sur une année de fausses promesses et de conflits sociaux. »
Au GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés), Violaine Carrère, chargée d'études, souligne la confusion qui risque de régner sur ce dispositif, alors que la possibilité d'autorisation exceptionnelle de séjour existait déjà. « Les listes établies par régions vont constamment évoluer, dans le temps et dans l'espace, explique-t-elle. Quelle sera leur transparence, où seront-elles affichées ? Cette opacité va augmenter le caractère discrétionnaire des régularisations. » Juste avant l'envoi de la circulaire aux préfets, le GISTI avait appelé les sans-papiers et ceux qui les accompagnent à la prudence : le seul fait de travailler n'ouvre pas droit à une carte de séjour, d'autant que la liste des métiers ouverts ne correspond pas vraiment aux activités de fait exercées par les personnes en situation irrégulière. Or, relate l'organisation, nombreux sont ceux qui, « depuis l'annonce d'une possible régularisation par le travail », se sont déjà précipités dans les préfectures. « Certains ont déjà fait l'objet d'interpellations au guichet et d'un éloignement du territoire. »
Le GISTI compte par ailleurs saisir la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité de l'inégalité de traitement que représentent les deux listes de métiers ouverts.